Voici son portrait que nous avons réalisé il y’a quelques temps
Premier signe distinctif, son sac à dos qu’il arbore fièrement tel un jeune garçon qui fait ses premiers pas au lycée. En plus, il y a son humour, qui est en quelque sorte son arme fétiche et qui lui permet d’aborder l’autre facilement. Rire et rire de tout est une de ses occupations favorites, signe de liberté. Parce qu’il s’agit d’un homme libre qui martèle : «Ce ne sont pas les autres qui me définissent. Je suis moi-même et c’est moi qui décide de ce qui est bien pour moi». Ne lui parlez cependant pas de Miriam Makeba, il pourrait fondre en larmes. Pourtant, il ne peut se passer d’elle. Sur la porte d’entrée de son domicile, un article de presse titré Miriam Makeba, celle qui portait l’Afrique, rédigé quelques heures seulement après le décès de l’artiste. C’est l’article le plus difficile que j’ai eu à rédiger jusqu’ici. Je ne savais pas comment l’écrire
De Mama Africa à Pierre Akendengue en passant par Bonga, Manu Dibango, Annie Flore Batchiellilys, Sally Nyolo, Oumou Sangare ou Geoffrey Oryema, tous et bien d’autres se retrouvent dans sa discothèque personnelle, composée de près de 200 Cd. Originaux, s’il vous plait! Il n’est pas musicien, juste un féru de cet art vers lequel il est porté depuis sa tendre enfance et qu’il a développé au fil de ses multiples rencontres avec des artistes d’ici et de d’ailleurs. Il n’est pas non plus plasticien ou sculpteur comme on pourrait le croire au regard de toutes les uvres qui habillent sa maison. Du salon à la cuisine et même dans les couloirs, l’on se croirait dans une galerie d’art. Ou même dans une bibliothèque avec des bouquins partout. Miano, Nothomb, Coelho, Soyinka, Mabankou, Ben Jelloun, Mongo Beti, Kourouma, etc. L’Afrique est là, le monde entier aussi. «Chaque fois que je vais dans un pays, j’en reviens avec un souvenir. Il y en a que j’ai acquis et d’autres qui m’ont été offerts».
De qui parle t-on en fait? Bien évidemment de Tchakam Ngon Stéphane Marcel. Le très célèbre Stéphane Tchakam. Un nom qui, au fil des ans, est devenu une marque, une signature avec laquelle se sont, tour à tour, familiarisé les lecteurs des journaux Mutations, Cameroon Tribune et Le Jour, depuis quelques mois. La plume de ce journaliste est appréciée de même que sa prédilection pour le journalisme de terrain, les sujets de proximité, la culture avec notes de lecture, comptes rendus de spectacles ou d’expositions.
Une affaire de destin
«Dès l’age de 07 ans, je lisais déjà Jeune Afrique». Un virus que lui a inoculé son papa, très grand lecteur de journaux et fidèle auditeur de RFI. Tout petit à Yaoundé, sa ville natale, il ne manquait de rien. Comme bien d’autres enfants de l’école maternelle du Parc Repiquet qu’il fréquente. Et c’est pourtant là qu’il se familiarise avec le crayon et le sac à dos. Jamais sans son sac à dos. Avant de poursuivre à l’école primaire de Melen à Yaoundé, puis au collège bilingue d’application et au Lycée bilingue de la même ville. La grande classe à l’époque, quoi ! Muni d’un baccalauréat A4 Allemand, Stéphane entre en faculté de droit de l’université de Yaoundé et en ressort licencié en 1993. Faute de moyens, le jeune homme se voit obligé d’interrompre son cursus. «Ma maman qui s’occupait toute seule de nous n’avait pas de quoi envoyer deux enfants à l’université. Ma s ur venait d’avoir son Bac», relate-t-il. Trois ans après, il entre à l’ESSTIC et ressort muni d’un DSTIC, option journalisme. Six jours après sa soutenance, Stéphane Tchakam commence à signer des articles dans les colonnes du quotidien Mutations, une plume très vite remarquée par les responsables de Cameroon Tribune qui font appel à lui. Nourri par une «envie de grandir», Stéphane, avec un peu d’hésitation mais sans conflit, rejoint l’équipe du quotidien national avant de claquer la porte au bout de huit années de dur labeur jamais reconnu, pour ne pas dire récompensé.
Un départ « osé » de Cameroon Tribune
Après une gorgée de jus de fruit, Stéphane se marre : «Ça surprend parce que c’est rare de voir des gens quitter une telle maison.» Mais très vite, le ton durcit: «Je m’en vais parce que je suis convaincu que le management de la Sopecam est essentiellement subjectif, ses critères d’appréciation, d’évaluation et de sanction ne sont pas objectifs. A s’éterniser dans un tel environnement, il y a un risque de ne plus travailler, de baisser les bras et de finir aigri comme bien des gens là-bas. D’ailleurs quelques autres plumes sont parties la même année que moi. Je sais que ce n’est pas un hasard.» Travailler, c’est vital pour lui et le journalisme nourri par cette soif de culture, n’est pas qu’un métier. «Pour moi, c’est aussi une manière d’être et de vivre. Un journaliste doit être discipliné, disponible, avoir le souci de bien faire et se distinguer». C’est sans doute ce qui lui a permis de rafler sur deux éditions consécutives, 2008 et 2009, le prix du Meilleur reportage aux Mediations Press Trophies. Le journaliste et grand reporter regrette une chose, «nous ne travaillons pas assez, n’avons pas assez de culture et prenons trop de liberté avec les canons de base du métier.»
Et puis, vint la renaissance
La demande se fait déjà grande au moment où Tchaki, comme l’appellent certains de ses confrères, quitte Cameroon Tribune. Ce qui explique qu’il «n’ait pas chômé du tout». Son premier patron, Haman Mana, «qui m’a toujours fait confiance», fait appel à lui pour son quotidien Le jour. C’est donc un autre jour qui se lève pour le journaliste. «Au Jour, je suis dans une renaissance, un nouvel épanouissement. Je retrouve l’envie de bosser». C’est ainsi qu’il met sur pied son concept de Double page, qui «se veut, à travers des portraits, des enquêtes et des reportages, le thermomètre de la société camerounaise». La Double page est très vite appréciée du lectorat et récompensée à l’édition 2009 des Grands prix COM.NEWS. Le grand reporter avoue : «Je prends un plaisir incroyable dans ce que je fais actuellement. Je m’amuse en réalité quand j’écris les Doubles pages. C’est un vrai privilège: celui du grand reporter que Le Jour a fait de moi. Et c’est un challenge: prouver que je n’ai pas usurpé ce statut-là. A Cameroon Tribune, on m’avait convaincu que ce n’est pas le travail qui paie.». Ainsi se félicite celui qui a choisi la presse écrite par conviction. «C’est plus contraignant, plus exigeant, plus méritoire et c’est ce qu’il y a de plus noble et de difficile dans le journalisme».
Même s’il reconnaît que les autres médias ne lui auraient pas apporté autant de satisfaction que la presse écrite, il est possible que l’on découvre ce grand garçon, à l’humilité marquante et au sourire facile, sur le petit écran dans les mois à venir. Suspense! Et Stéphane Tchakam nous plante là pour aller arroser les nombreuses plantes de son jardin. Il n’est pas non plus fleuriste, «c’est juste un amour poussé pour l’horticulture», des variétés qu’il ramène de partout. Comme les objets d’art, les bibelots, les livres, les musiques, etc. Un bel univers. Tout en couleurs.