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Lutte contre le terrorisme au Cameroun: comment rallier le Grand-nord

Se rendre à Maroua de Yaoundé par la route demande de s'armer de courage et, surtout, de patience. J'avais établi…

Se rendre à Maroua de Yaoundé par la route demande de s’armer de courage et, surtout, de patience.

J’avais établi un plan de voyage bien précis sur la base des informations collectées ici et là sur la Toile. Mais voilà, Google Maps ignore tout de la situation sociopolitique locale et de l’état des routes, ainsi que du fonctionnement des services au Cameroun : une réservation de wagon-lit pour un trajet de la capitale Yaoundé à Ngaoundéré, ville d’entrée dans la grande région septentrionale du pays, doit se faire au moins deux jours à l’avance.

Le groupe français Bolloré, quoi que l’on en pense, a provoqué une petite révolution dans les transports ferroviaires au Cameroun, en assurant le voyage entre Yaoundé et Ngaoundéré. Une voiture-restaurant très animée se transforme, aussitôt la machine en mouvement, en lieu de rencontres et de discussions très bruyantes. On parle de tout et de rien : du prochain président de la Fédération camerounaise de football, de tel ministre pris dans le filet d’Epervier, une opération de lutte contre la corruption démarrée en 2004, mais surtout de la situation sécuritaire dans le nord du pays.

Il faut prévoir quatorze heures de voyage de nuit pour arriver à Ngaoundéré vers 9 heures du matin. Or le trajet est prolongé de deux heures sans que l’on ne sache pourquoi. Il est bientôt minuit et le train est immobile depuis un moment. J’ouvre la fenêtre de ma cabine-lit et m’aperçois que nous sommes en pleine forêt, plongés dans une obscurité épaisse. Mon sang ne fait qu’un tour. Impossible de savoir ce qu’il se passe. Aucune information ne filtre.

Affolement et effroi
Une panne ? Un simple arrêt ? Bien sûr que l’on pense à une attaque d’islamistes ou à un piège des coupeurs de route. Dans les années 1990, ces bandes de brigands ont semé la terreur dans le pays en agressant, prenant en otages ou tuant des voyageurs dans des zones peu fréquentées. On assiste à leur résurgence avec le phénomène Boko Haram.

Moi, tout nigaud, j’imagine un accident de personne, comme souvent en Suisse. « Un hélicoptère présidentiel viendra nous sortir d’ici », crie un monsieur. L’affolement et l’effroi laissent la place à un éclat de rire général. Au Cameroun, même en zone de haute tension, on trouve un moyen de rigoler et de faire tomber la pression. Deux heures, plantés là, partagés entre le rire et la frayeur. Deux heures de galère en pleine forêt, malgré la présence d’hommes armés.

A Ngaoundéré, une chaleur inhabituelle m’attend. J’ai tout juste le temps de retirer de l’argent d’un distributeur, de recharger mon crédit de communication téléphonique et mon minimodem WiFi qui offre une connexion nonchalante. Il est déjà 13 heures. Je dois trouver la gare routière la plus proche et un bus pour Garoua, la deuxième ville du Nord. Je cours dans tous les sens et transpire comme un jeune boulanger, le sac au dos. Est-ce bien cette région de l’Adamaoua que l’on qualifie de « château d’eau du Cameroun » ? Je note plutôt que c’est le début du désert, une région démunie où il ne serait pas difficile de recruter des candidats kamikazes. Une personne sur deux y vivrait avec moins de 500 francs CFA par jour (moins d’1 euro).

Je joue des coudes pour m’acheter un billet au guichet d’une agence de voyages. Il faut attendre deux heures dans une promiscuité de caserne afin d’obtenir une place, à la criée, dans un bus bondé. C’est parti pour six heures de route.

Eviter la frontière du Nigeria
Dans le bus, je fais des connaissances qui louent mon initiative d’aller observer par moi-même la situation sécuritaire dans l’extrême nord du pays. Un des passagers, un enseignant installé dans la région, me conseille néanmoins de ne pas m’éloigner de la ville de Maroua et d’éviter autant que faire se peut la frontière avec le Nigeria. Il dit avoir perdu un jeune frère dans ces zones de haute tension où sévit la secte islamiste nigériane Boko Haram. Une mère adolescente, très mature malgré son jeune âge, son bébé au sein, raconte qu’elle se rend à Garoua pour la célébration de son mariage coutumier. Selon elle, le trajet est d’habitude plus court. Mais le terrorisme est passé par là. Il faut désormais composer avec d’innombrables contrôles de police.

On doit, à chaque fois, tous quitter le véhicule, traverser la barrière de police et remonter dans le bus une centaine de mètres plus loin. Même s’ils sont conduits de manière expéditive, ces contrôles font perdre beaucoup de temps. Est-ce une volonté de s’occuper seulement du sentiment d’insécurité plutôt que de l’insécurité elle-même ?

Mais il n’y a pas que les contrôles d’identité qui ralentissent la marche, il y a également – et c’est ce qui m’a paru bien drôle – les pauses prière pour un chauffeur et des voyageurs en majorité musulmans. « Inch’Allah ! Que Dieu nous protège ! », me lance mon voisin enseignant, de retour de sa pause ablutions et prière.

Effluves de « zoua-zoua »
La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons à Garoua. La rivière Bénoué rafraîchit cette ville aux beaux paysages de savanes et de steppes. Un effluve de zoua-zoua, du carburant frelaté provenant souvent du Nigeria, irrite néanmoins les narines. Je suis épuisé. Je suis sur la route depuis près de vingt-quatre heures.

Sur les recommandations de mon compagnon de voyage enseignant, je passe la nuit dans une auberge de fortune, apparemment fréquentée par de bonnes dames et leurs clients. Les femmes ici sont beaucoup plus minces : plus on monte dans le nord du pays et moins on note de surpoids.

C’est le lendemain matin seulement que j’arrive enfin à Maroua à bord d’un taxi-brousse surchargé. Nous avons traversé les vastes savanes et steppes entrecoupées de pics rocheux aux formes les plus variées. De petites habitations construites en torchis, avec leurs toits de chaume en forme de cônes, donnent une allure particulière au paysage. Quatre heures de voyage supplémentaires avec de très nombreux contrôles de police, des troupeaux de b ufs maigres qui traversent la route et, bien sûr, des prières à Allah.

Il aura fallu trois jours pour traverser le Cameroun de Yaoundé, au sud, à Maroua, à l’extrême nord, et faire plus de mille cent kilomètres. Trois jours de galère certes, mais surtout de belles rencontres et de découvertes d’horizons improbables.


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