Après la CAN 2016, la foire aux scandales

Une enquête, diligentée par la présidence de la République, veut démanteler ceux qui ont entretenu des vices susceptibles de porter atteinte à l’image du pays pendant la compétition

Le Cameroun porte encore en écharpe ses illusions perdues lors de la finale de la 10ème Coupe d’Afrique des Nations (Can) de football féminin. Et malgré la défaite des Lionnes indomptables face aux Super Falcons du Nigéria, des vivats à l’endroit du Comité d’organisation (Cocan) ont éclaté partout dans le pays et même ailleurs. Le 08 décembre 2016, alors qu’il recevait les valeureuses perdantes de la finale au palais de l’Unité, Paul Biya est venu couronner la vague des félicitations. « Avec la Coupe d’Afrique des Nations de football féminin qui vient de s’achever, le Cameroun a remporté une autre belle victoire, celle de l’organisation. La fête a en effet été belle et riche en couleurs. Nos hôtes ont pu apprécier la richesse et la diversité culturelles de notre pays, la qualité de nos infrastructures sportives, la chaleur de l’accueil de nos populations ». Visiblement, pour Paul Biya, aucun scandale ne peut (du moins pour l’instant) agresser la réussite de la compétition. Aussi éloquent qu’il puisse paraître, le bilan de la Can tel qu’esquissé par le chef de l’Etat, révèle également l’illustration que dans la tempête, l’essentiel était d’assurer la solidité du navire : le Cameroun.

Reste que, selon nos informations, l’actuel locataire du palais d’Etoudi a exigé aux services spéciaux de voir plus clair dans deux affaires tramées dans le flou jusqu’ici. Il s’agit de « l’affaire des bus et de celle de la billetterie ». A la présidence de la République, on soupçonne encore à bas bruit un schéma de corruption et de détournements de fonds avant et pendant la Can. Dans l’hystérie liée aux performances de l’équipe du Cameroun, les deux scandales ont été évacués comme des épaves de bois mort. Selon une source proche de ces « affaires », « le bon sens ne cesse d’accuser le désastre des bus anciennement garés à l’esplanade de l’Hôtel de ville de Yaoundé, et celui mirobolant de la gratuité de l’accès au stade lors de la finale ». Le scénario de l’enquête a une ligne de force : démanteler ceux qui ont toléré, excusé, protégé ou entretenu des vices susceptibles de porter atteinte à l’image du pays.

Mille versions
Voilà qui constitue à la fois des réponses à des attentes (largement partagées dans l’opinion publique nationale) et des leviers pour faire jaillir la vérité. Cette vérité, beaucoup ont longtemps refusé de la nommer quand la presse locale se l’est abruptement appropriée. En décrochant la Une de quelques tabloïds à travers le pays, « le drame des bus » faisait ricaner plus d’un au sein du Cocan. Tout au moins, dans un premier temps, le public a respiré à plein une version. « Nous avons reçu 76 véhicules qui seront mis à la disposition de la délégation de la Confédération africaine de football (Caf) dans les villes de Limbé et Yaoundé », expliquait Pierre Noungui. Dans les colonnes du quotidien Cameroon Tribune (CT), livraison du 15 novembre 2016, le directeur du tournoi se voulait clair : « Les bus actuellement présents à l’Hôtel de ville ne nous concernent pas. Les nôtres arrivent », affirmait-il alors.

Au sortir d’une réunion avec des membres de la délégation de la Caf à Yaoundé, du propos de Messobo Awono, le secrétaire général du ministère des Transports, émergeait plutôt une nuance sur le sujet: « les bus présents à la communauté urbaine, nous ne les avons pas encore réceptionnés».

« Chaque équipe déjà présente au Cameroun a son bus. Et il ne s’agit pas des bus que vous voyez tous les jours à l’Hôtel de ville », confirmait Jean Baptiste Biaye, membre du Cocan 2016. Le public n’avait pas fini de se gargariser de ces déclarations que surgissait Jean-Lambert Nang. Le 21 Novembre 2016, au cours de l’émission « La matinale » (diffusée sur les antennes du Poste national de Cameroon Radio and Television Corporation (Crtv), le journaliste, président de la commission de la communication du Cocan, se fendait en une autre version. Il faisait alors savoir que les bus ont été loués aux privés parce que la Caf avait estimé que les bus portugais mobilisés par le gouvernement portaient la même marque. Et que les utiliser serait comme si cette marque était le transporteur officiel des équipes.

Le dernier exploit de cette chronique est encore plus révélateur. Selon Jean Lambert Nang, «les Camerounais ont l’art du raccourci, d’autres diraient antidémocratiques ; c’est-à-dire quelqu’un veut vous forcer la main, il brandit des bus aux couleurs de la compétition, met tout l’attelage et il pense que lorsque vous verrez des bus déjà décorés, vous sauterez sur l’occasion».

A analyser les mots et leurs sens, tout porte à croire que quelques esprits avaient approché le Cocan avec un programme généreux en nouvelles idées. Entre autres, la location des bus auprès des agences privées eu égard au retard de livraison accusé par Stecy (la société chargée de mettre à la disposition du gouvernement camerounais des bus pour satisfaire aux exigences logistique liées au tournoi).

Qui a commandé cette transaction ? Sur ce point, des langues refusent de se délier. Tout au plus, deux membres de la commission des transports du Cocan racontent-sans assumer un témoignage officiel- comment des personnalités influentes auraient « séquestré » des cadres pour leur faire signer un engagement de confidentialité au ministère des Transports. Ils parlent d’« une politique trouble scellée par l’omerta à la camerounaise, où le grand art était d’éviter les vérités qui fâchent et de travailler à l’aide des méthodes compliquées, structurées par la recherche de copieuses indemnités ».

On peut de même, au nom de cela dire qu’au Cocan et dans sa périphérie, certains ont prélevé leur dîme. Des mallettes d’argent ont bel et bien circulé entre certains négociants et les promoteurs d’agences de voyages. Selon des sources dignes de foi, ces deux parties ont pu inventer ce qui était dans leurs cordes : la location et le badigeonnage de vieux bus aux couleurs des équipes en lice. Leur style (ponctué de va et vient entre le ministère des Sports et de l’Education physique, le ministère des Transports et les directions des agences de voyages) consistait à boycotter les réunions du Cocan et à promouvoir un nouvel empire autour de la compétition. Cela s’est passé sans que la presse n’ait jamais pu en réunir la preuve. De fait, l’évitement, la défausse, le dilatoire, la langue de bois et la peur des mots vrais ont montré que tout a reposé sur une illusion grotesque et sur un mensonge éhonté.

Billetterie
C’est l’autre scandale vers lequel Paul Biya braque ses jumelles. Le souci du président de la République, apprend-on, est attisé autant par des rumeurs insanes et un cortège de vérités nues. Pour l’un et l’autre cas, des révélations (difficilement vérifiables) font état d’un circuit de duplication et distribution tenu par de hauts fonctionnaires au Minsep et au Cocan. Sur la table de Paul Biya, des noms allongent la liste des personnes pour lesquelles un ticket d’accès au stade comptait pour du beurre. Selon des indiscrétions glanées au Minsep, le plus troublant c’est que les billets d’accès au stade (les vrais) étaient soigneusement gardés dans un bureau de l’institution gouvernementale. « On n’a jamais compris comment un spécimen s’est retrouvé dehors avant d’être dupliqué dans une imprimerie à Mendong (Yaoundé) », s’interroge un cadre de la direction des sports. L’affaire mérite plus qu’un haussement d’épaules, « ce n’est pas seulement une impéritie passagère » pense-t-on à Etoudi. Ce d’autant plus qu’elle a été entérinée par la Caf le 29 novembre 2016 au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé. Ce jour-là, l’offre de places assises de la cuvette de Mfandena (40 000 places) avait été supplantée par la demande. Lors de la rencontre Cameroun-Ghana pour le compte des demi-finales de la Can, des spectateurs étaient assis au niveau des allées réservées à l’évacuation du public. D’autres étaient debout.

Or, tout le monde devait être assis, pour des questions de sécurité. La faute, expliquaient certains membres du Cocan, à un marché de revente de billets qui s’est développé aux alentours du stade, combiné au système des invitations. Junior Binyam, le directeur des médias de la Caf avait fustigé cette situation. « Il faut s’assurer que les billets mis en circulation correspondent à la capacité du stade », avait-il lancé. Tant cela sautait à la gorge et signait la présence d’un réseau de fabrication et de distribution de billets d’accès au stade.

Sur ce chapitre, il se dit que la colère de quelques fonctionnaires par rapport à la ligne tracée par la Caf a dévoilé le ciel d’orages entre les deux parties. Les premiers soupçonnaient les seconds d’entretenir une vénéneuse ambition de « priver les citoyens de leur équipe ». Le répit sera court. Car la vraie vérité sort du puits. Elle est nue. Et elle a froid et risque bien de restaurer le spectacle de Yaoundé 1972. Parce que le lendemain de la compétition se déploie sous le soleil noir de probables interpellations.


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