Pour le sociologue, plusieurs raisons expliquent le choix de certains couples pour le concubinage. Mais, le motif fondamental n’est autre que la chute des valeurs sociales et la banalisation du mariage.
Quels sont les facteurs qui conduisent à l’union libre de deux personnes ?
En ce qui concerne le concubinage, je pourrais commencer par énumérer un ensemble de facteurs qui poussent les hommes et les femmes à mener une vie commune sans toutefois l’officialiser devant l’officier d’Etat civil ou encore devant l’instance coutumière, communément appelée la dot. Le premier élément que je vois, c’est la montée du coût de la dot dans nos sociétés. Il est de plus en plus difficile pour les uns et les autres, de procéder à une dot véritable, parce que le coût de vie est de plus en plus élevé et la dot n’en est pas épargnée. Ça c’est une raison mais qui n’est pas fondamentale. La véritable raison est qu’il y a une chute des valeurs et des normes sociales au point où, les individus ne donnent plus un sens à la valeur sociale qu’est le mariage. Pourtant, le mariage est une institution sociale. Pour certains hommes et certaines femmes, la vie commune est devenue comme un jeu où on appelle trivialement « essayons voir ». Si ça marche, on pourra officialiser par la suite. Cette vie commune-là est parfois imposée par un ensemble de contraintes. On peut voir, par exemple, une relation amoureuse ou sentimentale qui débouche sur un enfant et qui vous oblige à anticiper sur les choses, si par la suite, vous envisagez d’officialiser.
Par ailleurs, le mariage est devenu difficile dan notre société. De ce fait, quand on a une petite relation avec quelqu’un, on cherche à s’accrocher définitivement. Il arrive que des femmes essaient de « piéger » des hommes en tombant enceinte, ou alors, un soir, tu rentres chez toi pour trouver que quelqu’un a aménagé dans ta maison.
Quel regard la société porte-t-elle sur le concubinage ?
A mon humble avis, la perception sociale aujourd’hui est à l’image de la chute des valeurs qui est déjà consacrée à tous les niveaux parce que, dans notre société, on dit qu’on est en train de normaliser l’écart. En réalité, c’est un écart, une déviance sociale. Mais comme la déviance est en train de monter en puissance, on parvient à transformer le concubinage en une norme sociale. La société tolère déjà la cohabitation. Hors, avant, ce n’était pas toléré. Je connais une famille dont les petits-enfants sont allés verser la dot de leur grand-mère, il y a un an.
Il y a aussi la dimension légale. Beaucoup de personnes ne connaissent pas les textes qui régissent le mariage. Ils se disent qu’ils ne peuvent pas se mettre la corde au cou, sans avoir testé ou essayé de voir si ça peut marcher entre nous. Parfois même, on peut procéder à la dot, sans toutefois aller chez le maire, en se disant qu’après le mariage, on peut divorcer. Pourtant, en restant fiancés pendant plusieurs années, il est possible de se séparer sans aucune contrainte. Des contraintes pèsent et poussent à la réticence. On peut se séparer de l’autre sans contrainte, ni d’explication à donner à qui que ce soit. Si je vis avec un homme ou avec une fille que je n’ai pas présenté à ma famille, si un jour ça finit entre nous, il n’y a aucun compte à rendre, ni à sa famille, ni à la mienne. Il en est de même pour la fille. Depuis que je suis chez toi, tu ne me présentes pas, tu m’utilises….
Le concubinage n’est-il pas aussi un moyen pour les couples de contourner certains types de pressions familiales ?
Le concubinage est un moyen pour transgresser un ensemble de normes sociales liées au mariage. Je connais personnellement des cas où les conjoints ont décidé de se mettre ensemble parce qu’ils ont voulu officialiser leurs relations de manière traditionnelle et légale, et que les familles n’ont pas accepté. Il arrive que les familles n’acceptent pas le prétendant ou l’élue et ceux-ci décident de vivre leur amour de manière libre. Pourtant, ils ont voulu officialiser, mais les structures sociales y ont opposé une fin de non recevoir. Le concubinage, à un certain moment, est un moyen pour permettre aux gens de se marier, en bravant un ensemble d’obstacles posés sur leur route.
En votre qualité de sociologue, pensez-vous que le Cameroun traverse une crise du mariage ?
Je ne pense pas qu’on puisse arriver à un point où les gens ne se marient plus. Par contre, le nombre de foyers qui connaissent le phénomène de concubinage va grandissant. Et si rien n’est fait, on arrivera à une banalisation du mariage. C’est même déjà le cas. L’on banalise déjà la paternité. Vous pouvez, par exemple, tomber sur une femme qui a cinq enfants avec cinq hommes différents. En ce qui concerne le concubinage, j’estime que des efforts devraient être faits à tous les niveaux de la société, pour faciliter l’officialisation des unions entre les individus, parce que les risques sont énormes. Le concubinage est un contrat…On devrait arriver à moraliser les indécis afin qu’ils comprennent le bien-fondé du mariage légal et le bien-fondé d’avoir une partenaire reconnue.