Le Directeur de la collection «Essais et biographies» chez Ifrikiya, parle du secteur de l’édition et de la candidature du Cameroun comme capitale mondiale du livre
Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs?
Je m’appelle Joseph Fumtim. Je suis un éditeur formé à l’Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication ESSTIC à Yaoundé, puis aux éditions du Croquant à Jarsy en Haute Savoie en France. Depuis 2007, je suis directeur de la collection des essais et biographies aux éditions Ifrikiya, même si par ailleurs j’occupe de la communication dans un organisme recherche au Cameroun.
Comme écrivain, je suis essayiste et mon livre le plus important est «Cameroun mon pays» publié sous ma direction en 2008, où j’ai réussi à associer des intellectuels et écrivains camerounais de haut vol, comme Célestin Monga, Achille Mbembe, Patrice Nganang, Kouam Tawa, Nathalie Etokè, Alexis Tcheuyap, Valentin Zinga, Pabé Mongo etc.
Parlez-nous de votre maison d’édition Ifrikiya
Ifrikiya, c’est l’aventure de trois mousquetaires : François Nkémé, Jean-Claude Awono et Joseph Fumtim. Tous les trois au départ, étions promoteurs de petites structures éditoriales. Aux termes de cinq ans de collaboration, la fusion de ces maisons d’édition a donné naissance en 2007 à Ifrikiya. Cette appellation a été choisie par référence à la désignation originelle de l’Afrique. Aujourd’hui, nous comptons un catalogue riche de près de 70 ouvrages avec une cinquantaine d’auteurs.
Vous avez pensé à vous ouvrir à l’extérieur ?
Bien entendu. Nous avons participé à une dizaine de salons de livre en Afrique, en Europe et au Canada. Avec l’appui du service culturel de l’Ambassade de France au Cameroun, nous faisons participer nos auteurs au Salon du livre de Paris. Djaïli Amadou Amal est à mon avis l’auteure la plus fortunée en termes de distinction. Son roman « Walaande, l’art de partager un mari » est un bestseller et vient d’être retenu pour être traduit et publié par une dizaine d’éditeurs arabophones.
Quel état des lieux faites-vous du secteur de l’édition au Cameroun en tant qu’acteur interne?
Il faudrait d’abord dire que le Cameroun hérite d’une longue tradition d’édition, notamment avec les Editions CLE, créées au début des années 60. Un dispositif complété par le CEPER. Donc pendant près de trois décennies, Yaoundé était la capitale africaine de l’édition francophone. Après on a eu le clash des années 90 où moins de 5 livres se publiait à Yaoundé par an. Aujourd’hui, malgré tous les efforts, nous courrons encore après le palmarès des années 60-70.
Les choses ont bougé depuis ?
Depuis une dizaine d’années, le secteur s’étoffe et se professionnalise davantage. La différence ici étant que des acteurs privés surtout des jeunes prennent des initiatives. Cependant cette embellie rencontre un goulot d’étranglement à savoir la distribution. Les livres publiés localement coûtent chers et ne circulent pas assez. En dehors de Douala, Yaoundé et Bamenda, on ne trouve pas de librairies dignes de ce nom.
Il y a certainement des actions qui méritent d’être menées; tant de la part des éditeurs que des pouvoirs public et même du camerounais lambda. Vous préconiseriez quoi?
Il est temps que soit mise sur pied une véritable politique du livre. Quel est le statut que le gouvernement veut donner au livre et ses acteurs? C’est là le problème. Nous devons cesser de contourner cette donne pour chercher des solutions de surface. En résolvant cette question structurelle, les problèmes de douane, de fisc et de droit qui pèsent sur l’édition vont peu à peu se dissoudre. En dehors de cela, le douanier va continuer à taxer les intrants alors que les conventions internationales protègent la circulation des biens culturels.
Du côté des éditeurs, il faut continuer le combat. S’associer entre éditeurs pour mieux prospecter le marché du scolaire par exemple. Privilégier une plus grande collaboration entre les éditeurs internes. S’organiser en syndicats du livre en associant les autres acteurs dont des libraires.
Au citoyen lambda, je l’encourage à croire au livre de chez lui. Ça doit être un label et un honneur pour lui de brandir à l’étranger un roman écrit par un camerounais et publié par une maison camerounaise. Et il y en a de plus en plus qui achètent des livres d’Ifrikiya pour offrir comme cadeau d’anniversaire ou de mariage à des amis et frères en Europe. Je suis conscient que tous les livres ne sont pas tous bons, mais nous y travaillons en vue de l’amélioration.
Avez-vous pris en tant qu’éditeur des initiatives qui vont dans la promotion du livre au Cameroun ?
Je crois que notre job consiste d’abord à éditer des livres de bonne facture et de les mettre à la disposition du public. Nous organisons des séances de dédicace pour le lancement de nos livres. Au niveau des médias, nous bénéficions jusqu’ici d’une bonne réception de la part des médias camerounais. Beaucoup de directeurs de publication nous ont encouragés chaque fois et c’est grâce à eux que nous avons pu être connus.
Vous-êtes au courant que Yaoundé a présenté sa candidature pour être la capitale mondiale du livre de l’Unesco 2014 ?
Nous sommes bien au courant et avons été invités à une réunion au Ministère des arts et de la culture. Mais nous n’avons pas l’impression que la campagne du Cameroun soit menée comme il se doit. A notre avis, une bonne mobilisation nationale et africaine aurait été nécessaire, en se basant sur des icônes mobilisatrices comme Calixte Beyala, Gaston Kelman, Léonora Miano ou Achille Mbembé.
Pensez-vous que si la Cameroun gagne cela pourrait donner un coup de pouce au secteur du livre en général?
Il ne faut pas qu’on se trompe d’enjeu. Etre capitale mondiale du livre, il s’agit là d’une action ponctuelle qui pourrait être plus productive. A condition que l’on y associe le processus de mise sur pied de la politique du livre dont 2014 pourrait en être l’apothéose.