EN CE MOMENT


Vih-Sida: discrimination des malades tenaces au Cameroun

Considéré comme une maladie de la honte, beaucoup de personnes infectées par le virus préfèrent cacher leur statut et les…

Considéré comme une maladie de la honte, beaucoup de personnes infectées par le virus préfèrent cacher leur statut et les plus méchants se résolvent à en distribuer à plusieurs autres

A Yaoundé, une femme aux allures de folle a récemment créé le spectacle en déambulant dévêtue dans la rue pour lancer des appels, sous les regards médusés de curieux, en vue de solliciter auprès de son entourage un partenaire chargé de l’aider à satisfaire une libido mal exprimée depuis des années à cause de son statut de séropositive au virus du Sida.

Autour de la femme, des langues se déliaient pour révéler une longue liste de voisins lui ayant offert leurs faveurs. Signe que sa maladie est ignorée, y compris au sein de sa famille où elle a réussi à faire croire qu’elle souffre de troubles de personnalité dus à des déboires sentimentaux, alors qu’elle se fait soigner discrètement du VIH.

Au Cameroun, ce cas n’est pas isolé. Le Sida continuant d’être considéré comme une « maladie de la honte », beaucoup de personnes infectées par le virus préfèrent cacher leur statut et les plus méchants, sous prétexte de se venger, se résolvent à en distribuer à plusieurs autres, par la multiplication de partenaires.

Le cas d’un habitant de la Cité verte avait par exemple suscité l’émoi. Le patient, un homme marié, avait jeté son dévolu, après avoir transmis au passage le virus à sa propre épouse non informée de son statut, sur des jeunes filles du lycée de ce quartier de la capitale pour en faire ses proies et celles qui avaient pu tomber dans sa nasse ne se comptaient pas.

L’affaire avait connu une ampleur telle que les autorités avaient été amenées à organiser des séances de dépistage des élèves pour tenter de contenir la propagation d’une éventuelle épidémie au sein de l’établissement.

Les statistiques officielles estiment à 620.000 le nombre de Camerounais vivant avec le VIH à l’heure actuelle, soit une prévalence de 3,9% sur une population de plus de 22 millions d’habitants, un chiffre salué comme la confirmation d’une évolution encourageante illustrée par une tendance à la baisse continue eu égard au taux de 4,3% déclaré en 2011 contre 5,5% une dizaine d’années auparavant.

Pour obtenir ces résultats, les pouvoirs publics camerounais multiplient au fil des années les campagnes de sensibilisation comportant des séances publiques de dépistage volontaire gratuit en direction de la population.

Cette année, un mois de lutte contre le Sida a été consacré depuis le 8 novembre dans les différentes villes du pays, en prélude à la journée internationale le 1er décembre.

Deuxième pays le plus touché

Classé par l’Onusida deuxième pays le plus touché d’Afrique centrale et de l’Ouest derrière le Nigeria, son voisin, le pays est présenté comme d’Afrique subsaharienne à avoir pris la décision de placer automatiquement sous traitement à base d’antirétroviraux (ARV) toute personne dépistée séropositive, se félicite le Comité national de lutte contre le Sida (CNLS).

Entre 2007 et 2015, le nombre de patients déclarés bénéficiaires de la prise en charge est passé de 28.403 à 168.249 dont 7.096 enfants, et pour 2016 un objectif de 224.563 est visé, d’après les chiffres officiels.

Un total de 23 centres de traitement agréés et 229 unités de prise en charge est annoncé dans les 10 régions administratives du pays, où il est fait état en outre d’une diminution de 50.000 à 33.000 le nombre décès dus au Sida entre 2010 et 2015.

En dépit de ces efforts, le Cameroun figure cependant parmi les 30 pays du monde représentant 89% du total des nouvelles infections à VIH et les 10 pays qui contribuent à plus de 75% aux nouvelles infections pédiatriques.

Chose curieuse, le Sida continue d’être assimilé par beaucoup de Camerounais à une pathologie relevant de la sorcellerie, de sorte que l’on observe de la part de certains malades la persistance de la tendance de se détourner des services de santé publics pour se diriger vers les tradithérapeutes qui, pour quelques-uns d’entre eux, déclarent posséder des remèdes miracle pour soigner la maladie.

En application d’une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le gouvernement camerounais a associé à son action de lutte contre le SIDA la médecine traditionnelle.

L’Institut d’études médicales et de recherches sur les plantes médicinales (IMPM) du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation à Yaoundé a de ce fait ouvert son laboratoire pour inciter les tradithérapeutes à faire vérifier leurs découvertes résumées.

L’opération a fait long feu, les intéressés ayant estimé avoir été abusés après la publication des résultats de laboratoire non favorables pour leurs activités.

« Il y a beaucoup de traitements de la médecine traditionnelle officielle qui accompagnent la médecine moderne. Ça ne veut pas dire que la médecine traditionnelle est capable de guérir du VIH. Ce qu’elle est capable d’apporter, c’est ce qu’on appelle les adjuvants », a fait remarquer Serge Billong, responsable de la section planification-monitoring-évaluations au CNLS.

Concrètement, explique le médecin enseignant à la faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I, « si on vous a donné quelques oranges, on vous a donné la vitamine C. On va vous faire un certain nombre de décoctions qui vont vous permettre peut-être de renforcer l’immunité ».

« Concernant le virus, on n’a pas encore eu une preuve évidente. Celui qui trouve, de toute façon, même si c’est en médecine traditionnelle, n’aura pas besoin de le dire. Les gens vont tracer un chemin jusqu’à lui. Donc, ce n’est pas quelque chose où on peut dire qu’ils [les tradithérapeutes] peuvent, mais on les empêche », assure-t-il cependant.

Alors que quelque 36,9 millions de personnes vivant avec le VIH sont recensées dans le monde dont près de 66% se trouvent en Afrique subsaharienne, il existe aussi au Cameroun des personnes pour qui le virus du Sida est une invention occidentale expédiée en Afrique pour freiner une démographie jugée menaçante pour et empêcher le décollage économique du continent.

Rapports sexuels non protégés

Pour ces personnes, les rapports sexuels non protégés continuent d’être la règle. Une autre catégorie comprenant jusqu’à des intellectuels apparents et qui évitent de se livrer aux tests de dépistage, le plus souvent par peur de se découvrir porteurs du virus et contribuent eux aussi à l’expansion de l’épidémie.

Victimes du libertinage sexuel de leurs conjoints, sur un total de 488.948 femmes enceintes dépistées séronégatives en première consultation prénatale et ayant retiré leur résultat en 2015, 74.197 ont été de nouveau testées par la suite et 3.683 d’entre elles se sont révélées séropositives, révèlent les autorités sanitaires.

Les mêmes estimations informent que sur 562.473 femmes enceintes testées au VIH, seuls 26.720 des partenaires masculins ont également été testés, soit un taux de 5,1% et environ 4 partenaires testés pour 100 femmes enceintes reçues en consultation prénatale.

De plus en plus, la société camerounaise vire au matérialisme. Sensibles aux gadgets issus des nouvelles inventions technologiques et le luxe d’une vie en grosses cylindrées et en appartements haut standing, les jeunes de la tranche de 15 à 24 ans sont connus pour être la principale cible à risque.

Non dépistés, beaucoup d’entre eux vivent sans le savoir avec le VIH. Et lorsque se déclenche la maladie, le pire est inévitable et comme la tendance générale est à la diversification des partenaires, ce sont plusieurs vies éparpillées qui sont menacées de s’éteindre.

Une sorte de cercle vicieux.

Suivez l'information en direct sur notre chaîne