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Le despotisme légal et l’idéologie du chiffre au Cameroun

Par Olivier Tchouaffe, Contributeur du CL2P Pendant des années depuis l'indépendance du pays, le Cameroun a réussi à construire une…

Par Olivier Tchouaffe, Contributeur du CL2P

Pendant des années depuis l’indépendance du pays, le Cameroun a réussi à construire une technocratie efficace et instruite, incarnée par des professionnels comme Pierre- Désire Engo qui est passée de la pauvreté aux échelons supérieurs de la haute administration camerounaise essentiellement grâce à ses mérites intrinsèques. La conséquence logique qu’on aurait pu attendre de cette forme d’ascension sociale et professionnelle au mérite serait qu’elle traduite par une pratique politique le prisme principalement de la persuasion, de la raison et de l’intellect. Or il semble malheureusement avec le temps que l’état de droit, l’usage de la raison critique, l’expansion des libertés individuelles, et même la tolérance de la différence voire de la diversité ne soient toujours pas une réalité dans un pays toujours en construction.
Le Cameroun est ainsi le seul pays au monde à avoir l’équivalent d’un gouvernement en prison.
L’idée consistant à considérer à considérer cette incarcération massive une magnitude inégalée comme LA preuve que toutes ces personnalités manquent d’intégrité et ne sont pas dignes de respect est en soi un non-sens. Car loin de résoudre le problème de corruption dans ce pays – puisqu’il fait toujours partie des plus corrompu de la planète – la vraie question est de savoir pourquoi tous ces hauts fonctionnaires sont en prison? Le despotisme légal semble la réponse appropriée.

En effet cette forme légale de despotisme est une tactique courante dans les régimes autoritaires du monde entier, et le Cameroun n’en fait pas exception. De nos jours, les citoyens ordinaires perçus comme des opposants à ces régimes meurent rarement dans des accidents d’avion ou de voiture suspects. L’objectif du despotisme légal est de discréditer et d’anéantir à jamais la compétence donc le mérite intrinsèque de ces professionnels pour lui substituer la logique de contribution. Le spectre du despotisme légal se passe partout dans le monde, notamment dans les pays autoritaires comme le Cameroun où les dirigeants ne tolèrent aucune dissidence. Les citoyens ordinaires qui font de l’ombre à ces régimes sont tournés en dérision, brandis comme incompétents, politiquement motivés, séditieux ou corrompus. La catégorie d’«opposant» devient un objet bio-politique et l’opposant est déchu de ses droits civiques et embastillés. En réalité le but du despotisme légal est d’intimider et de réduire au silence. Cette stratégie peut s’avèrer particulièrement effective, notamment dans la manière avec laquelle elle amène d’excellents professionnels à se conformer à un ensemble de règles non écrites. Au fil du temps ces normes implicites n’ont plus besoin d’être inculquées, puisqu’elles sont interioriséees pour des raisons de survie personnelle et professionnelle. Le dictateur n’épprouve même plus le besoin de les imposer au reste de la société. La docilité et la mendicité le font pour lui.

Il faut reconnaître que le véritable impératif est la construction d’une démocratie civique véritable qui prend en compte le caractère pluraliste du Cameroun contemporain.
De nos jours la «démocratie» Camerounaise est privatisée par une petite clique qui partage la conviction que la démocratie devrait fonctionner uniquement pour eux et eux seuls.

Cette «démocratie» privatisée est circonscrite et contrôlée par une élite égoïste, marginalisant l’écrasante majorité, afin de monopoliser de plus en plus de pouvoir pour eux-mêmes. Étant donné que la mobilité professionnelle par l’ascension sociale ne fonctionne plus, l’exlusion devient rampante, l’élite façonnée par Paul Biya atteint un tel niveau d’extase du pouvoir qu’elle finit par penser maintenant que son monopole est un don de Dieu. Le Cameroun a atteint le point où l’État sert ou est au service de quelques familles, et est le prélude d’un désastre.

Dans le despotisme légal, du point de vue de l’accusé, les faits et les arguments importent peu parce que le doute ne profite jamais à l’accusé qui n’est pas autorisé à bénéficier d’une quelconque défense. Ainsi avec tous les prisonniers politiques accusés opportunément de corruption, le régime de Yaoundé manipule en permanence les chiffres et les statistiques. Mais personne ne peut et ne doit les contester. Ces chiffres sont en effet brandis comme des faits objectifs par une propagande massive et Ad Nauseum et une justice aux ordres pour justifier l’incarcération massive des hauts fonctionnaires qui sont en réalité considérés comme des «opposants politiques».

Dans ce système autoritaire, le chiffre fait la loi.
L’incarcération massive de la plupart des fonctionnaires éminents au Cameroun est liée à la «comptabilité créative» parfaitement illustrée et exécutée dans l’affaire dite Albatros, du nom de cet avion que le président Biya avait tenté d’acquérir «en toute discrétion» en contournant les avis défavorables du Fonds monétaire international. C’était de fait une de ses nombreuses privatisations des finances publiques camerounaises, après pourtant qu’il ait claironné pendant des années que «le Cameroun n’ira pas au FMI». Cette perversion de la politique économique et financière s’est notamment accompagnée par une vraie subversion de la Justice, parce que l’acquisition illégale de l’Albatros avait fait remonter à la surface les propres indélicatesses du chef de l’État avec la fortune publique et les dysfonctionnements de son mode de gouvernance. Alors il n’a pas trouvé mieux pour se défausser de sa responsabilité que de mettre tout cela sous le compte d’un complot ourdi contre lui par certains de ses plus proches collaborateurs.

Mais imaginons un instant que l’Albatros n’ait pas fait surgir tous ces manquements graves et soit donc toujours entrain de voler au service exclusif du couple présidentiel du Cameroun. Rien n’indique que le premier ministre Ephraïm Inoni et les autres dignitaires du régime tels que Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara ou Yves-Michel Fotso (la liste n’est en aucune manière exhaustive), n’auraient eux aussi pas été tenté d’embastiller leurs geôliers d’aujourd’hui, même si nous leur reconnaissons à tous la qualité de prisonniers politiques, à l’instar de tant d’autres institutions internationales.

Tout cela pour dire que l’incarcération massive et à grande échelle de dignitaires d’un régime politique doit nous interpeller d’abord dans nos valeurs puis notre propre relation avec la vérité ou les faits objectifs, la comptabilité et l’idéologie, indépendamment de l’idée que la comptabilité et la statistique sont basées sur les mathématiques et la science exacte, qui leur garantit tout leur le caractère objectif. Mais la comptabilité et la statistique peuvent aussi devenir idéologiques. C’est ce que nous démontre la «comptabilité créative», quand aux États-Unis elle profite largement à Wall Street, et que ailleurs dans des pays comme le Cameroun elle devient uniquement instrument politique, fait de manipulation systémique des chiffres, dont ceux du recensement jamais publiés sont la parfaite illustration. Personne ne sait par exemple combien de Camerounais devraient réellement figurer sur les listes électorales, dans cette stratégie délibérée du régime en place consistant à marginaliser démographiquement donc politiquement au maximum les populations et les territoires jugés peu dociles, cette diaspora considéré comme dérisoire par son nombre et insignifiante dans sa contribution au développement du Cameroun.

Dans ce contexte la comptabilité et la statistique ont d’abord des effets normatifs. Les nombres (souvent fantaisistes) sont prioritairement avancés pour justifier des lois iniques, auxquelles le régime en place confère une valeur quasi mathématique et physique.

Nous découvrons donc que les chiffres peuvent avoir un pouvoir symbolique et dogmatique, et que les gens ordinaires peuvent avoir tendance sous la propagande politique à croire en ces chiffres comme des actes de foi. On aboutit à un système politique et juridique fondé sur la foi. Pourtant, même dans nos sociétés rituelles traditionnelles les lois ne sont pas imposées de l’extérieur, elles obéissent à une certaine discipline des normes, des comportements, des attitudes et des devoirs réciproques appropriés. Le rituel n’est ni naturel ni artificiel parce que les rites évoluent au fil des temps, en s’appuyant sur un système de stabilité et de prévisibilité pour garder le sens et cultiver la notion de devoir, de la loyauté, et de sacrifice.

Dans le despotisme légal ou juridique à la camerounaise, le droit est ce que la structure du pouvoir dit qu’il est. Les lois sont imposées de haut en bas.
Il est important de changer ce discours totalitaire basé sur le nombre, dont le seul but est l’élimination par l’humiliation des grands et respectables commis de l’État, que la dictature en place perçoit comme ses opposants politiques (internes). Car humilier ces professionnels compétents peut rassurer un peuple affamé en le divertissant avec un beau cirque politico-judiciaire dont le ressort est uniquement la politique du ressentiment, des rivalités villageoises, des coups bas. Mais cela ne participe pas à la construction d’une justice sociale, d’une classe politique stable, et encore moins d’une bonne gouvernance.


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