Enseignant à l’université de Yaoundé II, il analyse la « faillite de l’Union africaine »
Les dirigeants africains ont étalé en janvier dernier leurs divisions à Addis- Abeba à l’occasion du dernier sommet de l’UA. Quel commentaire vous inspire d’emblée cet état de choses?
Je pense qu’il n’y a rien de nouveau, car l’UA a hérité des tares de l’OUA. Ceux qui avaient parié que le changement de dénomination entraînerait la mutation dans l’action se sont trompés. En effet, l’organe ne crée pas la fonction. L’Union africaine est une organisation intergouvernementale qui a le malheur de rassembler des Etats qui, pour beaucoup, souffrent d’une cécité stratégique. Le déficit stratégique de la plupart des Etats membres de l’UA la prive d’une vision à la hauteur des défis qu’imposent le nouvel ordre mondial et la concurrence politique, commerciale et diplomatique que se livrent les grands pays et les pays émergents pour la quête de la puissance.
On constate au moins quatre types d’opposition à la suite du dernier sommet: anglophone contre francophone ; Sadec contre Ceeac- Cémac ; Afrique du Sud contre Gabon; Nkosazana Dlamini-Zuma contre Jean Ping… Etes- vous d’accord avec cette façon de résumer les choses?
Ces clivages sont les reliques de notre passé colonial duquel nous ne nous sommes pas encore totalement séparés. En effet, c’est parce que les Africains n’ont pas encore su construire leur autonomie stratégique et politique que paresseusement ils recourent à cette grille d’interprétation désormais caduque. Que l’Afrique se guérisse de son déficit stratégique et on ne recourra plus à ce clivage qui rappelle le conflit entre la France et l’Angleterre à Fachoda en Egypte.
Peut-on finalement constater l’échec du processus d’intégration de l’Afrique?
En 2000, j’ai publié dans la revue de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Yaoundé II, Soa, un article dans lequel je démontrais que l’UA était un projet politique stratégiquement mal engagé. Cet article publié au moment même où à travers le continent montrait un vent d’espoir a été présenté comme relevant de l’afro-pessimisme. Pourtant, il expliquait simplement pourquoi il est difficile de croire que les Africains et les Etats africains ont fait leur mue et sont désormais prêts à affronter, de façon lucide, les difficultés qui jalonnent la route vers la modernité politique, l’autonomie stratégique et donc vers la maîtrise du destin des Africains. L’esprit qui règne actuellement au sein des Etats membres de l’UA, du fait de la cécité stratégique, ne permet pas de penser de façon raisonnable que l’intégration soit un objectif réaliste à court et à moyen terme sur le continent.
On a vu la Sadec unie et solidaire au mot d’ordre d’abstention lancé par l’Afrique du Sud. Quelles leçons pour l’Afrique centrale, la zone la moins intégrée du continent?
L’Afrique du sud tient sa place et son rang au sein de la SADEC. La principale leçon, c’est l’urgence pour le leader naturel de l’Afrique centrale qu’est le Cameroun de se sortir de son long sommeil diplomatique pour impulser le mouvement d’une sous – région Afrique centrale cohérente et capable de porter une cause.
Comment vous voyez l’avenir de l’Afrique après l’échec de la 18ème Assemblée de l’UA?
L’Afrique va malheureusement accroître sa marginalisation. L’étalage de ses divisions la livre aux puissances actuellement engagées dans une offensive pour le contrôle de ses ressources.
Comment vous voyez l’avenir de l’UA?
L’UA permettra encore pendant longtemps à de nombreux fonctionnaires de mieux gagner leur vie. Cependant, pour aider le contient à relever le défi de la modernité, de l’arrimage du continent à la marche du monde ou pour répondre efficacement aux problèmes qui minent la vie des populations, elle semble ne pas avoir un grand avenir, sauf si elle se réforme complètement en s’appropriant enfin les valeurs et les principes contenus dans son acte constitutif.
