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La «touche Biya» confond tout le monde

À décrypter la configuration de la nouvelle équipe, le président a encore été fidèle à sa méthode, à savoir: rendre…

À décrypter la configuration de la nouvelle équipe, le président a encore été fidèle à sa méthode, à savoir: rendre illisibles ses recrutements et limogeages

«Avec Paul Biya, on a affaire à des défis abstraits qui absorbent les uns et les autres nuit et jour. Avec cet homme, les citoyens se jettent joyeusement et avec toutes leurs forces dans des combats, sans savoir ce qui les attend au KO final». Commentaire à chaud de Charles Ndongo, quelques minutes seulement après la publication officielle du gouvernement de décembre 2011.

«La touche Paul Biya, c’est un contremonde, inverse de celui des réalités souhaitées», ponctuait ainsi l’actuel directeur central de l’information à la télévision nationale.

Cette année-là, l’éditorialiste de la Cameroon radio television (CRTV) n’a pas ménagé sa réflexion. Il apprenait à l’opinion qu’avec le chef de l’Etat, tout est imprévisible, parce que construit sur un niveau décisionnel non officiel qui dicteles gestes politiques et, par-là, détermine le destin d’une nation.

A l’exception de la mise à l’écart de Ferdinand Koungou Edima (ex-ministre de l’Administration territoriale) et de Jérôme Mvondo (ex directeur général de la Société des presses et d’éditions du Cameroun), Paul Biya a toujours pris son temps avant de nommer quiconque à un poste de responsabilité.

Depuis le 06 novembre 1982, cela s’est pérennisé. Cette pérennité d’attitude a encore été de mise malgré l’existence supposée ou avérée des réseaux intervenant dans la conduite des affaires publiques. «Ces groupes plus ou moins formels où chacun aspire aux honneurs et fonctions de prestige tout en négociant sa fidélité, font croire à l’opinion qu’ils sont les interlocuteurs influents et discrets intervenant dans le choix des individus. la gamme des possibles explorés depuis les élections de septembre 2013 n’a pas d’image dans le gouvernement réaménagé le 02 octobre 2015», analyse Bonaventure Ella. «Mais, poursuit le politologue, ces jours-ci, le président a encore distillé sa puissance en restant sur sa ligne sans se soucier des hypothèses agitées de l’opinion nationale, ni d’associer ses conseillers aux arbitrages».

En décidant de mettre en place un nouveau gouvernement vers la fin du second semestre de 2015, Paul Biya a une fois de plus fait briller la lueur sereine d’un homme qui sait entretenir les cauchemars et les beaux rêves.

Méthode
«Très fort, très fin, très imprévisible, très lent.» Cela ne saurait plus être un nouveau jeu des superlatifs. Dès son retour de Baden Baden (Allemagne), Paul Biya, tel un pilote d’un navire sur les flots, a tout simplement laissé le débat sur le nouveau gouvernement entre les mains d’animateurs dont la voix a surtout trahi la panique et les fantasmes.

En effet, depuis son discours pamphlétaire du 31 décembre 2013, une partie non-négligeable de l’opinion est restée convaincue que la question d’un remaniement ou d’un réaménagement ne pourrait plus être reportée à plus tard. Paul Biya, durant ce temps, n’a pas appréhendé l’idée de faire vite, ni même d’obéir à un protocole.

On lui demandait alors à quoi il se raccrochait dans les moments difficiles, avec en arrière-pensée l’insécurité, les balbutiements de la croissance, le plan d’urgence et les rapports assassins de certaines organisations non gouvernementales. Et pendant ce temps, les tics nerveux de certains membres de l’équipe gouvernementale et les combats entre les élites s’amplifiaient, de même que dans la presse nationale et internationale, des articles dynamitaient chaque jour la bande à Philemon Yang.

A Etoudi, le concept de la «rareté médiatique» du président a contaminé tout le monde. Seuls des instants exceptionnels et d’autres occasions d’explication en off laissaient échapper la parole présidentielle. Puisque rien ne venait, c’est Issa Tchiroma Bakary, voix forte s’il en est, qui s’est chargé de dire que «le temps du président de la République n’est pas le nôtre». Ce temps visiblement, le locataire du palais de l’Unité se l’est offert pour mieux cerner la part individuelle dans l’engagement collectif. Question d’observer les amis qui se trahissent, les ministres liés par la parenté se déchirer dans la presse et enregistrer les illusions enthousiastes de ceux qui veulent revenir aux affaires. Et bien sûr, enrayer le cycle infernal de publication des listes de «ministrables».

Curiosités
En regardant de très près certains de ces duels, la configuration du gouvernement du 02 octobre 2015 rend soudain compte qu’au-delà de l’inimitié personnelle ayant parfois guidé le bras cruel voire assassin de tel ou tel, son issue a eu de véritables conséquences politiques.

Dans la Lékié, Essimi Menyé est parti. Mais comme entre ce département et Etoudi c’est un mariage «d’amour et de raison», Eyebe Ayissi est désormais le seul ministre plein appuyé par deux secrétaires d’Etat.

Le cas de Paul Louis Max Ayina Ohandja est pour le moins bizarre. Il a été porté au secrétariat d’Etat au Travaux publics chargé des routes alors qu’il est sous le coup d’une déchéance du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe). Il est tombé dans le filet en même temps que Bruno Bekolo Ebe et d’autres cadres de l’université de Douala. Seul Paul Biya peut justifier son retour en scène. Les mille et une escarmouches physiques et verbales ayant opposé, durant de longs mois, les grands ténors du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) dans la Lékié par exemple, demeurent toujours aussi édifiants qu’intrigants.

Le président du parti des flammes a néanmoins maintenu Henri Eyebe Ayissi au rang de ministre plein cloîtrant Benoît Ndong Soumhet au banc de secrétaire d’Etat. Preuve qu’il donne raison au premier nommé.

On n’oublie pas le scandale d’un Bapès Bapès épinglé par le Tribunal criminel spécial et mis aux arrêts, celui de l’expédition honteuse d’Adoum Garoua avec les Lions indomptables au Brésil, ni celui du faux décollage de Camair-Co et de l’engorgement artificiel du port de Douala avec Robert Nkili comme pilote, encore moins les symphonies inaudibles dans le droit d’auteur composées par Ama Tutu Muna.

Sans être exhaustif, «tout cela a faisait profondément de l’action de l’équipe de 2011 un jeu où les uns et les autres, pour une bonne part ont déjoué leur responsabilité, et survivait grâce à une flexibilité des apparences, grâce à un détachement et à une stratégie immorale (collective sans aucun doute, mais non visible et non concertée, et déconcertante pour elle-même) vis-à-vis de ses propres valeurs», explique Bonaventure Ella.

Equivalences
Fidèle à ses habitudes, Paul Biya a encore satisfait les ego politiquement. Comme c’est la règle depuis 1982, «les équivalences stratégiques» (l’expression est de Augustin Kontchou Kouemegni) ont laissé la porte ouverte à toutes les combinaisons. Parce que Paul Biya sait aussi cravacher ses plus loyales créatures.

Exemples de Pierre Moukoko Mbonjo et Pierre Titti, coupables d’on ne sait trop quoi en dehors de la déculottée qu’a subi le RDPC à Yabassi. A leurs places, trônent désormais Lejeune Mbella Mbella et Narcisse Mouelle Kombi.

Bapès Bapès (et ses démêlés avec le Tcs) a cédé le fauteuil à Ernest Ngallè Bihèhè. A Emmanuel Bondé (natif de la région de l’Est), Paul Biya a préféré le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Bertoua, Dieudonné Samba. Certainement qu’en choisissant Beti Assomo comme nouveau ministre de la Défense, le chef de l’Etat a voulu compenser les deux postes «perdus» par le Nyong et Mfoumou.

Comme toujours, c’est comme s’il n’y avait qu’un fauteuil pour deux, et que les toutes prétentions ne pouvaient être satisfaites.


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