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La «tontine», une autre forme de banque en Afrique

Association d'épargnants basée sur la seule confiance mutuelle entre individus, cette pratique a la cote dans plusieurs pays africains, du…

Association d’épargnants basée sur la seule confiance mutuelle entre individus, cette pratique a la cote dans plusieurs pays africains, du Bénin au Cameroun, en passant par le Togo et le Rwanda

Association d’épargnants basée sur la seule confiance mutuelle entre individus, la pratique de la tontine a la cote dans plusieurs pays africains.

Autrefois les Africains se groupaient pour travailler ensemble successivement leurs champs respectifs ou pour construire la maison d’un Tel ou un Tel dans le village. Aujourd’hui, ils perpétuent cette action d’entraide à travers la « tontine », économie moderne oblige.

« La Banque des défavorisés », aiment à dire certains, « l’apanage des faibles », préfèrent les autres. Ce n’est pas une banque au sens propre du terme, mais plutôt une tontine qui poursuit son petit bonhomme de chemin dans plusieurs contrées africaines.

Il s’agit d’une association de personnes qui, unies par des liens familiaux, d’amitié, de profession ou de région, se retrouvent épisodiquement afin de mettre en commun leur épargne, en vue de financer des projets particuliers ou collectifs.

Du Bénin au Cameroun, en passant par le Togo et le Rwanda, ce système de financement qui existait bien avant l’introduction de la monnaie dans l’économie, réunit des épargnants qui investissent des fonds en commun avec un horizon de placement déterminé entre 10 et 15 ans. Au terme de l’association, les fruits de l’opération sont intégralement répartis entre les sociétaires.

Au Bénin, « plus de 60% de la population recourent aux services de la tontine pour financer de petits projets, acheter des biens et surtout régler des problèmes ponctuels », dit un fonctionnaire de l’Institut national de la statistique et d’analyse économique (Insae). Selon lui, le «gbè» (appellation de la tontine en Fon, une langue locale) intéresse aujourd’hui non seulement les petits budgets, mais aussi d’autres couches sociales.

Rigobert Obossou, 54 ans, est tontinier depuis une vingtaine d’années. Ses quelques 80 souscripteurs sont des petits commerçants au Gbégamey, l’un des marchés secondaires de la ville de Cotonou. Tous les soirs, il doit se rendre au marché, un sac en bandoulière, pour collecter leur mise.

« Moi, je fais la tontine journalière et j’offre plusieurs mises. Certains souscrivent à hauteur de 500 francs Cfa (0,83 USD) par jour, d’autres 1.000 francs Cfa (1,67 USD), d’autres encore 5.000 francs Cfa (8,37 USD). Tout dépend de la capacité et des recettes de chacun », explique ce tontinier rencontré au marché Gbégamey.

A la fin de chaque mois, et selon la mise choisie, un souscripteur récupère son épargne. « Pour la mise de 500 francs Cfa, les souscripteurs sont au nombre de trente et chacun ramasse 14.500 francs CFA (24,27 USD), si le mois compte trente jours. Pour la mise de 1.000 francs Cfa, on dénombre également 30 souscripteurs, alors que pour celle de 5.000 francs Cfa, seules 20 personnes souscrivent », détaille-t-il.

Au Rwanda, le système tontinier vit également de beaux jours. La Banque centrale du pays estime à 416 le nombre d’associations exerçant dans le domaine.

Près de 42% des Rwandais ont aujourd’hui recours aux tontines pour financer leurs petits projets, contre 19% en 2012, selon la Banque Nationale du Rwanda (BNR).

« Nos populations font rarement confiance aux banques classiques. Les agriculteurs sont les premiers à solliciter les services des tontines. Ils sont jusque-là très satisfaits, étant dispensé des démarches requises par une banque formelle », affirme Thomas Kigabo, économiste en chef à la Banque Nationale du Rwanda (BNR).

En 2016, environ 5 millions de Rwandais sur une population de 12 millions d’habitants sont financièrement inclus dans les circuits financiers ordinaires, d’après les autorités rwandaises. La bancarisation est estimée à 23%, actuellement. Pourtant le pays compte 12 banques commerciales.

Une bonne partie de la société togolaise éprouve le même engouement pour ce système de financement ayant pour unique garantie la confiance des uns et des autres. « Il existe à ce jour 200 institutions de micro-finance à travers le territoire togolais. Près de 80 % de ces institutions font de la tontine leur produit standard, totalisant 1,8 million de souscripteurs », fait observer Ange Ketor, directeur de l’Association professionnelle des Institutions de Micro Finances du Togo (Apim).

Si ce produit intéresse bon nombre de Togolais, c’est en raison de la souplesse de ses mécanismes. « Ceux dont les revenus sont limités, voire, modestes sont les plus nombreux et se contentent des services de la tontine, alors que les plus aisés cumulent tontine et épargne classique », détaille Ketor.

La tontine occupe une place importante dans le système financier togolais et y contribue à hauteur de 70 à 75 milliards de Fcfa (120-150 millions USD), relève le directeur de l’Apim.

Le tableau n’est pas non plus moins reluisant au Cameroun, où 58% des habitants actifs préfèrent les tontines aux banques traditionnelles, d’après un document du ministère des Finances.
Selon des estimations non officielles, les tontines gèrent et opèrent des transactions à hauteurs de 190 milliards de Fcfa (327,7 millions USD), au Cameroun.

Si la tontine sert à certains des égards des causes dignes d’estime, elle n’est toutefois guère pas dépourvue d’insuffisances, de risques et d’impacts plus ou moins négatifs sur les mécanismes de financements formels et ordinaires, de l’avis des différents experts et analystes interrogés.

L’économiste et universitaire rwandais, Teddy Kaberuka, n’y va pas par quatre chemins : « Les tontines ne sont pas mauvaises, mais elles sont financièrement limitées pour ce qui est de l’octroi de prêts. Il faudrait, dès lors, concevoir des mécanismes pour raccorder les tontines aux banques classiques, en vue de profiter et aux souscripteurs et aux économies nationales, en insérant les transactions qu’elles opèrent dans les circuits ordinaires taxables. »

Auriel Agbohouè, statisticien et expert béninois en microcrédits, lui, met en garde contre certains risques: « Toute personne peut se transformer, du jour au lendemain, en tontinier sans nécessairement avoir besoin d’une autorisation officielle, avec tout ce que cela comporte comme risques », avertit-il.

Un tontinier risque, explique-t-il, de se faire braquer, en transportant de l’argent liquide. L’autre type de risques se rapporte, selon le statisticien, à la fiabilité des souscripteurs, vu que certains d’entre eux disparaissent ou se retirent avant de rembourser leurs dus.

Les tontines qui ont vu le jour au Nigéria en 1952, attestent de la bonté et de l’élan solidaire d’une population africaine de tout temps philanthrope et généreuse. Dans le reste du monde, ce système financier informel très développé surtout en Asie remonte à 1275 au Japon, selon une étude du Centre du développement global et de la recherche (Groupe de réflexion international indépendant à but non lucratif).


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