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En libérant Marafa, le Cameroun peut «démontrer son engagement à l’État de droit»

Par Me Ndiva Kofele Kale La conférence de presse de M. Tchiroma du 15 juillet 2016 concernant la récente décision…

Par Me Ndiva Kofele Kale

La conférence de presse de M. Tchiroma du 15 juillet 2016 concernant la récente décision du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, qui appelait à la libération immédiate de M. Marafa Hamidou Yaya de sa détention arbitraire et à la compensation de ses souffrances, est une man uvre de diversion tendant à semer la confusion dans l’esprit des camerounais et les distraire des véritables enjeux de ladite décision. Les propos tenus par M. Tchiroma relèvent tout simplement d’une campagne d’arrière-garde qui consiste à amoindrir la portée juridique du jugement prononcé par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire du point de vue du Droit des Nations.

Cette conférence de presse reprend grosso modo les mêmes vieux arguments que le Gouvernement du Cameroun a présentés au Groupe de travail dans sa vive réponse à la plaidoirie de M. Marafa; les mêmes arguments que ses avocats ont relevés au Tribunal de Grande Instance du Mfoundi et à la Cour suprême. Cette conférence ne comporte rien de nouveau! Si M. Tchiroma ne comprend rien à tout processus d’ordre juridictionnel, il ferait mieux de se taire car le cas de M. Marafa est à présent chose jugée et il devrait arrêter de le remettre en cause devant la presse.

Rappelons-nous que lorsque le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire s’est saisi du dossier, il lui a fallu presque six mois d’analyse approfondie et méthodique des arguments du Gouvernement du Cameroun ainsi que ceux de l’avocat de M. Marafa. Ce n’est qu’après avoir intégralement lu près de mille pages de documentation que ces cinq éminents et honorables juristes nommés par les Nations Unies, de manière impartiale et indépendante, ont conclu que M. Marafa a été privé de son droit à un procès juste et équitable présidé par des juges compétents, impartiaux et indépendants, ce qui représente une violation évidente des responsabilités prises volontairement et de manière solennelle par le Gouvernement du Cameroun vis-à-vis de l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et de l’article 14 du Pacte International Relatif aux Droits civils et Politiques (PIDCP). Ces deux dispositions reconnaissent à M. Marafa le droit à un procès juste et équitable présidé par des juges compétents, indépendants et impartiaux.

Puisque la sortie médiatique de M. Tchiroma vise à masquer le caractère obligatoire de la décision du groupe de travail, peut-être est-il nécessaire de faire un bref cours sur la loi internationale, pour une meilleure compréhension du public camerounais et situer les obligations qui sont à ce niveau celles du Cameroun. Le droit internationale est tout simplement celle que les États eux-mêmes, y compris le Cameroun, ont accepté de respecter soit explicitement (par des traités) soit implicitement (par leur conduite). Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a été mis sur pied par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies-qui est à ce propos le premier organe fondé en 1946 par des Nations Unies nouvellement créées avec pour mandat de s’assurer du respect des droits humains partout dans le monde- pour veiller au respect de ce droit internationale par tous les États partis.

Lorsque le Cameroun a rejoint les Nations Unies en 1960, il a expressément accepté d’être lié à la Charte des Nations Unies, la constitution du monde. Conformément aux dispositions de cette Charte, le Cameroun et les autres États membres se sont engagés à promouvoir tant conjointement que séparément le « respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » Voir la Charte des Nations Unies, Articles 55 (c) et 56.

Il faut noter qu’en devenant membre des Nations Unies en 1960, le Cameroun a automatiquement accepté de se conformer aux dispositions de la DUDH, fondatrice de tous les autres instruments relatifs aux droits humains; et le Cameroun, volontairement, sans aucune pression extérieure, a exercé son droit en tant qu’État indépendant souverain lorsqu’il a ratifié le PIDCP en 1984 ainsi que son Protocole optionnel. Ces instruments, qui ont ensuite été incorporés par renvoi dans notre Constitution, et qui deviennent de ce fait la loi suprême du territoire, sont primordiaux dans les délibérations du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire qui ont conduit à la décision qu’il a prise concernant M. Marafa.

Lorsque des États souverains s’engagent à nouer une relation dans le cadre des traités, leur conduite est régulée par la doctrine du pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées). Cette doctrine est au centre de la loi du traité et est codifiée dans l’article 26 de la Convention de Vienne sur les traités (« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être respecté par elles de bonne foi »). De manière simplifiée, les engagements pris publiquement, officiellement et volontairement par une Nation doivent être honorés de bonne foi. La doctrine du pacta sunt servanda empêche les États signataires d’un traité d’invoquer leurs lois nationales pour justifier le non respect de ce dernier.

J’espère que la déclaration de presse de M. Tchiroma ne se veut pas une excuse du Gouvernement du Cameroun, reconnue coupable de violations de ses obligations vis-à-vis de la DUDH et du PIDCP, pour ignorer la décision du Groupe de travail. Selon la doctrine du pacta sunt servanda, le Cameroun a le devoir d’accorder pleine foi et crédit à cette Décision parce qu’elle émane des engagements qu’il a pris de bonne foi devant la communauté des nations et qu’il refuse malheureusement d’honorer et de respecter dans le cas de M. Marafa!

Lorsqu’un organisme international judiciaire ou quasi-judiciaire émet une opinion contre un État pour non respect de ses obligations vis-à-vis d’un traité, l’État fautif n’a d’autre choix que de respecter et de se conformer à cette opinion. C’est ce respect mutuel des obligations d’un traité qui impose une structure et un ordre aux relations entre États et promeut la stabilité dans le système international. Sans l’espérance réciproque que les États respecteront leurs obligations vis-à-vis du traité, la communauté des nations ne deviendra qu’une jungle hobbesienne gouvernée par le paradigme darwinien selon lequel seuls les États les plus forts et les mieux placés survivent – par exemple les Nations puissantes qui peuvent chasser les plus faibles – se servant de leur pouvoir pour asservir les moins puissants.

D’un point de vue moral, il est trop tard pour que M. Tchiroma mette un nuage sur l’importance juridique de la décision du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. Cela aurait dû être fait bien avant que le Gouvernement du Cameroun n’accepte de prendre part aux procédures. La partie était engagée à partir du moment où le Gouvernement du Cameroun s’est mis sous la juridiction du Groupe de travail des Nations Unies en répondant favorablement à ses plaidoyers en réponse à la pétition de M. Marafa; et a consenti aux règles d’engagement, si on peut le dire, parce qu’il a expressément accepté d’être lié à la Charte des Nations Unies, à la DUDH et au PIDCP.

Il faut souligner que le Gouvernement du Cameroun pouvait refaire ce qu’il a fait avec les pétitions de Thierry Atangana et Lydienne Eyoum, qui ont précédé celle de M. Marafa, en ignorant les requêtes répétées du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire de déposer une réponse. Il est évident que le Gouvernement du Cameroun a attaché une grande importance au cas de Marafa comme le montre sa volonté de s’engager à tous les niveaux des procédures; pour cela, nous lui sommes infiniment reconnaissants. Toutefois, le gouvernement ne peut à présent ignorer cette décision parce qu’elle n’est pas en sa faveur. Que ce serait-il passé si le Nigéria avait refusé de respecter la décision de la Cour internationale de justice concernant la péninsule de Bakassi?

Le Cameroun se considère et veut être traité avec respect en tant que membre de la communauté des Nations respectueuse des lois. Généralement, le respect se gagne: voici donc une opportunité pour le Gouvernement du Cameroun de démontrer son engagement infaillible à l’État de droit et son profond et constant attachement à la doctrine du pacta sunt servanda en libérant M. Marafa Hamidou Yaya sans plus attendre.

Me Ndiva Kofele Kale

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