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Cameroun: Ebola et la caméra thermique, le cactus qui cachait le désert

Par Patrice Ndjoumi Mindang, Secrétaire exécutif du CODE

Avec le cap de 4.000 morts franchi, la dernière poussée de la maladie à virus Ebola sévissant en Afrique de l’ouest depuis décembre 2013 est la plus sévère de toutes celles qui ont été enregistrées depuis le premier foyer décrit dans l’ex-Zaïre en 1976. Avec une létalité de 60% ( six personnes sur dix atteintes en meurent), la mortalité liée au virus actuellement actif est pourtant inférieure à celle précédemment constatée en RDC (qui était de 9/10), bien qu’ils soient du meme sous type zaïre. Cette réflexion est suscitée par la gestion de la menace Ebola par les autorités de notre pays.

Moussa l’espiègle et sa passion pour les pièges:
Il s’appelait Moussa. Il avait 6 ans quand il fit ses adieux à la terre, anonyme…ou presque. C’était la période des fêtes de fin d’année. Il séjournait dans un village du sud-est de la Guinée Conakry, dans une région frontalière avec la Sierra Leone et le Libéria. Il était espiègle comme beaucoup d’enfants de son âge et aimait les pièges. Faisant avec son cousin le tour de ceux qu’ils avaient tendus la veille, il trouva un oiseau affaibli. Un épervier ou une chauve souris, nul ne sait avec précision. Il se laissa distraire par l’animal avec lequel il joua un instant avant de poursuivre sa ronde. De retour avec un hérisson pour prise, il ne résista pas aux fruits tombés de ce mangier sauvage en bordure de chemin. Ils étaient savoureux comme toujours en cette période de l’année. Quand huit jours plus tard la rumeur de son agonie se rependit dans le village, cela faisait 48H que sa maman et ses tantes veillaient sur lui, nettoyant diarrhées et vomissements, préparant des décoctions pour faire baisser la fièvre, inquiètes de son dépérissement rapide. La science du marabout montra vite ses limites.

Une collecte d’argent permit que Moussa fut admis dans un centre de santé oú il fallait payer d’abord pour bénéficier de l’attention des soignants. La bonne volonté de l’infirmier de garde n’y pu rien. Celle de l’infirmière du lendemain ne fut pas plus efficace. C’est une mère inconsolable et effondrée qui assista à la mise en terre de son fils huit jours seulement après ses premières plaintes. Effondrée mais aussi anxieuse. La s ur de Moussa, de deux ans sa cadette, présentait depuis la veille des symptômes identiques. Forte fièvre, diarrhées, vomissements, douleurs abdominales, déshydratation, hémorragies. Elle connu quelques jours plus tard le même sort tragique que son aîné. Puis ce fut le tour de tante Aissa, celle qui l’appelait « mon petit mari » et qui fut la plus dévouée des s urs de sa mère aux derniers jours de sa vie. La maman de Moussa ne tarda pas à partir pour le même voyage sans retour. Bientôt le village manqua de femmes chargées des toilettes mortuaires, toutes emportées par le même mal mystérieux. L’infirmier dévoué mouru aussi, entrainant dans son sillage quelques proches.

De proches en proches le mal gagna Conakry la capitale, le Libéria et la Sierra Leone voisins. Les radios étrangères se mirent à en parler. Des humanitaires du monde entier affluèrent. Des virologues, des biologistes et autres épidémologistes. Il s’appelait Moussa et aurait pu mourir anonyme, un catalogue de causes prêtes à l’emploi convoqué pour expliquer une fin aussi précoce: sorcellerie ou misère. Selon les préjugés de chaque commentateur. Mais vinrent des épidémiologistes qui le déclarèrent « patient zéro » (1). Celui qui servit de trait d’union entre le réservoir animal du virus Ebola et l’homme. Il portait peut-être un autre prénom mais aurait tout aussi bien pu se prénommer Moussa. La fin de sa vie fut le point de départ d’une hécatombe dont l’onde de panique diffusa jusqu’à troubler la quiétude d’un ministre camerounais dressé à ne parler, agir que sur hautes instructions d’un spectre perpétuellement en bref séjour privé dans des contrées où l’eau est courante.

Une virulence aidée par le dénuement, les us et coutumes:
Après plus de trente ans de flambées épisodiques en Afrique ( RDC, Soudan, Gabon), l’absence de traitement ou d’un vaccin témoigne d’une connaissance insuffisante du virus Ebola par la communauté scientifique mondiale. Pourtant elle en sait déjà beaucoup sur lui. Sur ses symptômes et signes: forte fièvre, irritation de la gorge, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales, éruption cutanée, hémorragies, etc. Sur ses modalités de transmission ensuite: le contact d’une peau lésée ou de muqueuses avec les fluides corporels d’une personne malade; manipulation d’animaux porteurs du virus ou de végétaux souillés. Et puis sur les facteurs de sa létalité élevée en Afrique.

La faiblesse des moyens sanitaires a depuis longtemps été pointée du doigt comme le facteur principal de cette létalité élevée: capacité d’absorption hospitalière insuffisante, manque de moyens d’isolement des personnes malades, infrastructure de support intensif dérisoire. La circulation rapide du virus est quant à elle favorisée par la défaillance de ce qu’on pourrait appeler une infrastructure d´hygiène communautaire, ainsi que par certaines pratiques culturelles: le manque d’une eau courante saine, un système d’évacuation inexistant des matières fécales, les pratiques culturelles de toilette mortuaire et de façon générale les rituels d’adieu aux morts. Ces facteurs structurels et culturels sont des éléments aggravant de la létalité.

Prévenir puisque qu’on ne peut pas guérir:
Le 08 août dernier, au vue de l’ampleur de la flambée de la maladie à virus Ebola sévissant en Afrique de l’ouest, l’Organisation Mondiale de la Santé l’a déclarée «urgence de santé publique de portée internationale». Aujourd’hui avec deux cas de contagion en hors d’Afrique ( Espagne et USA), il ne s’agit plus d’une simple menace théorique mais d’une réalité. On assiste probablement à la naissance d’une pandémie.

Au Cameroun, c’est au mois d’août, au lendemain du premier décès causé par ce virus au Nigeria voisin, neuf mois après le premier cas guinéen, que le gouvernement a rendu publique des mesures de son dispositif préventif. En fait de dispositif, longtemps, la fermeture des frontières aux voyageurs provenant des pays contaminés en a constitué le seul élément. Il a ensuite été complèté par d’autres mesures inconsistantes dont la plus emblématique, parce que visible, palpable, est la mise en place aux frontières de caméras thermiques. Ce n’est que depuis quelques jours qu’on assiste au balbutiement d’une campagne d’éducation utilisant les médias.

En santé publique, un dispositif de prévention pour être efficace, s’agissant d’une menace infectieuse, doit tenir compte des caractéristiques du germe concerné, de sa contagiosité qui dépend de ses voies de transmission, des moyens sanitaires déjà disponibles et, dans une certaine mesure, de l’anthropologie des populations à protéger.

Improvisations et carences:
La première critique des premières mesures adoptées par le gouvernement camerounais était venue de l’Ordre National des Médecins du Cameroun qui les trouvait insignifiantes car elles ne prévoyaient pas la formation des personnels de santé, ni n’abordaient la délicate question des équipements nécessaires à l’isolement des personnes atteintes par ce virus. Une réaction révélatrice du fonctionnement pathologique du régime. Le ministre de la santé s’était empressé de relayer de hautes instructions d’un spectre absent, au lieu de réunir l’expertise nécessaire pour apporter la meilleure réponse à une à menace, le virus Ebola, au sujet duquel la question n’est pas de savoir s’il se manifestera un jour au Cameroun mais quand se manifestera-t-il et quels moyens devront, pourront être mis en uvre. Récurrent dans le fonctionnement du Renouveau, comme dans toute bonne dictature, la référence à l’intelligence supposée supérieure d’un seul plutôt que la construction d’une intelligence collective. D’autant plus que cette première mesure était dérisoire: la majeure partie du tracé frontalier national échappe au contrôle administratif.

Par ailleurs, les possibilités de mobilité humaine modernes font qu’on peut entrer au Cameroun, venant d’une zone contaminée, après un transit dans un pays considéré comme sain – l’Espagne d’hier ou les Etats-Unis d’avant-hier par exemple; le tout en moins de 24H. Plus encore, si on se souvient que le réservoir naturel de ce virus est animal, que des épidémies d’ampleur inégale ont déjà été signalées dans des pays aussi proches que le Gabon et la RDC, on peut imaginer que dans la population de nos chauves-souris par exemple,il y ait des porteurs. Le saut possible de ce réservoir à l’homme ne peut pas être empêché par les gardes-frontière. La priorité eût été de donner au corps medical les moyens de détection, de prompte prise en charge de cas éventuels et surtout d’éducation non seulement des soignants mais aussi de toute la population à la reconnaissance des manifestations suspectes. Mais il importait plus pour le gouvernement de donner l’illusion du mouvement. Il fallait impressionner et donner à voir, à commenter: alors il a acquis des caméras thermiques, thermomètres géants placés aux frontières. Et on a entendu des aberrations comme ces récits journalistiques les présentant comme moyens de dépistage. Le gouvernement a ainsi réussi à détourner l’attention des carences qui font qu’une flambée sur le sol camerounais est non seulement une certitude (qu’elle soit importée ou générée localement) mais surtout pourrait avoir des conséquences aussi catastrophiques que ce qui s’est passé ailleurs.

L’ampleur de l’épidémie Ebola est d’abord la conséquence de problèmes d’hygiène et de disponibilité insuffisante de l’infrastructure médicale. Il est facile d’imaginer dans une région quelconque de notre pays un patient zéro âgé de 6 ans, insouciant et espiègle, un petit Moussa camerounais, qui aurait eu le privilège d’être scolarisé. Son institutrice lui aurait peut-être enseigné l’importance de se laver les mains avant de manger. Mais comment un tel enseignement peut-il être opérant si une eau saine n’est pas disponible, si une partie importante de la population est réduite – et pas seulement dans l’arrière pays – à dépendre de sources d’eau naturelles parfois situées en aval de fosses septiques? Ce patient zéro pourrait être n’importe lequel de nos compatriotes, jeune ou vieux, qui achèterait sur un marché quelconque du pays des fruits ou des légumes dont les conditions de cueillette ou de ramassage ne sont pas encadrées par un prescrit qui tienne compte les risques de transmission de germes infectieux.

La prompte prise en charge d’un cas d’Ebola suppose la disponibilité de l’infrastructure hospitalière et son accessibilité. Or l’offre est insuffisante aussi bien qualitativement que quantitativement. De plus elle est inaccessible pour une frange importante de la population qui vit avec un budget tendu et doit choisir entre le pain du jour et les soins médicaux. Les anecdotes ne sont pas rares de compatriotes morts sur le pas de l’hôpital, faute d’avoir pu s’acquitter du droit d’entrée. Or on sait l’urgence de l’isolement des patients atteints par le virus dès les premiers symptômes et signes cliniques. A supposer que l’infrastructure d’accueil de ces patients existe, il faut aussi qu’elle soit accessible.

L’un des échecs du Renouveau, loin d’être le seul, est qu’après plus de trente ans d’imposture, il a été incapable de mettre en place un système de santé fonctionnel qui prenne en compte l’imprévisibilité de la maladie et son caractère invalidant de façon transitoire ou plus longue. Obsédé par la pérennité de sa domination, il n’a même pas inscrit le débat sur un tel système à l’ordre des préoccupations intellectuelles ordinaires. S’il fallait montrer l’offre médicale dans notre pays, ce serait un tableau figurant un paysage sans eau et une végétation pauvre; un décors désertique avec sa verdure disparate et rare représentant l’infrastructure médicale insuffisante et inaccessible.

Outre l’insuffisance d’hygiène, il est largement commenté que la circulation rapide du virus est rendue possible par les caractéristiques anthropologiques de nos sociétés. L’offre hospitalière insuffisante, son accessibilité non garantie pour tous font que la famille constitue en fait la première ligne de soignants. C’est elle qui, non avertie des risques éventuels, portée par l’amour, la solidarité et la générosité va nettoyer déjections, vomissures et autres liquides corporels, facilitant ainsi la diffusion d’un virus qui est pourtant moins contagieux que certains autres virus tels ceux de la grippe par exemple. Par ailleurs, les rites d’adieu aux morts ont été identifiés comme un moment de forte circulation du virus: toilette mortuaire, étreinte des dépouilles, distribution des effets des disparus, etc.

Une stratégie de la déshumanisation sociale:
Pour toute société fonctionnant normalement, chaque crise est une occasion de remise en cause et de recherche de solutions adaptées. Face à des dangers nouveaux, une telle société chercherait la réponse la plus adéquate, quitte à modifier ses us et coutumes, à acquérir des réflexes nouveaux, à programmer des investissements appropriés. Ebola est une telle occasion pour notre pays et plus largement, notre continent. Une occasion de mue de nos cultures. Est-il toujours sans danger que la famille s’occupe de ses membres malades? Faut-il laisser en l’état les pratiques de toilette mortuaire? Doivent-elles toujours relever de dépositaires culturels ou faut-il les professionnaliser? Si la première option était choisie, ne faudrait-il pas former les praticiens de ces rituels aux mesures préventives face aux dangers potentiels liés à la manipulation de cadavres, notamment ceux dus à des maladies infectieuses? Si Ebola est une spectaculaire démonstration de ces dangers, ils ne sont pas inédits; ce moment de l’adieu aux morts a certainement déjà été responsable d’autres morts ou amplifié des épidémies. Que l’on songe par exemple au choléra. Ne faut-il pas donner un cadre aux circuits d’exploitation des fruits et légumes qui prenne en compte les risques potentiels pour la santé publique? Quid des produits de la chasse? Est-ce efficace de se contenter de décourager leur consommation ou, pire, de l’interdire?

Après cinquante ans d’indépendance, les deux régimes qui se sont succédés dans notre pays se sont acharnés à empêcher que se mettent en place des mécanismes d’éclosion d’une intelligence de groupe, en soumettant la société entière au génie – ou bien plus souvent aux carences – d’un seul ou d’une oligarchie intéressée qui lui tourne autour. Une caste d’hommes et de femmes investis d’immenses responsabilités mais qui ne parlent et n’agissent que sur haute instruction de… Une caste dont chaque membre a personnellement intérêt à ne pas contrarier les hauts instructeurs et veille énergiquement à l’appauvrissement du débat social, à la non construction d’une intelligence collective.

Le menace Ebola qui pèse sur notre pays aurait pu être l’occasion non seulement d’une réflexion sur les caractéristiques structurelles , culturelles et anthropologiques de notre société pouvant favoriser la diffusion de ce virus meurtrier mais aussi celle d’une concertation pour la modification de ces facteurs. Au lieu de ça le régime RDPC-BIYA, fidèle à sa paresse, a choisi pour symbole de sa vigilance une caméra thermique comme un cactus pour distraire du désert (infra)structurel qui s’étend, infini, une fois franchie la frontière.

Patrice Ndjoumi Mindang
Journalducameroun.com)/n


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