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Cameroun-Dieudonné Essomba : «la crise de la succession s’annonce»

A travers un communiqué rendu public lundi, Le Groupe L’Anecdote portait "à la connaissance du public que Dieudonné Essomba n’est…

A travers un communiqué rendu public lundi, Le Groupe L’Anecdote portait « à la connaissance du public que Dieudonné Essomba n’est plus considéré comme consultant de Vision 4 Télévision, pour le programme hebdomadaire « Club d’élites », pour manquement et récidive ». Notre confrère lui a tendu le micro…

L’opinion a été surprise par un communiqué du Groupe l’Anecdote mettant un terme à votre collaboration avec l’émission « Club d’Elites ». Comment avez-vous appris la nouvelle?

J’ai été informé par des amis qui ont suivi le communiqué ou qui l‘ont lu sur Internet. Ils voulaient savoir ce qui se passe.

Quelle a été votre réaction de suite et les heures qui ont suivi ?

Aucune réaction ! C’est plutôt dans l’ordre normal des choses ! Je suis un vieil habitué des médias, depuis les années dites de braise, en 1990, lorsqu’on réclamait la Conférence nationale pendant les Villes mortes. Et j’ai continué avec mes postures économiques sur la monnaie binaire ou la crise économique.

Les médias sont des entreprises sur qui pèsent de lourdes contraintes. Ils entretiennent des relations particulières avec leurs actionnaires, avec leur ministère de tutelle, avec le monde politique ou avec le fisc, tous partenaires stratégiques qu’ils doivent ménager pour survivre. D’où la nécessité d’adopter une ligne éditoriale conforme aux intérêts de ces partenaires stratégiques. Il est donc naturel qu’un intervenant qui n’est pas conforme à cette ligne soit privé d’antenne.

Le problème ici est que, moi, je ne suis pas un journaliste professionnel qui recherche un salaire, mais un intellectuel qui utilise les médias et le débat médiatique pour promouvoir mes propres thèses. Et chaque fois que je sens un risque pour le Cameroun, je prends la posture qui me semble logique, même si elle ne plaît pas aux médias qui m’appellent. Par exemple, j’étais un invité permanent de la CRTV, mais du jour où je me suis opposé à la politique des Grands projets qui allait nous entraîner fatalement, non pas vers l’émergence souhaitée, mais à la crise économique, ils m’ont carrément barré ! Je ne pouvais évidemment pas, au simple motif d’accéder à l’antenne en leur faisant plaisir, changer d’opinion et entériner un programme économique irréaliste mené par des amateurs ! Aujourd’hui, où en sommes-nous ? La crise est là et elle n’est qu’au début, car le pire est devant nous !

De même, lorsque la crise anglophone éclate et même bien avant, j’ai commencé à promouvoir le fédéralisme que j’ai toujours proposé comme la seule réponse au séparatisme et par extension, au problème plus général de la régulation des rapports intercommunautaires au Cameroun. Un grand nombre de médias m’ont barré, avec l’argument que j’entendais le Cameroun dans la division et qu’en tout état de cause, une petite escouade de gendarmes allait mater la Sécession. 5 ans plus tard, nous sommes où ? La situation s’est totalement enlisée et les morts s’accumulent, sans la moindre perspective de paix.

Nous sommes aujourd’hui devant un enjeu vital pour le Cameroun, à savoir la succession du Président Biya. Il a été réélu en 2018, c’est un fait. Mais en même temps, il a 89 ans et c’est aussi un fait. Et à cet âge, aucun homme ne peut plus être en possession de ses moyens. Pour concilier les deux, la seule solution est de déléguer une bonne partie de son pouvoir au Premier ministre et aux Conseils régionaux. Cela lui permettrait de se limiter à des missions stratégiques d’encadrement qui représentent une charge de travail plus appropriée à son âge.

Mais au lieu de ce désengagement du pouvoir opérationnel et du renforcement des instruments stratégiques de contrôle, on voit des mesures d’hypercentralisation du pouvoir au Palais, toujours sur la base des « hautes instructions ». Nous sommes là clairement devant une opération dangereuse où des gens masqués veulent gérer le Cameroun au nom d’un Chef d’Etat de plus en plus absent, avec tous les risques que cela comporte !

Je ne peux donc pas me mêler dans ce lot de laudateurs qui refusent l’évidence et se fabriquent des fables sur les aptitudes d’un homme de 90 ans à qui Dieu aurait conféré l’exceptionnalité anthropologique de maintenir ses capacités de jeune !

Une telle posture est clairement antagonique à certaines lignes et il est naturel qu’on me chasse. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois, ni la dernière. En tout état de cause, il ne faut jamais s’attendre à ce qu’en m’invitant, je vienne m’aligner derrière une ligne éditoriale qui aille contre mes convictions.

S’agissant plus spécifiquement de Vision 4, il faut dire que c’est la seule chaîne qui m’a proposé un contrat formel de consultation. J’y allais presque tous les dimanches, essentiellement pour l’amour du débat, et un beau jour, son promoteur, Sa Majesté (SIC) Amougou Belinga m’a proposé ce contrat. Naturellement que je l’ai accepté, mais en aucun jour, je n’ai fait la promesse de changer mes options, ni de soutenir le régime, ni de le combattre.

Vous reconnaissez-vous dans les propos qui circulent sur la toile ? Ils auraient provoqué des courroux au sommet de l’État. Les regrettez-vous ?  

La toile a tendance à déformer les propos qu‘on peut pourtant retrouver dans un grand nombre de vidéos que tout le monde peut écouter. Certains ont tendance à gonfler mes propos ou à les réinterpréter pour des objectifs purement politiciens, en voulant me présenter comme un ennemi du régime de Biya dans l’espérance de les rejoindre dans des combats qui n’obéissent pas aux mêmes objectifs que les miens.

En ce qui concerne mes propos proprement dits, les mots ont certainement dépassé la pensée. Mais je persiste et signe : le Cameroun a trois défis qui en font objectivement un volcan en ébullition. D’abord, la crise économique qu’on m’a reproché d’annoncer depuis de longues années – et que tout le monde voit déjà à travers la présence du FMI -, la rareté des revenus et l’augmentation des prix. Ensuite, la crise de l’Etat qui a commencé avec la guérilla sécessionniste au NOSO et les tensions intercommunautaires qui se multiplient, et enfin, la crise de la succession qui s’annonce. Pour ces trois thèmes, je suis toujours passionné, très passionné, parce qu’ils constituent de terribles défis pour la survie de notre pays. Il arrive donc quelquefois qu’à mon propre insu, je sois excessif.

Est-ce que vous n’êtes pas allé loin dans l’analyse des attitudes de la première dame, Chantal Biya ?

Encore un cas d’attribution frauduleuse de mes propos ! Moi, je n’ai pas parlé de la Première dame et je n’en ai jamais parlé dans aucune de mes interventions, que ce soit en mal, que ce soit en bien, à la télévision ou sur les réseaux sociaux. D’autres le font, mais pas moi ! Vous ne trouverez jamais un propos venant de moi en rapport avec cette dame qui occupe les espaces que veut bien lui concéder son mari. Seul ce dernier m’intéresse, puisque c’est lui le Président élu par le peuple camerounais et dont l’action a un impact sur moi. Les actes que pose la Première dame sont des actes d’une épouse que seul son mari peut juger.

Pensez-vous vraiment que malgré son âge, le chef de l’Etat n’aurait plus toutes les capacités qu’exige la gestion d’État, comme le Cameroun ?

Disons plus exactement, le grand âge, autrement dit, au-delà de 80 ans. Tous les Etats ne se gèrent pas de la même manière et tout va dépendre de la place qu’occupe le Chef dans les décisions. Un chef d’Etat peut être centenaire dans une monarchie constitutionnelle comme la reine d’Angleterre, son âge ne gêne personne puisque ses interventions dans l’exécutif sont résiduelles. Pour les mêmes raisons, un Président peut être centenaire dans un régime parlementaire, où le Président ne joue qu’un rôle marginal comme en Israël ou en Allemagne, cela ne gênera personne. A la limite, on peut le concevoir au niveau de l’Etat fédéral, dans lequel l’essentiel des missions opérationnelles de l’Etat est conféré dans les Etats Régionaux.

Mais dans un régime présidentialiste où tout le pouvoir est concentré à la Présidence, le président de la République doit être présent et actif, au risque de se voir instrumentaliser par son entourage qui va gérer le pays en son nom. Ce n’est pas un cas d’école puisqu’on l’a bien vu avec Bourguiba en Tunisie, Houphouët en Côte d’Ivoire et plus récemment, Mugabe au Zimbabwe.

Dans le cas du Cameroun, personne n’a contesté la légitimité du Président Paul Biya. Mais une fois de plus, son âge devrait le conduire à déléguer son pouvoir à un vice-Président qu’il aura désigné, au Gouvernement et aux Régions, de manière à ne rester qu’avec un pouvoir d’encadrement, d’orientation et de contrôle. Ce qui l‘aurait ramené aux cas d’en haut, en conformité avec l’exemple historique du président Mitterrand, alors très âgé, qui avait délégué pratiquement tous ses pouvoirs au Premier ministre Jacques Chirac.

Mais l’attachement excessif au contrôle opérationnel de l’Etat, alors même qu’il n’a plus les moyens physiologiques d’une telle mission, a développé une logique sinistre des hautes instructions derrière laquelle certains membres de son entourage trouvent leur propre agenda. Des « hautes instructions » sont données aux divers ministres alors que le président Biya ne s’est jamais adressé directement à un ministre, respectant la norme constitutionnelle qui est de passer par le Premier ministre, chef du Gouvernement. Bien plus, des gens sont interpellés et leur passeport retiré, toujours au nom des mêmes « hautes instructions », alors que vérification faite, il n’en est absolument rien.

Et on voit d’ailleurs bien qu’au fil du temps, cette logique de hautes instructions prend de plus en plus le pas devant des mesures directes prises par le président Biya. Mais assez étrangement, au moment même où on aurait dû s’attendre à plus de délégation de pouvoir, on note un mouvement inverse d’hypercentralisation où les ministères sont délestés de certaines missions opérationnelles au profit du Palais.

C’est très malsain dans un pays aussi hétérogène et hétéroclite !

Ceux qui veulent fabriquer une curieuse exception à Biya qui lui permettrait d’échapper aux ravages du temps ne savent pas qu’ils creusent leur propre tombe. Ce jeu est extrêmement dangereux, car justement, c’est à l’abri d’un tel mensonge que des gens mal intentionnés de l’entourage présidentiel poursuivront leur projet, tout en renforçant leurs méthodes. Aujourd’hui, les Camerounais ont la chance que le Président ait encore assez de force pour redresser lui-même ces abus. Mais qu’en sera-t-il dans 6 mois, un an, 2 ans, au fur et à mesure que son âge avancé et ses forces déclinent ? Nous allons nous retrouver un beau jour avec des « hautes instructions » d’un président qu’on ne voit pas, nous conduisant en prison ou à la mort, sans savoir ce qui se passe !

Ce n’est pas la première fois que vous partez de Vision 4. Si on revient vous chercher quand tout sera calme, repartirez-vous ?

Je vous ai dit dès le départ que je n’étais pas un journaliste qui vit des prestations médiatiques, mais un intellectuel qui défend des points de vue partout où on m’appelle. Que ce soit une télévision, une radio, un journal, une conférence, dès lors que je suis invité, j‘y vais. Si une chaîne de télévision m’appelle pour un débat, j’y serai toujours pour promouvoir ce qui me semble approprié pour améliorer la situation du Cameroun. Je ne fais pas d’exclusion.

Quant au cas spécifique de Vision 4, je serai toujours à sa disposition, avec contrat ou non, non seulement parce que c’est une chaîne de télévision qui a une grande audience, mais aussi par rapport aux relations que j’ai pu tisser avec son promoteur, Amougou Belinga que je remercie ici pour tous les appuis multiformes qu’il a pu m’apporter !

Évidemment, tout en rappelant à tout le monde que je ne change pas d’opinion.

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