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La hiérarchie gouvernementale au Cameroun: que valent les grades ministériels?

Par Benjamin Ndjama L'organisation gouvernementale au Cameroun compte 5 niveaux : le ministre d'Etat, le ministre, le ministre délégué, le…

Par Benjamin Ndjama

L’organisation gouvernementale au Cameroun compte 5 niveaux : le ministre d’Etat, le ministre, le ministre délégué, le Ministre chargé de mission, le secrétaire d’Etat. Que recouvrent ces différents grades ? Que révèle cette classification ? Participe-t-elle d’un ordre hiérarchique cohérent ?

On découvre à la première lecture de l’acte de nomination du gouvernement actuel quelques curiosités : Il existe dans le gouvernement camerounais deux types de ministres délégués : Le ministre délégué placé sous l’autorité d’un autre ministre qu’on appelle encore ministre sans portefeuille et le ministre délégué à la présidence de la république. Ce qui est particulièrement frappant.

Lorsqu’on s’intéresse aux statuts des différents ministres délégués c’est la position qu’occupent les ministres délégués à la présidence dans l’ordre hiérarchique. Les ministres délégués à la présidence interviennent juste après les ministres d’Etat et avant les autres ministres dans l’acte de nomination. C’est ainsi que Le ministre délégué à la présidence chargé de la défense et le ministre délégué à la présidence chargé du contrôle supérieur de l’Etat semblent avoir une relative prééminence sur le ministre. Or le ministère délégué est supposé être inférieur à un ministre. C’est ainsi que l’ordre hiérarchique est établi dans les grandes démocraties.

Nous avons essayé de comprendre ce qui nous semblait être un paradoxe. Faut-il expliquer la position privilégiée dont jouit le ministre délégué à la présidence par son rattachement à Etoudi ? Ce qui signifierait qu’être raccordé à la présidence confère une ascendance particulière. Cet horizon d’explication est faible. Mbarga Mboa est un ministre chargé de mission à la présidence hors il est inférieur à un ministre dans l’ordre hiérarchique. Une autre donnée qui nous intrigue. Pourquoi un ministère doit être connecté à la présidence au lieu d’être un département autonome mais placé sous l’autorité du premier ministre ? Ce qui serait plus logique car c’est justement le premier ministre qui est le chef du gouvernement et non le chef de l’Etat.

Etre connecté à la présidence soustrait un ministre de l’autorité du Premier ministre ce qui entraînera de facto pour ce dernier la perte de contrôle d’une grande partie de l’action gouvernementale et par la suite une réelle difficulté à construire des coordinations, à peser sur des questions stratégiques. Les ministres délégués à la présidence ne rendent compte qu’au chef de l’Etat. Pourquoi surcharger la présidence en lui connectant certains départements ministériels. N’est-ce pas une autre anomalie du présidentialisme camerounais. Dans un pays comme la France le palais de l’Elysée est resté une maison très légère. C’est pareil avec la maison blanche aux Etats-Unis.

Il est possible que le poids d’un membre du gouvernement ne tienne ni à son rang comme ministre ou ministre d’Etat mais aux enjeux stratégiques des missions qui lui sont confiées. Le chef de l’Etat veut garder une forte proximité avec tout ce qui relève de l’armée, de la gendarmerie, de la police, du contrôle supérieur de l’Etat.
On constate aussi en lisant la composition du gouvernement actuel du Cameroun que le secrétaire général à la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh n’est pas ministre d’Etat. Il a rang de ministre. Or Atangana Mebara était secrétaire général à la présidence de la république avec rang de ministre d’Etat. Biya a-t-il voulu atténuer l’importance du SG de la présidence suite aux déboires des personnes qui ont occupé précédemment cette fonction ?

Le ministre d’Etat :
Les ministres d’Etat ont une préséance sur les autres et viennent tout juste après le premier ministre dans l’acte de nomination. L’accès à ce statut est souvent présenté comme une promotion. Le gouvernement actuel du Cameroun compte trois ministres d’Etat : Il y a le doyen Amadou Ali, le vieux briscard, le fils de kolofota. Il est vice-premier ministre, ministre d’Etat chargé des relations avec les assemblées. Il y a Bello Bouba Maigari, ministre d’Etat, ministre du tourisme et des loisirs. Il a enfin Laurent Esso, ministre d’Etat, ministre de la justice garde de sceaux.

Mais qu’est-ce qu’un ministre d’Etat ? Le statut de ministre d’Etat est un titre honorifique attribué à un membre du gouvernement dans plusieurs pays au monde. Il indique l’importance de son titulaire au sein d’un gouvernement. Le ministre d’Etat est placé protocolairement après le Premier ministre et avant les autres ministres.

Sur quels critères attribue-t-on à un individu le statut de ministre d’Etat ? Est-ce du fait de l’importance d’un ministère ? Et comment détermine-t-on l’importance d’un ministère ? Est-ce par le nombre plus ou moins important de directions qu’il possède ? Si c’était le cas René Emmanuel Sadi ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation serait ministre d’Etat. Or il ne l’est pas. Et pourtant il gère un département considérable ne serait-ce que par sa taille et ses attributions. C’est lui qui s’occupe de tout ce qui est consultations électorales, politiques de décentralisation, il assure la tutelle de l’Etat sur les collectivités territoriales. De même le ministre de l’économie, de planification et l’aménagement du territoire Louis Paul Motaze serait ministre d’Etat. Ses responsabilités sont immenses. C’est lui qui élabore le cadre global de planification stratégique de développement du pays, coordonne la stratégie de réduction de la pauvreté, élabore le programme d’investissement pluriannuel de l’Etat. Et pourquoi le ministre des ministres des Finances Alamine Ousmane Mey ne serait pas lui aussi ministre d’Etat. C’est le principal ordonnateur de l’Etat. C’est lui qui débloque les crédits pour tous les autres ministères. Certains spécialistes pensent même que le ministre des Finances est le ministre le plus puissant du pays. Tous les autres sont à sa merci. Il peut bloquer ou retarder l’attribution des crédits.

On constate à l’inverse que monsieur Bello Bouba qui gère un ministère de faible envergure, le ministère du Tourisme est ministre d’Etat. De même Laurent Esso qui est ministre d’Etat s’occupe d’un département de l’Etat qui n’appartient pas à la liste des mieux lotis ne serait-ce qu’en termes de budget.

On pourrait penser par ailleurs que le statut de ministre d’Etat est conféré à certaines personnalités politiques du fait de leur poids en tant que membres de la coalition. C’est ce qui pourrait justifier l’attribution de ce titre à Bello Bouba Maigari. Mais pourquoi ne l’avoir pas aussi attribué à Issa Tchiroma ?

Le statut de ministre d’Etat procède vraisemblablement d’une hiérarchie qui n’est pas fonctionnelle mais personnelle.

Dans les pays où ce statut a été instauré il fut souvent attribué à des personnalités politiques qui s’étaient distinguées comme méritantes dans la vie publique. André Malraux et Felix Houphouët Boigny furent ministres d’Etat sous le régime du général de Gaulle.

Nous avons 3 ministres d’Etat Amadou Ali, Bello Bouba, Laurent Esso. Peut-on accréditer ces individus d’un talent particulier qui justifierait ce statut ? Cette interrogation conduit à une autre qui est beaucoup plus technique. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences avait établi une distinction entre la notion de compétence et la notion de performance. Qu’est-ce qui prévaut dans l’évaluation des individus à Etoudi ? Est-ce la compétence ? Est-ce la performance ?

La compétence renvoie au savoir-faire, à l’expérience. La performance renvoie à la capacité d’un individu à produire des résultats. La compétence ne produit pas toujours des résultats. La capacité à produire des résultats peut dépendre des considérations psychologiques comme la motivation ou le sens de l’intérêt général.
La performance de nos ministres d’Etat serait difficile à démontrer. Par contre ce sont des hommes de grande compétence. Cette compétence tient d’abord à leur longévité dans les hautes sphères de l’Etat.

Amadou Ali, 71 ans, est ministre depuis 1982. Il a survécu à tous les remaniements. Il est allé de l’Administration territoriale à la Justice en passant par la Gendarmerie avec des escales à la Présidence. Il maîtrise jusqu’au bout des doigts l’appareil sécuritaire de l’Etat. Laurent Esso, magistrat hors échelle, 74 ans il est le doyen du gouvernement. Il sillonne les hautes sphères décisionnelles depuis 1982. Son très long séjour aux affaires a été fait de déambulations entre la Justice et la présidence de la République (comme directeur du cabinet civil et secrétaire général à la présidence), en passant par la santé et la défense.

Tout comme Amadou Ali et Laurent Esso on peut accréditer Bello Bouba d’une grande connaissance de l’appareil de l’Etat. Il a été Premier ministre de la République unie du Cameroun du 06 novembre 1982 au 22 Août 1983. Il est sorti du sérail et a connu un moment d’exil. Le vent du multipartisme aidant, Il est revenu aux affaires à la faveur d’un accord de gouvernement et n’en est plus ressorti.

Mebara Atangana disait de Biya qu’il était un homme des dossiers. C’est ceux qui savent travailler leurs dossiers qui parviennent à le séduire. Faut-il élargir sur cet ordre de considérations la justification à leur longévité aux affaires et leur consécration comme ministre d’Etat ? Nous trouvons cet horizon d’explication vraisemblable. Mais certainement pas exclusif. Il ne saurait être exclusif dans le cas d’Amadou Ali notamment. Il a été mêlé à trop de complots, à trop de coups tordus pour qu’on le soupçonne d’avoir une mission politique spécifique. Nos 3 ministres d’Etat sont d’abord des ministres politiques. Ils survivent à tous les remaniements parce que Biya a besoin de leur présence pour des mobiles qui relèvent de la stratégie.

Le grade de ministre
Le grade situé juste après celui de ministre d’Etat dans la hiérarchie gouvernementale est celui de ministre. Pour le doyen d’université Bockel le département ministériel résulte de la conjonction d’un double phénomène : La division du travail et le principe hiérarchique. Le premier consiste à repartir les diverses missions de l’Etat en grands secteurs d’activité homogènes, le second à regrouper l’ensemble des services concernés sous l’autorité d’un homme politique : Le ministre.

La plupart des auteurs qui ont étudié la fonction ministérielle ont souligné à l’envie son caractère hybride. D’une part il apparaît pour reprendre les termes du doyen d’université Bockel comme l’autorité supérieure de l’action des services d’un département ministériel d’autre part en effet en tant que membre du gouvernement, il fait partie de l’organisme politique et à ce titre il est parfois appelé à participer aux décisions concernant l’ensemble des affaires de l’Etat. Mais nous sommes là dans la teneur minimaliste du concept. Il arrive qu’on relève avec insistance parlant d’un ministre, que c’est un ministre politique, ou d’une fonction qu’elle est politique. Cette précision sur laquelle s’attardait Max Weber suppose que tous les ministres et toutes les fonctions de l’Etat ne sont pas nécessairement politiques.

Le politologue allemand Max Weber expliquait à cet effet : « Lorsqu’on dit d’une question qu’elle est politique, d’un ministre ou d’un fonctionnaire qu’ils sont politiques, d’une décision qu’elle est déterminée par la politique, il faut entendre par là dans le premier cas que les intérêts de la répartition, de la conservation ou du transferts du pouvoir sont déterminants pour répondre à cette question, dans le second cas que ces mêmes facteurs conditionnent la sphère d’activité du ministre en question et dans le dernier cas qu’ils déterminent cette décision ». Le savant et le politique
Le gouvernement actuel du Cameroun n’est pas très politique au sens Weberien Du termes. Il n’a pas beaucoup d’idéologues. Et ceux qui le sont ne pavanent pas beaucoup sur les plateaux télé. Ils préfèrent laisser ce travail à Hervé Kom et Messanga Nyamding les tâcherons bénévoles du militantisme officiel.

Certes les ministres d’Etat Amadou Ali et Laurent Esso sont très politiques par le rôle qui leur a été assigné dans la traque des adversaires. Amadou Ali est le maître d’ uvre de l’opération épervier. Le ministre de la communication et porte-parole autoproclamé du gouvernement est un ministre très politique de par sa responsabilité dans le contrôle de l’opinion publique. Le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation René Emmanuel Sadi exerce une fonction très politique même s’il ne bavarde pas beaucoup. Il doit empêcher au maximum la profusion des jacqueries et veille à ce que le système électoral soit toujours favorable au chef de l’Etat.

Sur le plan strictement intellectuel le gouvernement actuel est assez bien étoffé. Les ministres ayant un grade d’enseignant d’université sont toujours nombreux. Les faiblesses de ce gouvernement se trouvent ailleurs. On y trouve pas encore ce qu’on pourrait appeler des politiciens de grande envergure. Qu’est-ce qu’un politicien de grande envergure ? Trois critères nous semblent essentiels pour le définir : Premièrement il émerge au sein d’un parti politique comme le chef de fil d’un courant d’idées. Il a derrière lui de vastes soutiens. On parlera souvent en France des Fabuissiens, des strauss-khaniens, des juppéistes pour signifier que les politiciens dont les noms renvoient à ces adjectifs incarnent des courants politiques.

Un autre élément nous semble tout aussi important. La politique est un art de la rhétorique. Les grands politiciens sont d’abord ceux surplombent la scène par un maniement habile du verbe, une réelle capacité à élaborer des discours porteurs. Ils se sont imposés par la richesse de leurs analyses.

Les ténors de la politique se démarquent en outre par le caractère. Ce sont des hommes de forte personnalité. Un ténor c’est celui qui est capable de se distinguer du commun des politiques par son indépendance et sa liberté d’opinion. C’est celui qui est capable de dire non au chef du parti, au chef de l’Etat s’il milite dans le parti aux affaires. Si on reste dans les références françaises on citera à gauche Emmanuel Macron, Arnaud Montbourg, à droite Alain Jupé, François Fillon.

On ne trouve pas dans le gouvernement actuel plus de deux ministres qui pourraient correspondre à un seul de ces critères. Peut-être Grégoire Owona qui fut pendant des années l’un des chefs de fil des progressistes du RDPC avec Ekindi. On en vient donc à la principale faiblesse de ce gouvernement. Il lui manque de fortes personnalités politiques capables de donner à la fonction ministérielle toute la hauteur qu’elle mérite. Biya -t-il de la peine à trouver des individus qui pourraient porter très haut l’action gouvernementale ? Est-ce plutôt un choix délibéré de s’entourer de personnes sans charisme ? C’est-à-dire des individus qui ne pourront jamais lui faire ombrage par leur rayonnement. On pourrait tout aussi approcher la réalité avec une lecture aimable en cherchant dans le profil d’hommes privilégié par Biya la primauté donnée à la technocratie sur la politique.

Dans une technocratie, on confie la gestion des affaires publiques à des spécialistes dont le savoir-faire technique doit permettre au pays de naviguer en eaux agitées en évitant les écueils. Les technocrates sont des gestionnaires qui prennent la place des politiciens. Entre leurs mains la politique à adopter relève de l’ingénierie civique. La technocratie s’inscrit dans un horizon postpolitique. Est-ce une mauvaise chose ? Il ne fait aucun doute qu’un régime technocratique peut afficher de beaux résultats : Le miracle économique chinois en est le meilleur exemple. Et un chef de gouvernement comme Mario Monti a été sans doute un meilleur administrateur des affaires publiques qu’un Silvio Berlusconi.

L’évaluation Des compétences rassemblées dans l’actuel gouvernement du Cameroun laisse penser que le président de la république est désormais réticent à propulser aux fonctions ministérielles des individus qui ne peuvent pas justifier d’un long séjour à des postes de responsabilité. La technocratie de Yaoundé est une mosaïque très disparate d’experts dont certains viennent de l’Université, Ngole Philippe ; de la haute administration, Emmanuel Ngounou Djoumessi, Mbah Acha ; du monde de l’entreprise, Ngalle Bibehe, Atangana Kouna.On peut les accréditer d’une expérience jalonnée de missions diversifiées dans les hautes sphères du public et du privé.

Le secrétaire d’Etat
Les secrétaires d’État sont membres du gouvernement, au dernier échelon de la hiérarchie ministérielle et placés sous l’égide d’un ministre, ou parfois du seul Premier ministre. Les secrétaires d’Etat disposent de beaucoup moins de pouvoir que les ministres délégués. Ils ne gèrent pas de budget propre et ne peuvent pas signer de décrets. Au bas de l’échelle dans l’ordre protocolaire du gouvernement, ils sont les plus éloignés géographiquement du président et du premier ministre à la table du conseil des ministres.

Lors des cérémonies publiques, ils sont également placés aux derniers rangs des membres du gouvernement, selon l’ordre de préséance établi par le protocole officiel. Selon ce même ordre, ils sont autorisés à prendre la parole en premier, puisque les allocutions « sont prononcées par les autorités dans l’ordre inverse des préséances ». Les secrétaires d’Etat sont également légèrement moins bien payés que leurs homologues ministres et ministres délégués.

Palais d’Etoudi à Yaoundé.
Droits réservés)/n

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