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Abok i Ngoma, un festival au c ur de la sémiotique non-verbale et spectaculaire

L'auteur s'interroge sur la création du Chorégraphe Moukam Fonkam «24 morts et 1700 interpellations», un spectacle de danses et de…

L’auteur s’interroge sur la création du Chorégraphe Moukam Fonkam «24 morts et 1700 interpellations», un spectacle de danses et de percussions

Ce qui me marque à première vue est tout d’abord le podium du spectacle: une sorte d’espace occupé par des pneus usés, des bidons d’huile de moteur, des balafons et bien d’autres supports acoustiques de la communication traditionnelle. Ensuite l’entrée «spectaculaire» en scène des danseurs venus du côté des spectateurs à une vitesse «brute». Et le spectacle commence dans une sorte de rythme et de gestes que seuls les sportifs et athlètes bien préparés savent le faire.

D’entrée de jeu, l’on aperçoit une jeune dame immobile enroulée par une corde au rein et suspendue au fond de la scène. Les trois danseurs commencent et créent un scénario cadencé rythmé de gestes, d’aller et venir, de sauts et de cris, des roulades, des va et vient muets pendant que les deux autres percussionnistes arrivent, «dévoilent» et jouent leurs instruments. Comme si cela ne suffisait par pour abasourdir les spectateurs restés dans un silence de mort, les artistes, chacun dans son rôle, a essayé de tracer une énonciation composite et spectaculaire suivant des pas de danse comptés et répétés. Des scènes «brutales» n’ont pas échappé au spectacle car les pneus et les bidons ont joué aussi leur rôle à savoir servir d’instruments de répressions pour les artistes sur scène. A un moment donné, la jeune dame du fond enroulée par le pneu lança un cri de chant.

Ce que je retiens, c’est bien les termes «démocratie» et «capitalismes» qui revenaient dans sa chanson. Plus tard, un poste radio apparut et un extrait du discours du président Paul Biya prononcé à l’occasion des émeutes de février 2008. Le chef de l’Etat y rappelait aux « apprentis sorciers » de se méfier et les conseillait d’utiliser des moyens démocratiques pour exprimer leurs idées. Plus de 45 minutes, le public venu nombreux a dégusté un produit culturel uvre d’une créativité artistique c’est-à-dire plein de talent, de finesse et d’adresse avec au sortie des artistes, transpirant et épuisés physiquement. Sans aucune explication sur le spectacle, Elise Mballa a remercié l’assistance et souligné que la création de ce soir annonçait la couleur de la 5ème édition d’Abok i Ngoma, Festival International de Danses et de Percussions qui aura lieu cette année à Yaoundé du 28 avril au 02 mai 2010 avec la participation de plus de 19 pays du Monde entier. Ce sera sous les couleurs du Cinquantenaire du Cameroun.

De prime abord, au delà de mes nombreuses interrogations sur les différents signes que j’ai observé, je suis sorti convaincu que nombre de spectateurs n’avaient rien compris du sens (en terme de direction et de signification) de ce spectacle. Comment peut-on cerner du point de vue du discours les messages d’un spectacle essentiellement non verbal comme celui-ci? Qu’est ce qui peut contribuer à y trouver un sens lorsqu’on a en face un public non habitué à consommer de l’art sain ? Comment peut-on construire la culture de danses et de percussions sans prendre en compte les éléments liés à la formation, la diffusion, les usages qu’elle suscite, les effets qu’elle provoque et le contenu qu’elle peut déceler comme le relèvent Alfred Kroeber et Clyde Kluckohn dans «Le Dictionnaire critique de la sociologie», 1952? Si dans cette mise en scène, l’on sait que l’artiste est à la fois en communication avec lui-même, avec le groupe, avec l’autre et avec la nature, il y a que pour le cas du Cameroun, la compréhension de l’artiste commande que l’on recoure aux éléments constitutifs de la culture que donne Marcel Mauss à savoir la langue, la religion, les rapports de parenté, les sciences, la santé et l’art. Justement, comment peut-on situer le cas camerounais, et plus précisément le rôle de l’Etat, dans une logique d’idéologie par rapport à l’exception culturel français et européen et au le libre échangisme américain depuis 1993?

Autant de questions qui commandent la convocation de plusieurs sciences. Nous en parlerons certainement dans un autre cadre parce que le cas qui nous intéresse ici est de savoir comment trouver un sens à un spectacle de danses et de percussions ? Notre hypothèse est celle de penser que la compréhension d’une scène de danses et de percussions ne peut se faire que grâce à la mise en uvre d’une interdisciplinarité des sciences qui composent la sémiotique non verbale.

Si nous prenons pour formant principal de lecture d’un spectacle de danses et de percussions le langage du corps et la gestuelle c’est-à-dire la kinésique, nous sommes tentés de croire comme le russe A. A. Reformatskij, dans son article intitulé «O perekodirovanii i transformacii kommunikativnyh sistem», Issledovanija po strukturnoj tipologii, M., Akademija Nauk SSSR, 1963, que le manque de connaissance sur la communication non-verbale et sur son lien avec la communication verbale empêchait de « modéliser les systèmes communicationnels et le processus même de la pensée ». Mais alors, les sous-systèmes non langagiers unifiés contribueraient fortement à la création d’une compréhension autour de la danse et de la percussion grâce à la description du métalangage que peut émettre un artiste sur scène à partir du moment où l’existence d’un code sémantique entre le verbal et le non-verbal est difficilement trouvé. Sur le plan méthodologique donc, l’établissement des équivalences, des règles et de traduction du métalangage est en réalité la solution de lecture du non-verbal d’un individu ou d’un groupe dans un environnement donné.

Or relativement récente, la sémiotique non verbale est une science pluridisciplinaire mettant en uvre les théories de lecture des sciences anciennes (biologie, éthologie, sociologie, linguistique, psychologie, etc.) et d’autres nouvelles comme l’ethnos, l’anthropologie et la théorie des systèmes cognitifs. Cité par le russe Grigorij Krejdlin dans Cahiers slaves, n° 9, UFR d’Études slaves, Université de Paris-Sorbonne, 2007, le psychologue américain P. Zaionts s’est demandé s’il existait quelque chose de commun entre des actions physiologiques apparemment aussi différentes que se gratter la tête, se frotter les mains, se ronger les ongles (.) ou s’embrasser dans des contextes différents. La réponse serait logique si l’on dispose d’un ensemble de concepts précis, formant un système général, et d’une langue suffisamment riche pour englober l’ensemble de la sémiotique non verbale.

Cette réponse relèvera du « bon sens » puisque aucune règle de lecture commune n’existerait pas encore pour déchiffrer ce que nous avons appelé métalangage. Au mieux, le recours aux sciences parallèles de la sémiotique non-verbale serait une première solution.
Léopold Ngodji

D’abord la para-linguistique qui est la science des codes sonores dans la communication non verbale. En effet, le cri des artistes danseurs proche d’une scène d’entrée en transe de ces derniers ou le rythme des supports acoustiques des percussionnistes mis ensemble trouveraient une signification symbolique par exemple aux peuples de la forêt par hypothèse. Ensuite, la kinésique (science des gestes et des mouvements gestuels, des processus et des systèmes gestuels) aiderait le spectateur à comprendre en partie les mouvements et gestes de l’artiste qui sont de nature à exprimer un message sur les plans paradigmatique et syntagmatique qui comptent plus en cette circonstance. Par exemple, l’on peut s’interroger sur la signification de l’ensemble des gestes des acteurs sur scène. Qu’expriment-ils dans la somme de leur position par exemple? Aussi, la science du langage des yeux et du comportement visuel des individus en train de communiquer (occulecique) serait-elle d’un apport fondamental dans la compréhension du message de l’artiste parce que l’autre chose qui m’a marqué ce jour fut le regard des danseurs lorsqu’ils s’arrêtaient, très souvent immobiles, pour fixer avec menace, ceux des spectateurs de la salle durant plusieurs minutes.


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L’auscultique (science de la réception auditive des sons et du comportement auditif des individus en train de communiquer), la gaptique (science du langage des contacts et de la communication tactile), la gastique (science des fonctions communicatives et symboliques du manger et du boire, de la façon de se nourrir, des fonctions culturelles et communicationnelles de l’alimentation et de la déglutition), l’olfactique (science du langage des odeurs, des sens transmis à l’aide des odeurs, du rôle des odeurs dans la communication), la proxémique (science de l’environnement de la communication, de sa structure et de ses fonctions), la chronémique (science du temps dans la communication, de ses fonctions structurantes, sémiotiques et culturelles), la systémologie (science des systèmes d’objets dont les gens s’entourent, de la fonction et du sens que ces objets prennent à l’occasion du processus de communication) sont autant de pistes que doivent désormais mobiliser les amoureux de la danse et de la percussion afin de se plonger dans la signification du discours de l’artiste généralement muet. Parce que parmi toutes les sciences sus-mentionnées, hormis la paralinguistique et la kinésique, les autres sont relativement récentes et non abouties. D’où la nécessité des recherches plus approfondies et des théories plus communes si l’on veut attirer et intéresser le public sur ce métier qu’est la danse et la percussion, plus précisément.

Parlant de la sémiotique kinésique, très visible lors d’une scène de danse et de percussion, elle étudie les gestes des mains, des pieds et de la tête. Aussi, la sémiotique kinésique des expressions du visage, les poses, les mouvements et les manières du corps sont à explorer dans le construit de l’énoncé de l’acteur sur scène. A ce sujet, il est important de mobiliser des règles pour comprendre les messages de ce dernier lorsqu’il veut exprimer, par exemple, la mort, le malheur, la pauvreté, l’abandon, la brutalité, les catastrophes naturelles et les émeutes, la joie, la tristesse, la révolte, etc.

Sur un autre plan, il faut noter que l’humain communique au quotidien non seulement à l’aide des mots, mais aussi grâce à leurs mouvements corporels. C’est d’ailleurs ces dernières manières que mobilise le plus les danseurs accompagnés des percussionnistes. Les spécialistes pensent avec aisance que l’on n’utilise les mots que lorsque les autres modes de communication ont échoué c’est-à-dire quand les autres systèmes de communication ont été employés sans succès.

C’est aussi le cas de l’artiste qui trouve, suivant son art, un mode de communication comme celui du non-verbal pour transmettre des messages et exprimer son avis sur les problèmes de société. Ce fut le cas du chorégraphe Moukam Fonkam dans son spectacle «24 morts, 1700 arrestations» au Centre Culturel Français de Yaoundé.
Léopold Ngodji

Aussi, devons-nous savoir que tous les attributs du corps, qu’il s’agisse de la forme, de la dimension, de la situation ou du poids, transmettent une certaine signification dans des contextes déterminés et que même la non-utilisation d’un geste, par exemple, quand un individu ne laisse apparaître ni la joie ni l’amertume est aussi porteur d’autant de sens que le rire ou les larmes. C’est ainsi que l’historien et philosophe russe M. Ja. Gefter pensait avec raison que le corps, ses mouvements et ses actions constituent «des documents historiques, témoignant du passé aussi bien qu’un journal ou qu’un texte officiel». Du point de vue de la sémiotique des signes de Charles Sanders Peirce, à savoir l’icône, l’indice et le symbole qu’émettent ou représentent les humains, il y a lieu de mettre sur pied des outils de décryptage des signes d’un danseur accompagné des percussionnistes sur une scène de spectacle car Pétrone, près de mille ans avant le travail de J. Lavater avait écrit dans le Satiricon ceci: «Je connais le caractère d’un homme à son visage, et à sa démarche je peux lire ses pensées».

En général, l’on peut comprendre le message d’un actant en scène en fonction de trois éléments à savoir les caractéristiques de celui qui gesticule, son partenaire et les éléments physiques ou sociaux du contexte dans lequel ils agissent. C’est le cas dans un spectacle de danse et de percussion qui met en scène un environnement créé par le chorégraphe, des interlocuteurs et d’autres danseurs et percussionnistes qui l’accompagnent, le tout dans un syncrétisme de métalangage fixe et mobile. Pour ce qui est du contexte physique par exemple, en interprétant comme signe le comportement d’un homme qui se trouve par terre à genoux, nous pouvons formuler plusieurs hypothèses sur la pensée exprimée par cette position : la douleur, l’humilité, la déclaration d’amour (l’offrande des mains et du c ur), la recherche d’un objet tombé à terre, etc.

Toutefois, il faut relativiser l’interprétation des gestes et des poses des humains en société car pouvant contredire le signifié parlé (et par là même jeter le doute chez leur interlocuteur). Par exemple, comme le relève Grigorij Krejdlin, « la personne qui affirme qu’elle est absolument sereine mais qui se tord les mains ou marche dans la pièce de manière désordonnée et saccadée, se contredit elle-même. Le sourire peut accompagner des propos hostiles ». Toutes choses qui compliquent notre tentative de compréhension d’un chorégraphe et d’un danseur sur scène. Heureusement que les spectacles de danses et de percussions participent aussi de la distraction, de «changement d’air». Rendez-vous à Abok i Ngoma 2010.


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