Des voix poussent pour que le fils du président de la République lui succède à la tête du pays. Si l’idée était encore risible il y a quelques mois, des informations font état de ce que ça cravache dur au sein du sérail depuis des années pour que ce projet se concrétise.
Elle semble désormais révolue l’époque où Paul Biya rejetait publiquement l’idée de faire de son fils son successeur. « Le Cameroun n’est pas une monarchie. Seul le peuple souverain est habilité à choisir mon successeur », répondait-il avec force en 2004 dans les colonnes de Jeune Afrique économie, dans une interview où le journaliste lui demandait s’il a un dauphin et quel est le profil de la personne qu’il souhaite voir lui succéder.
Plus tard, il confiera à Jean Marie Atangana Mebara, alors secrétaire général de la présidence de la République, que « s’il disait aujourd’hui, de manière plus ou moins claire ou même déguisée, que le choix de son successeur a été porté sur telle ou telle personnalité, qu’il imaginait les ligues qui allaient se constituer pour détruire ce ‘dauphin désigné’ ». « Il a ajouté ce jour-là que ‘le moment venu, si son parti lui faisait toujours confiance, il recommanderait la personne qui pourrait être le candidat du parti. », rapporte l’ancien proche collaborateur dans l’un de ses livres-mémoires.
Pour certains analystes, le président de la République a toujours surfé sur cette inquiétude pour ne pas mettre en avant une personnalité qui lui succèderait. Dans ce sillage, d’autres avancent que l’opération épervier avait, entre autres, pour but d’éliminer des dauphins auto désignés, trop ambitieux pour les desseins du président. Cette opération épervier, campagne d’assainissement de la gestion des deniers publics, jugée « trop brutale » par un ambassadeur américain, visait donc à éliminer ces adversaires et effrayer de potentiels aventuriers afin de baliser le chemin pour ce dauphin que le président aurait en tête.
Le ralentissement de l’opération épervier, observée depuis peu, coïncide avec la montée des appels pour que Franck Biya, 54 ans, succède à son père. Ces appels, analysent certains observateurs, ne sont pas le fait de quelques illuminés qui voudraient s’attirer l’attention du premier fils du président de la République, mais d’un ballon d’essai visant à tester comment l’idée d’une succession dynastique serait perçue au sein de l’opinion.
D’après plusieurs sources, le projet est d’ailleurs très sérieusement à l’étude à Etoudi, où on pousse les pions pour que Franck Emmanuel Olivier Biya prenne sa place au troisième étage de « La tour ». Depuis son retour en pays en 2020 après le desserrement des mesures anti-coronavirus, plusieurs informations font état de ce que Frank Biya siège effectivement à la place du père. C’est lui qui diligente les dossiers, les soumet au président, suggère et transmet via le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République.
Exit le fils du président qui ne s’intéresserait pas aux affaires de la République dont il est éloigné et donc inapte à prendre le relais. Ce qui a toujours fait sourire ceux qui sont habitués des couloirs du palais d’Etoudi. En 2011 déjà, un journaliste, aujourd’hui directeur général de l’office, révélait par exemple que Franck Biya est l’un des conseillers de son père. Fort de ses études en sciences politiques, le fils de l’ancienne première dame est plus proche des affaires qu’on ne le croit dans les chaumières. Plusieurs hautes personnalités doivent aujourd’hui leur nomination à Franck Biya. C’est le cas de l’actuel ministre de l’Economie, Alamine Ousmane Mey, proche du fils du président. « Les Camerounais seraient tétanisés s’ils pouvaient imaginer les soutiens du petit Franck », avertit l’économiste Dieudonné Essomba.
De plus, sous les lambris dorés de la République, le consensus est en train de se faire autour de cette idée. Pour un proche de la famille présidentielle, « Franck Biya est le profil idéal pour gérer le passif de son père ». Selon cet habitué des arcanes du pouvoir, Franck Biya est « une bonne alternative pour ceux du sérail à qui on pourrait faire des reproches pourleur gestion d’aujourd’hui. Ceux-là voient la succession par le fils d’un bon œil, car ils sont soucieux de préserver leurs acquis et de ne pas être poursuivis, si le pouvoir venait à tomber entre les mains d’ une personnalité du régime qui pourrait avoir des comptes à régler, ou pis, entre les mains d’un opposant au régime ».
Notre interlocuteur ajoute qu’à part le père, le fils « est la seule personne capable de garantir les intérêts, et de sa famille et de ceux qui ont pris coups et risques pour le père ». Mohamed Rahim Noumeu, président exécutif et fondateur du Mouvement citoyen des Frankistes pour la paix et l’unité nationale (l’un de ceux qui foisonnent autour ce projet dynastique), n’en pense pas moins. Pour lui, « Frank Emanuel Biya , qui dans le sillage du président Biya, est celui-là qui sera à même de préserver cet équilibre entre les différents groupes ethniques qui composent le Cameroun ».
Seule inconnue pour l’opinion en ce moment : la forme que prendra cette succession. Franck Biya sera-t-il « présenté » lors du très attendu congrès du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), afin qu’il soit candidat à l’élection de 2025 à la place de papa ? Ou alors Paul Biya, qui se voit bien briguer un énième mandat en 2025, à l’âge de 92 ans, va attendre ce moment pour régler les derniers détails de sa passation de pouvoir.