Elle a soutenu à l’Université de Dschang, une thèse de science politique sur le sujet
Vous avez soutenu, le 13 avril 2015, une thèse de Master en science politique intitulée: « Communauté internationale et lutte contre la corruption au Cameroun » (Mention: très bien). Quel rôle joue-t-elle vraiment dans cette lutte?
La communauté internationale intervient à plusieurs niveaux en matière de lutte contre la corruption au Cameroun qui est un processus-ce qui suppose plusieurs étapes. D’abord, ce que nous appelons la mise sur agenda du problème de la corruption au Cameroun. Ces acteurs ont eu un rôle majeur dans la décision des autorités publiques camerounaises à lutter contre ce fléau en le considérant comme problème public nécessitant une intervention. Ceci, nous l’avons vu dans le cadre des conditionnalités économiques avec les Programmes d’ajustement structurel et par la suite celui concernant les Pays pauvres et très endettés. Ils ont un rôle dans la définition des stratégies de lutte dans le cadre des divers programmes qui ont vu le jour: Programme national de gouvernance, et dès 2007, la stratégie nationale de lutte contre la corruption. Leur apport est principalement technique (avec la contribution d’experts) et financier. A ce propos, la lutte contre la corruption au Cameroun bénéficie constamment d’importants financements dont le plus récent en octobre 2014 dans le cadre du «11 FED» dont 30% des 185 milliards de financement étaient dédiés à la bonne gouvernance. En définitive, la communauté internationale s’implique énormément à travers divers acteurs.
Ce rôle est-il efficace?
S’il était tout à fait efficace, on ne parlerait plus de corruption avec autant d’acuité au Cameroun (rires). L’implication de la communauté internationale dans la lutte contre la corruption au Cameroun a permis au pays de faire un certain nombre d’avancées. L’époque où le Cameroun détenait le palmarès de pays le plus corrompu du monde est derrière nous. Toutefois, beaucoup peut et doit encore être fait. L’IPC (indice de perception de la Corruption) du Cameroun demeure encore très bas en dessous des 3/10, ce qui témoigne toujours d’une corruption considérée comme endémique.
La communauté internationale est-elle unanime sur la perception et la lutte contre la corruption au Cameroun? En d’autres termes, toutes ces puissances (France, USA, Chine) s’occupent- elles de ce problème avec la même acuité?
Dans nos travaux, nous avons mobilisé les principes de l’interaction stratégique, en rationalisant les acteurs de la communauté internationale comme des acteurs stratèges dont les actions sont déterminées et motivées par des enjeux qui par nature, peuvent varier d’un acteur à un autre. L’engagement de chaque acteur sera donc toujours fonction de la perception des gains potentiels. Il est vrai que la France et les USA regroupés au sein du comité multi-bailleurs ont une action plus ou moins coordonnée en matière de lutte contre la corruption dans le cadre du projet CHOC. Le projet CHOC est donc leur plateforme d’action commune. Et lorsque l’on suit de très près les interventions des diplomates français et américains sur la question ces dix dernières années, l’on retrouve les mêmes préoccupations liées parfois à l’Opération Epervier ou à l’application de l’article 66 de la Constitution. La Chine quant à elle se désintéresse de la lutte contre la corruption. Imposer la bonne gouvernance est considéré par Pékin comme une intrusion ou une ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, ce qui serait contraire à sa ligne de politique extérieure. Donc elle ne s’en mêle pas beaucoup.
Le Cameroun a-t-il attendu la communauté internationale pour lutter contre la corruption, que vous étendez aux détournements de fonds publics?
La corruption partout ailleurs et principalement au Cameroun est aussi vieille que la prostitution. Elle faisait déjà des ravages, même sous l’ère Ahidjo, comme l’a démontré par exemple Jean- François Bayart dans le livre intitulé: «L’Etat au Cameroun: La politique du ventre». Ce n’est donc pas un problème récent. Il est tout aussi vrai qu’avec l’arrivée au pouvoir en 1982 du président Paul Biya et son fameux discours sur «la rigueur et la moralisation», l’on a assisté à un début de volonté politique de combattre le fléau. Toutefois, cette initiative semble avoir été vite étouffée dans l’ uf dans la mesure où aucune mesure concrète n’a suivi. La conséquence, nous la connaissons tous: le pays s’est enfoncé dans la corruption avec tous ses corollaires.
Il va donc falloir attendre que les acteurs internationaux et en première ligne, les institutions de Bretton Woods interpellent le Cameroun avec les conditionnalités à la bonne gouvernance, que Transparency International classe le Cameroun deux années consécutives au sommet des pays les plus corrompus au monde, pour que l’on voie les autorités publiques camerounaises se mobiliser un tout petit peu. Ceci s’est traduit par l’opération «la corruption tue la nation» et les consultations pour la mise sur pied du Programme national de gouvernance. Il y a eu pendant longtemps un terrible laisser-aller et laisser-faire qui ont favorisé l’ancrage de la corruption dans le quotidien de la population. Nous pensons que sans la pression des bailleurs de fonds et les multiples dénonciations d’autres acteurs, soit la lutte contre la corruption n’aurait jamais été inscrite aux priorités de l’action publique, soit elle l’aurait été beaucoup plus tardivement.
La Chine ne cesse de monter en puissance sur le plan économique au Cameroun. Vous affirmez qu’elle ne se sent nullement concernée par cette lutte. Dans ce cas de figure, que peut encore la communauté internationale pour encourager le Cameroun à lutter contre le phénomène?
C’est une inquiétude que nous partageons et nous l’avons souligné dans notre travail. Le partenariat avec la Chine pourrait donc représenter une alternative aux conditionnalités occidentales en matière de bonne gouvernance. En effet, le chantage ne marche que lorsque l’on ne dispose que d’une option. Toutefois, malgré la montée en puissance de la Chine, on s’imagine mal le Cameroun n’avoir plus du tout besoin de la coopération avec ses partenaires occidentaux traditionnels. Nous sommes quand même arrivés à un stade où le Cameroun lui-même se rend compte de l’importance de lutter contre la corruption et les détournements de deniers publics dans son propre intérêt. Ce n’est que cette réalité qui peut être mise en avant et nous espérons que les autorités publiques camerounaises en ont vraiment conscience.
Vos investigations vous ont emmenée à pénétrer ces institutions en charge de la lutte contre la corruption au Cameroun. Cet arsenal institutionnel est-il suffisant et peut-il être efficace sur le long terme?
Il existe à l’heure actuelle une pléthore d’institutions dont les compétences tournent autour de la lutte contre la corruption. Même si statutairement, leurs compétences respectives sont définies, l’on assiste parfois en pratique à une lutte de leadership qui se justifierait aussi par la fluidité sémantique du concept «corruption». C’est la convention de Mérida de 2003 qui recommandait aux Etats, la mise sur pied d’une commission indépendante de lutte contre la corruption. C’est dans ce contexte que va naître la Commission nationale anti-corruption aux côtés de bien d’autres (Contrôle supérieur de l’Etat, Agence nationale d’investigation financière, etc). Sans entrer dans le débat sur la possible indépendance et intégrité de ces institutions, nous pensons que la solution ne se retrouve pas forcément dans la multiplication d’institutions budgétivores dont les résultats peuvent être controversés. Avec assez de volonté politique, une Assemblée nationale efficace et une justice indépendante auraient été suffisantes pour faire face aux délinquants financiers.
D’après vous, que peut faire le Cameroun pour concrètement venir à bout de la corruption sous toutes ses formes (rançonnement, détournements de fonds publics..etc)?
Premièrement, il faudrait une volonté politique réelle de combattre la corruption, et c’est le pouvoir politique qui doit impulser cela. Nous savons que la corruption est un instrument politique pour le pouvoir, ce qui suggère que le politique a aussi un rôle prépondérant à jouer s’il faut la combattre. Si aujourd’hui le décret d’application de la loi sur la déclaration des biens demeure attendu, c’est justement parce qu’il n’y a pas de volonté politique. Il faut plus de fermeté et de rigueur dans la répression de la corruption et infractions connexes. L’Opération Epervier doit sortir de la spectacularisation dans laquelle elle a été confinée, pour plus de systématisation, il faut sortir de l’ère de la chasse aux sorcières et sanctionner tous ceux qui se rendent coupables de ce véritable crime contre la Nation, peu importe leur statut.
Il faut enfin éduquer les camerounais. La corruption est malheureusement devenue une culture au Cameroun, elle est banalisée par tout le monde et les enfants n’ont plus de repères où de modèles. Il faut éduquer les masses et prôner la méritocratie. Nous sommes dans un système où corrompre pour intégrer une école de formation est tout à fait normale et personne n’est jamais inquiété -je vous renvoie au dernier scandale de l’IRIC où malgré les faits avérés personne n’a été inquiété-. Sans parler de cette autre corruption à ciel ouvert avec nos forces de police en route et qui ne dérange personne.. L’informatisation d’un certain nombre de procédures pourrait aussi aider, mais à condition que les hommes qui les man uvrent fassent preuve d’intégrité. Tant qu’on continue à dire une chose et faire le contraire, la corruption a encore de beaux jours. Il est peut-être impossible de parvenir à une situation de zéro corruption, mais avec un peu d’effort et l’engagement de tous, on peut en réduire significativement la portée.
Bio express
Ordy Betga a 23 ans en 2015. Ancienne du college Liberman de Douala et du lycée Manengouba de Nkongsamba, elle est titulaire d’une Licence de droit, obtenue à l’Université de Dschang en 2011. Active dans la société civile, elle a participé en tant qu’observatrice, à l’élection présidentielle 2011 et aux législatives et municipales de 2013. Sa thèse de Master de science politique, elle l’a faite sous la direction du Professeur Hilaire de Prince Pokam. Elle a reçu pour ce travail, la mention « Très bien ». En attente d’une inscription en thèse de doctorat, cette locutrice de l’Anglais et du Français sera diplômée en 2015, de l’Ecole normale supérieure de l’université de Bamenda. Elle y achève un cycle de formation de deux années pour devenir conseillère d’orientation scolaire et universitaire.