Peintre, sculpteur, designer et graphiste, l’artiste camerounais déploie ses tentacules, éternel curieux
Il a trimé. Et c’est peu dire. Il est allé jusqu’à laver les pinceaux dans l’atelier d’un des peintres qu’il compte parmi ses formateurs, mais qui malheureusement n’est plus. Pourtant lui-même était déjà propriétaire d’un atelier. « Je fermais mon atelier pour aller chez lui. Dans la région, à la frontière avec le Tchad, c’était le meilleur. Il disait qu’il n’aurait pas beaucoup de temps pour me suivre, mais j’ai insisté pour travailler à ses côtés ». C’est cette attitude de garçon humble qui caractérise Alioum Moussa. Le natif de Maroua dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun s’est toujours montré serviable, derrière son air timide. Mais c’est d’un faux timide qu’il s’agit là. Ou mieux, un talent qui se cache. Amoureux de dessin, c’est lui qui réalisait les « morceaux choisis » de ses camarades de classes. « Tu vois ces cahiers qu’on fabrique avec des dessins, des récits et chants pour les concours d’entrée en 6ème. Tous les camarades venaient me voir pour faire les leurs ». En classe de 5ème, « je faisais des plaques publicitaires, je reproduisais des portraits » et aujourd’hui il crée des toiles et des statuettes.
Un parcours sage
Quand on lui demande sa date de naissance, il sourit d’abord. « Oui ! Parce que mon acte de naissance s’est brulé quand j’étais à l’école primaire ». Mais c’est connu, il a 34 ans. Rien que cela et déjà une forte réputation. Alioum quitte Maroua pour la première fois en 1994, destination Yaoundé. Là, il fait la rencontre d’ « Emerite Design » et auprès de ce dernier, suit un apprentissage de deux ans, avant de retourner à Maroua où il ouvre son espace à lui, baptisé « Ami des arts ». Plus tard, « après le décès du peintre chez qui j’allais de temps en temps », il est recruté par l’ONG Waza Logone qui fait dans la biodiversité « et qui recherche un dessinateur pour traduire leurs textes en images afin de sensibiliser plus facilement les populations » explique t-il. L’ONG est tombé sur le bon profil et pendant deux années, Alioum sillonne les villages de la région et se retrouve à Douala. Capitale économique, aux opportunités captivantes. C’est ainsi qu’il suit une information en infographie et en 2006, ouvre son « Studio 66 ». Conseils en communication, création de l’identité visuelle constituent entre autres son cahier des charges. Dès lors, il écume les séminaires de formation, résidences de création pour, dit-il, « entrer dans d’autres dimensions artistiques ».
De la peinture au design, briser les préjugés
C’est à travers les « jeudis des vidéos » qui se déroulaient à l’espace Doual’art qu’Alioum intègre le milieu des artistes plasticiens de Douala. « C’est là que je fais la connaissance des grands de ce milieu, Koko Komegne, le père Ndjeng (paix à son âme), Joel Mpah Dooh, de même que les gens de ma génération, Joe Kessy, Boris Nzebo. ». Habité par le besoin d’innover, il entre dans le design, précisément le vestimentaire et participe en 2005 à l’atelier « design made in africa » au CCF de Douala qui lui permet de perfectionner cet art. Ses uvres s’exposent désormais au-delà des frontières du Cameroun. L’année d’avant, à la suite d’une résidence au centre Art Bakery de feu Goddy Laye, il fait le tour de l’Afrique avec d’autres artistes plasticiens à travers le projet « Exit tour ». « Notre but était de présenter notre continent autrement que par des préjugés » explique « le sahélien » comme l’appellent certains de ses collègues.
« Fashion victims » ou créer en intégrant son quotidien
Fashion victims. Ainsi se nomme la dernière exposition qu’il a présentée à Douala, et qui est le résultat de sa résidence UNIDEE (Université des Idées) en Italie. « Un appel à candidature avait été lancé pour les créateurs africains et portait sur le thème créer en écoutant son environnement. Fashion victims vise à montrer que nous sommes les victimes, les résignés même de la mode occidentale. Les gens aiment donner une image d’eux qu’ils ne peuvent pas assumer. A travers la friperie et les habits usés que je récupère pour transformer ou leur redonner vie, je tiens à monter comment l’Afrique est devenu un peu le dépotoir des autres ». Ce qui a sans doute fait la particularité de son projet baptisé « DO GOOD GOODS », faire du bien à travers les biens, marchandises. « Le but de la résidence était d’ailleurs très clair. C’était la recherche de la pertinence en intégrant son quotidien. Tous les jours on recevait les cadres d’entreprises de tous les domaines, chimique, automobile, technologie, agriculture., ceci pour nous permettre de comprendre et maitriser l’environnement dans lequel nous travaillons, au lieu de rester figer dans son égo d’artiste. Et aujourd’hui je me défini comme un créateur, un auteur».
Eternel apprenant
« Malgré l’ouverture du monde, il reste tout de même fermé. A l’air de la communication nous communiquons peu parce qu’on se dit que c’est évident. Moi je n’ai jamais considéré l’évidence ». Cette phrase est une autre façon pour Alioum Moussa de dire qu’il continue d’apprendre, bien que de plus en plus sollicité dans le domaine du graphisme (c’est lui qui a crée le logo de Culture Mboa entre autres), que de la vidéo ou encore le design et la peinture. Actuellement Alioum initie pour la fin de l’année 2011 un atelier de réflexion sur la friperie et la mode en général, auquel seront conviés les journalistes culturels, photographes, un commissaire d’exposition, des designers et élèves d’école de design. Le but, « que chacun à son niveau apporte sa contribution à l’amélioration de la vie dans notre environnement à travers des échanges et des expérimentations parce que je prône le NOUS ». Par ailleurs, il souhaite poursuivre et développer sa marque de vêtement « LOGONE » qui est à ce jour à prêt de quinze modèles. Il vient aussi de gagner un concours de dessin lancé en Italie par la marque de café « Illyexpresso » auquel ont pris part quatorze autres candidats venus du monde entier. Dès le mois de septembre prochain, ce dessin sera visible sur un ensemble d’objets « des tas à café, tabliers et autres gadgets. Pour moi c’est la victoire de tout le Cameroun, mais aussi une preuve que nous sommes au même niveau que les occidentaux dans ce domaine. Que je sois à Douala et que je puisse gagner ce concours ça honore l’artiste que je suis et le contexte dans lequel nous sommes ». Et ce prix, Alioum Moussa le dédie à Goddy Laye « parce que c’est lui qui m’a inculqué, et à beaucoup d’autres artistes de ma génération, l’esprit du partage ».