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Babissakana: « Le Cameroun est à l’abris des fonds vautours »

L’économiste camerounais répond à nos questions sur les fonds vautours

Lors d’un sommet qui s’est tenu en Tunisie le 29 juin dernier, les Pays Membres Régionaux (PMR) de la Banque Africaine de Développement (BAD) ont finalement mis sur pied la Facilité africaine de soutien juridique, un organe chargé de les soutenir et les assister face à l’agression de plus en plus présente des Fonds Vautours. Quelle appréciation faites vous de cette réponse de la BAD face à ce phénomène ?
La mise en place effective de la Facilité Africaine de Soutien Juridique avec le parrainage et le sponsoring actifs de la Banque Africaine de Développement est une réponse pertinente mais seulement d’appoint à un besoin structurel des gouvernements africains en matière d’expertises et de compétences juridiques et judiciaires spécialisées dans la négociation, la renégociation, l’exécution et la résolution des litiges sur les contrats commerciaux et financiers internationaux complexes. Deux aspects spécifique de ce besoin structurel ont été mis en avant par l’ ALSF : (i) l’assistance technique des pays africains bénéficiaires de l’initiative sur l’allègement de la dette extérieure (PPTE) à faire face aux litiges avec les créanciers commerciaux non coopératifs, et (ii) l’assistance technique dans la négociation/renégociation de contrats commerciaux complexes en l’occurrence dans les industries extractives des ressources naturelles et dans les infrastructures ou les industries en réseaux (électricité, télécommunications, ports, chemins de fer, routes).
Il faut savoir que le besoin d’assistance technique dans la résolution des litiges avec les créanciers commerciaux non coopératifs dans le cadre du traitement de la dette publique extérieure des pays africain a été exprimé depuis 2003 par les ministres africains des finances. En effet, des 40 pays bénéficiaires ou susceptibles de bénéficier de l’allègement de la dette publique extérieure, 33 sont africains. C’est donc l’Afrique qui est la plus touchée par les actions croissantes de recouvrement contentieuses portées par les créanciers non coopératifs avec en majorité des fonds d’investissement spéculatifs spécialisés sur le marché secondaire de la dette souveraine des pays en défaut de paiement (fonds vautours). Les statistiques disponibles indiquent pour ces dernières années près d’une trentaine de procès avec des jugements en faveur des fonds vautours pour un montant supérieur à 1 milliards de $US dont plus de 70% qui concernent les pays africains. La réalité devrait être plus agressive que ces statistiques parcellaires.
Mais il ne faut pas perdre de vue sur le fait fondamental et critique selon lequel le management public structurellement lacunaire que l’on observe dans les cycles de négociation, renégociation, exécution et résolution des litiges sur les contrats commerciaux et financiers internationaux complexes est intimement lié aux défaillances de gouvernance politique des pays africains. Si l’intégrité, la compétence éthique et morale, la transparence et la responsabilité continuent de faire défaut dans les systèmes de gouvernance politique de nos pays, alors un besoin structurel des gouvernements africains en matière d’expertises et de compétences juridiques et judiciaires spécialisées restera latent malgré l’existence de cette nouvelle institution internationale.

En 2007 dans un article paru dans le journal le Messager l’information avait été rapportée que le Cameroun était victime de ces Fonds. Qu’en est-il exactement aujourd’hui ?
Le stock de la dette extérieure commerciale de l’Etat du Cameroun due à 76 créanciers du Club de Londres a été arrêté au 31 décembre 2000 à 953,5 millions $US soit 341 millions $US de principal et 612,5 millions $US en intérêts et pénalités de retard. Cette dette commerciale en défaut de paiement représentait seulement 4% du stock total de la dette publique extérieure.
Le 4 août 2003, le gouvernement camerounais a signé un accord de rachat de sa dette commerciale à 14,5% de sa valeur faciale avec 54 des 76 créanciers correspondant à 80% du stock de la dette au 31 décembre 2000. Cependant, 22 créanciers représentant environ 20% du stock de la dette soit 240 million $US dont 78 millions de principal avaient refusé de coopérer dans une logique de traitement comparable aux créanciers publics et déclinés l’offre de rachat. Parmi les 22 créanciers commerciaux non coopératifs, quatre (4) avaient engagé des actions contentieuses de recouvrement auprès des juridictions pour un montant de 158 millions de $US. Il s’agissait de : Winslow Bank, Del Favero SPA, Sconset Ltd., et Grace Church Capital. En début 2005, Winslow Bank a pu recouvrer 50 millions $US en saisissant les dépôts de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) en France et Del Favero SPA a saisi le compte de l’Ambassade du Cameroun à Londres.
Par la suite le Gouvernement du Cameroun à travers la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) a réussi à négocier à l’amiable avec l’ensemble de ces créanciers suivant le principe des traitement comparable pour lequel il s’était engagé dans le cadre de l’accord avec le Club de Paris. Il restait suivant mes dernières informations sur la question deux (2) créanciers résiduels avec lesquels les négociations devaient aboutir en fin 2008.

Babissakana, économiste reputé sur les questions de finance au Cameroun
Journalducameroun.com)/n

Le Cameroun possède t-il des moyens propres de défense pour se protéger contre une attaque éventuelle de ces Fonds?
Si les négociations avec les deux derniers créanciers commerciaux ont été bouclées en fin 2008 ou début 2009, le risque d’attaque des fonds vautours est négligeable ou même inexistant. Au 31 mars 2009, suivant les données de la CAA, la dette publique du Cameroun était de 1 377 milliards de FCFA soit 433 milliards de FCFA de dette intérieure et 944 milliards de FCFA de dette extérieure. La dette extérieure se décompose en dette multilatérale 286 milliards de FCFA, en dette bilatérale 657 milliards de FCFA et dette commerciale 1 milliards de FCFA.

Dans une récente communication gouvernementale, le ministre des finances est revenu sur l’emprunt effectué par le Cameroun auprès du FMI pour le justifier, apportant ainsi une réponse à la lettre initiée par vos soins invitant le nouveau chef du gouvernement à suspendre cette démarche. Pensez vous réellement que le Cameroun puisse résorber tout seul les problèmes liés à la crise actuelle ?
L’objectif de ma lettre de réforme au nouveau Premier Ministre était double : dénoncer la manière cavalière de se ré-endetter auprès du FMI après 20 ans d’ajustement et surtout inviter le chef du gouvernement camerounais à ne pas s’engager dans un nouveau programme de stabilisation économique avec le Fonds pendant que nous avons besoin d’un programme de relance économique susceptible d’impulser une mutation indispensable de notre système productif.
Il faut savoir qu’un emprunt au FMI de 92,85 millions de DTS (144,1 millions de $US le 2 juillet 2009) ne peut fondamentalement rien apporter à la résolution des problèmes majeurs actuels de l’économie camerounaise. D’ailleurs, même en y ajoutant les 152,8 millions de DTS dont vient de bénéficier le Cameroun (comme tous les autres 185 pays membres du FMI) dans le cadre des allocations générale et spéciale des DTS qui ont été approuvées par le conseil des gouverneurs du FMI le 13 août 2009, la problématique économique critique du Cameroun n’est pas effleurée.
La crise financière et économique internationale constitue à la fois une menace et une véritable opportunité. Du fait d’un management de type passif et réactif découlant d’un système de gouvernance politique désuet et inadapté, le gouvernement n’est resté que focalisé sur la menace en termes de baisse des recettes d’exportations découlant de la chute des produits de quelques filières. Pourtant, cette crise internationale (depuis son déclenchement en 2007 et son accélération en 2008) est une opportunité sans précédant, à saisir par un pays comme le Cameroun, pour impulser la mutation radicale et profonde de son système productif en vue d’enclencher un nouveau cycle de croissance économique forte et de progrès social rapide.
En tout état de cause, ce qu’il faut garder à l’esprit est que c’est pas en s’accrochant au FMI, institution spécialiste de la macroéconomie, qu’un pays peut opérer les mutations économiques et sociales structurelles qui sont indispensables pour sont progrès. C’est n’est pas non plus une affaire d’emprunt de quelques maigres DTS ou dollars.

Vautour, animal qui se nourrit des carcasses
static.slate.fr)/n


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