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Joseph Owona invite à faire roter le pouvoir au Cameroun

Par Arnaud Laforme Djemo Tamko A peine publié, le livre de Joseph Owona, paru chez l'Harmattan et intitulé «Systèmes politiques…

Par Arnaud Laforme Djemo Tamko

A peine publié, le livre de Joseph Owona, paru chez l’Harmattan et intitulé «Systèmes politiques précoloniaux au Cameroun» suscite déjà la controverse. Certes, on peut avouer ne pas l’avoir lu, et de ce fait, ne pas être en droit d’en faire une critique. Néanmoins, si l’on s’en tient à l’idée générale de ce livre, dont l’auteur propose une rotation du pouvoir sur le plan de la tribu et, qui stipule que « l’alternativité régionale s’avérerait peut-être la plus souhaitable, consistant en une rotation du pouvoir suprême entre toutes les régions du pays ; Nord, Sud, Extrême-Nord, Ouest et Est, rompant avec le fameux ping-pong Nord-Sud ».

Il est possible de se demander comment réaliser un tel exploit politique sans toutefois laisser le soin au hasard, comme ce fut le cas, il y a quelques années avec une compagnie brassicole qui faisait gagner des lots à ses clients en faisant tourner « la roue de la fortune » ou sans conduire le Cameroun dans l’impasse d’une guerre ethnique ? S’il est possible de remarquer dans cet extrait présentant ce projet ambitieux, la présence de toutes les tribus du Cameroun, on peut se demander dès lors, quelle sera donc la prochaine tribu sur la liste, étant donné que le Nord et le Sud, depuis 1960 ont occupé respectivement pendant 22 ans et 33 ans, ce poste au sommet de l’Etat ?

Dans un pays miné par le tribalisme politique et économique, d’aucuns pensent que cette rotation du pouvoir serait une panacée, pour résoudre les frustrations nées des régimes qui se sont succédés au pouvoir. Mais, il est clair que c’est une poudre de perlimpinpin politique et transitionnelle que nous offre le professeur de droit comme Michel le magicien de la boîte à surprise. Dans un pays, où la distribution des richesses ne s’est jusque-là faite qu’à travers une minorité politique, que Charles Atéba Eyené par extrapolation, avait identifié comme étant le « pays organisateur », mais qui se recrute au sein de l’intelligentsia et des hommes d’affaires de différentes tribus, il serait bien difficile de convaincre d’autres tribus, qui chacune attend impatiemment son tour, si l’on s’en tient à ces orgies organisées çà et là, à la suite des nominations de « fils » de telle ou telle autre tribu, de céder l’occasion d’avoir pour-soi le pouvoir au détriment d’un autre, sans un principe objectivement différenciateur du pouvoir en soi.

Fondé sur un rapport de commandement/obéissance dans les sociétés modernes, tel que le présente Pierre Clastres (La Société contre l’Etat), le pouvoir obéit substantiellement à une logique de légitimité, dont le droit positif définit en substance la rationalité. Au-delà de ce critère rationnel, qui fixe la légitimité du pouvoir selon Weber, et dont il nous tarde de savoir par quel mystère le Professeur sera en même d’établir une loi de rotation qui oblige la masse des déshérités du Cameroun, a accepté tous, comme dirigeant, un homme représentant objectivement une tribu et s’affirmant culturellement comme tel, il existe la légitimité charismatique, née de l’aura personnel d’un individu, et dont la démocratie aujourd’hui permet l’expression à tous et à chacun, à moins de se créer une armée, ou encore la légitimité traditionnelle fondée par la coutume. La légitimité tribale du professeur Owona, ne répond à aucun de ces critères de légitimité.

Certes, en sa qualité d’intellectuel il peut faire des propositions. Mais compte tenu de la réalité politique et sociologique camerounaise, qui repose globalement sur le ressentiment des injustices d’hier et d’aujourd’hui ; celui des anglophones qui ne peuvent accepter de continuer inlassablement à jouer les seconds rôles , alors qu’ils estiment pour certains, à un certain moment qu’ils sont les ayant-droits du devenir Cameroun actuel ; celui des bassas ou des bamilékés qui estiment avoir payer un lourd tribut à la nation camerounais ou encore les peuples de l’Est qui se fonderont sur les richesses de leur sol et sous-sol pour revendiquer le pouvoir, construire un nouveau pacte social fondé sur la tribu, serait ressusciter les démons jamais enterrés d’un Cameroun où la construction de la conscience nationale reste embrigadée par la hantise de la vérité, et donc, soumise encore à la falsification historique. C’est un projet suicidaire à moins de procéder à quelques aménagements.

Pour construire l’Etat sur la tribu au Cameroun, il faut une réconciliation nationale, qui ne peut se faire que si l’on procède à un inventaire de nos acquis politiques et de leurs acteurs. Un tel exercice qui n’est pas mathématiquement insoluble, mais qui reste soumis à la logique des intérêts primaires, exige d’une part, la reconnaissance nationale de nos héros et au-delà de ceux-ci, du rôle qu’ont joué négativement d’autres dans notre histoire commune. D’autre part, l’équation demande de rendre un hommage national au premier président de la République, afin que l’histoire du Cameroun ne se fasse plus avec l’exclusion, même à titre posthume de certains de ses fils. Il ne s’agit là que de prémisses historiques. Lesquels doivent conduire dans le présent, à définir la responsabilité de chacun de ceux qui se trouvent aujourd’hui en prison pour des crimes économiques, et le rapatriement le cas échéant de la totalité des sommes détournées.

C’est à cette seule condition, c’est-à-dire, redéfinir notre vivre-ensemble sur la base de la vérité et de la réconciliation et non pas sur des appréciations ethniques du pouvoir tel que le fait l’élite actuelle, que l’avenir fondé sur la tribu peut-être accepté, parce qu’il suppose un nouveau départ à partir d’une même vision de l’histoire et un projet commun du futur. Il existe aujourd’hui au Cameroun, « une discordance suppositionnelle pour qualifier une situation où des individus, vivant ensemble, ne partagent plus la même conception de ce à quoi ils doivent obéissance, des représentations qu’ils se font de soi et de ses dépendances aux autres et à l’Autre » (Fethi Benslama, la guerre des subjectivités en islam, Cérès, 2014, p.11).

Le Cameroun est une poudrière, et il faut être myope ou de mauvaise foi pour affirmer le contraire. Ceux qui prétendent que « le Cameroun est uni et indivisible » se voilent les yeux en attendant de les ouvrir pour voir la catastrophe passer s’ils y survivent. Les émeutes de février 2008, nous ont donné de voir ce sentiment de haine enfouie, et l’agressivité refoulée s’exprimant directement à l’encontre des riches commerçants que certains pillaient en plein jour. Si ce « mécanisme victimaire » comme Girard (La Violence et le sacré) le nomme, se déchaîne à l’endroit des riches, dans une situation de crise, mais normale, puisque le pouvoir était garanti par la légitimité reconnue et acceptée par tous au départ, quid d’une situation, où il faut improviser une nouvelle façon de désigner les dirigeants dans un pays dévasté déjà par le tribalisme, le favoritisme et le népotisme, qu’entretiennent notamment certaines élites ?

Ce plaidoyer pour un retour à un Cameroun pré-politique, un Cameroun mythique, né de l’imaginaire du Professeur, parce que le système précolonial dont il fait l’apologie n’existait qu’à proprement parler pour chaque tribu – lesquelles aujourd’hui dans l’Ouest du Cameroun où il existe encore une survivance de ce modèle politique sont incapables désormais de se choisir un chef sans finir par la violence – et non pour une Nation reconnue comme telle, ne peut réussir sur les injustices déjà enregistrées. Et dans le « fameux ping-pong Nord-Sud » dont il parle, la balle est jusqu’ici restée depuis qu’elle a été jouée, dans un camp. Il n’y a donc pas de « ping-pong », mais une confiscation du pouvoir que seule une transition démocratique faite sur les bases de l’objectivité juridique avec sa norme électorale peut réaliser. A moins de vouloir que comme les deux précédentes, le prochaine tribu à accéder au pouvoir s’y accroche pendant 53 ans.


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