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Le ministère de la santé «publique» impose la mort aux Camerounais pauvres

Par Man Bene Il n'existe plus de sens logique au Cameroun. Depuis de nombreuses années, la norme est inversée. Pour…

Par Man Bene

Il n’existe plus de sens logique au Cameroun. Depuis de nombreuses années, la norme est inversée. Pour preuve, l’unique ambition sérieuse, pour le régime actuel, c’est de rester au pouvoir. Pour ce faire, il faut organiser des marches de soutien à un système séculaire, demander l’anticipation des élections présidentielles ou appeler à la candidature d’un homme-dieu à ce qui sera, une fois encore, un simulacre de vote. En l’état actuel du décentrement de la question sociale dans le profilage de la politique de gestion collective des droits des citoyens, il n’est donc pas surprenant de constater que le peuple, dans son quotidien, ne soit pas pris en compte.

En effet, ce 12 mars 2016, l’hôpital Laquintinie de Douala, au-delà des habitudes de scènes et événements rocambolesques ayant cours dans cette institution sanitaire, une femme y perd la vie avec ses jumeaux dans le ventre. Cela se passe devant l’indifférence et le cynisme du personnel travaillant aux urgences ce jour-là. Pour comprendre la gravité rare de ce qui s’est passé, il faudrait peut-être redonner aux mots leur importance et par là toute la mesure de leur signification.

D’ailleurs, les mots ont-ils encore du sens au Cameroun ?
Un pays qui a sacrifié les concepts de «rigueur» et de «moralisation» sur l’autel du profit et du nombrilisme, sait-il encore que l’hôpital est un lieu où on fait tout pour sauver des vies ? Sait-on encore au Cameroun que le mot hôpital vient du latin «hospitalis» qui signifie à l’origine un «établissement où l’on reçoit gratuitement des pauvres, des infirmes, des enfants, des malades.» Le Robert précise même que l’hôpital est «un établissement où l’on recevait les gens sans ressources, pour les entretenir, les soigner». Cette acception du mot justifie, par la suite et à juste titre, qu’on parle d’ «hospitalité» ou d’ «hospitalisation» car il y a bien, dans ces deux mots, les idées successives de refuge, réception, logement, accueil qui sont ici mises en valeur.

L’hôpital accueille ainsi des personnes (malades) dont la santé nécessite une prise en charge plus ou moins rapide. Entre autres services dans un hôpital, il y a, naturellement, celui des urgences. Au Cameroun où les mots ne veulent plus rien dire, sait-on encore que «urgence» vient aussi du latin «urgens», dont le verbe « urgere » signifie «pousser», «presser»? Selon la situation du malade, le placement aux urgences impose au personnel médical la diligence car tout retard hypothèque le pronostic vital du patient et l’entraîne à la mort.

Malheureusement, c’est ce qui est arrivé à Douala samedi dernier. Personne n’a compris que la jeune femme enceinte qui arrivait à l’hôpital pour y accoucher était bien dans un lieu où on se soucie a priori de la vie. Et que ce lieu qu’elle avait choisi avait un service d’urgences où la prise en main du patient s’accommode mal des questions pécuniaires à devoir régler en premier. Personne n’a compris que la vie de cette femme était rattachée à la survie des jumeaux qui devaient naître si tout se passait comme dans une République normale.

N’en déplaise à certains, dans cette République justement, rien ne se passe (plus) normalement. La grande indifférence du personnel hospitalier (devant cette dame apparemment démunie et incapable de payer les frais exigés absurdement par les agents de l’hôpital) a suffi pour organiser la scène d’un crime administratif. On ne reviendra pas sur les supplications qui n’ont fait démordre personne ; sur les images accablantes qui circulent sur Internet pour dire avec gravité le seuil de l’ignominie qu’on a atteint dans la mentalité camerounaise. On se passera de commentaires sur l’initiative finalement désespérée de cette femme (improvisée dans le rôle de chirurgienne locale) pour tenter de sauver au moins les enfants. On ne rappellera pas assez que tout cela a cours dans l’enceinte d’un établissement supposé être public et où exercent des professionnels supposés avoir la conscience du service élémentaire à rendre.

On ne peut, par conséquent, comprendre un tel degré d’inhumanité dans les pratiques entretenues par cette administration hospitalière meurtrière. Que pour une fois, le pouvoir central prenne les décisions qui s’imposent pour tenir en laisse les responsables d’une telle scène macabre. Que la vie redevienne le souci absolu et que l’hôpital demeure un sanctuaire rassurant pour les malades. Tels sont les grands chantiers à retravailler.


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