Par Kah Walla, présidente du Cameroon People’s Party
«Y-a-t-il véritablement un problème anglophone dans ce pays?». A cette question que posent souvent les Camerounais, ma réponse est sans équivoque: OUI. De surcroît, ce problème c’est considérablement aggravé sous la gestion de Mr. Biya, c’est pourquoi le mouvement séparatiste du Southern Cameroons rencontre beaucoup de sympathie dans cette population dite anglophone.
Un peu d’histoire
Sous la colonisation allemande de 1884 à 1914, le Cameroun tel que nous le connaissons aujourd’hui et une partie du Nigeria sont gouver¬nés pour la première fois dans leur histoire comme entité nationale sous le nom Kamerun. Après la défaite de l’Allemagne lors de la première Guerre Mondiale, le Kamerun est divisé, une partie étant sous la tutelle de la France et l’autre sous la tutelle de la Grande Bretagne. Ainsi apparaissent les notions «d’anglophones» et de «franco¬phones» que notre pays connait aujourd’hui.
Pendant que les Upcistes comme Um Nyobé, Moumie, Ouandié et beaucoup d’autres luttaient pour l’indépendance et la réunification avec le Southern Cameroons, à l’Ouest du Mungo, des nationalistes comme Mbile, Endeley et Foncha luttaient pour la séparation d’avec le Nigeria, l’indépendance et la réunification avec l’entité nommée République du Cameroun. Ces nationaliste ont collaborés, se sont entrai¬dés et avaient la vision d’un Cameroun Uni.
La République du Cameroun obtient son indépendance de la France le 1er janvier 1960. Le 11 février 1961, le British Southern Cameroons, dans le cadre d’un référendum, vote pour la réunification avec La République du Cameroun. Cette réunification eu lieu le 1er octobre 1961. La République Fédérale du Cameroun est un pays où le multipartisme est en vigueur, qui comprend deux Etats fédéraux égaux. Au moment où les camerounais/es commencent débattre de leur nation et à déterminer comment ces deux entités vont cohabiter, le Président Ahmadou Ahidjo prend l’ordonnance du 12 mars 1962. Cette législation liberticide et antisubversive institue le parti unique et installe la culture de peur et de méfiance envers tout ce qui est «autorité publique». Cette législation restera en place jusqu’en 1990.
Si en 1962 des voix s’élèvent partout au Cameroun pour pro-tester contre cette législation, les «anglophones» la vivent comme la trahison des accords passés entre les deux états. Le «problème anglophone» est né. Rappelons-nous, malgré le vote massif (70,49%) pour rejoindre La République du Cameroun, il y avait des voix dissidentes. L’ordonnance de 1962 donne raison à ces voix.
Le «problème anglophone» va s’aggraver au fil des années. Sous le régime Ahidjo il se caractérise, entres autres, par:
. La perte des libertés civiques et politiques
. Des services publics centralisés à Yaoundé et trop souvent disponibles uniquement en français
. La formation universitaire disponible presqu’uniquement en français jusqu’en 1985
. Les hautes responsabilités dans la fonction publique, réservées dans leur quasi-totalité aux francophones
. L’abolition de l’état fédéral et la création de la République Unie du Cameroun le 20 mai 1972
. La répression et la brutalité des forces armées étant peu connues dans le Southern Cameroons, les anglophones vivent très mal l’agressivité et la violence des forces armées qui est la norme pour le Cameroun francophone.
Sous le régime Biya, le mécontentement des anglophones ne fera l’objet d’aucune réflexion, d’aucune décision politique. Au contraire, ce régime posera des actes qui vont d’avantage amplifier le «problème anglophone».
. Sous le couvert de l’ordonnance de 1962, Paul Biya fait passer le 4 février 1984, la loi N° 84-1 qui élimine les deux étoiles sur le drapeau pour les remplacer par une seule, et change une fois de plus le nom de la nation en «La République du Cameroun», nom du Cameroun francophone avant la réunification. Pour les anglophones, il s’agit d’une mise à mort symbolique de leur partie du Cameroun.
. La péréquation des ressources naturelles se fait de manière inéquitable et en défaveur des anglophones. Pendant que les collectivités territoriales qui produisent le bois (et qui se situent en zone francophone) reçoivent les retombées de cette ressource naturelle, celles qui produisent le pétrole, n’en reçoivent aucune retombée et se retrouvent dans l’une des situations de développement les plus désastreuses du pays (pas de routes, peu de structures sanitaires, écoles en état de délabrement total, etc.).
. Les opportunités économiques sont très limitées pour les camerounais/es anglophones. Grande est leur amertume quand ils constatent que la Sonara, située en pleine zone anglophone, recrute presqu’exclusivement des cadres francophones, logés dans de belles villas dans un des plus beaux quartiers de Limbe!
. Les postes de vice-président, directeur adjoint, secrétaire général adjoint, etc. sont ceux réservés aux anglophones. Les anglophones se lassent d’être toujours en seconde position. Toujours adjoints! Comme si ils n’avaient pas les qualifications ou l’intelligence suffisante et nécessaire pour être des dirigeants de premier ordre.
Ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. Les injustices quotidiennes vécues dans les écoles, les administrations publiques et dans la rue sont légion. «L’anglophone» devient un citoyen de seconde classe dans son propre pays et le problème s’accentue.
Que cette réunification se célèbre dans une fausse année, une fausse date, avec des slogans, creux, est révélateur et, en tout état de cause, ne saurait apporter une solution à ce problème. Au contraire. Je suis de celles/ceux qui pensent qu’il est temps de nous débarrasser de nos identités coloniales et de vivre véritablement comme des Camerounais/es. Mais, ceci ne se produira pas par la célébration qui aura lieu cette semaine. Comment parvenir à un Cameroun où tous les Camerounais/es se sentent chez eux? II faut adresser le «problème anglophone» de manière frontale, prendre le temps et suivre les étapes nécessaires pour exorciser ce mal de notre mémoire et de notre histoire collective.
Etape I:
Dialogue national sur l’identité camerounaise
Ce dialogue permettra de faire face à notre histoire coloniale et de surmonter de manière définitive et positive le traumatisme de la colonisation et les échecs du processus de réunification à ce jour. Il permettra d’instaurer notre diversité linguistique comme un atout pour la nation et un élément de compétitivité sur le marché mondial. Tous les protagonistes devront être présents lors de ce dialogue, notamment les séparatistes de la zone anglophone. Ce sera le moment d’écouter toutes les plaintes et récriminations de panser les plaies et de trouver des solutions consensuelles qui nous permettent d’avancer avec une identité nationale affirmée.
Ce même dialogue sera l’occasion d’adresser aussi les questions des peuples autochtones et la question de la diversité ethnique qui minent notre identité nationale.
Etape II: Intégration de l’histoire politique du Cameroun dans la vie camerounaise
Une fois que nous avons confronté notre passé, il est important qu’il soit intégré dans la vie quotidienne des Camerounais/es.
. Dans le système éducatif: Il est nécessaire d’intégrer la lutte pour T’indépendance et la vérité sur le processus de réunification dans les manuels scolaires dès le primaire. Il est important d’encourager les recherches et thèses sur cette période de notre histoire dans les universités et de les exploiter pour la construction permanente de la Nation, camerounaise. Des cours de langue devront être disponibles pour les adultes à travers les municipalités.
. Dans les administrations publiques: Tout service public devra pouvoir être délivré en anglais ou en français sur l’étendue du territoire national
Etape III: Décentralisation Effective
Afin de permettre à chaque région du pays de faire valoir son identité propre dans le cadre d’un Cameroun fort et uni, la décentralisation effective devient une urgence. Toutefois, cette décentralisation devra répondre aux aspirations des populations dans ces différentes régions avec des éléments clés tels que:
. Des gouverneurs et autres dirigeants de la région qui sont élus et non nommés
. La péréquation de toutes les ressources naturelles sur l’ensemble du territoire national de manière à permettre aux régions qui produisent les richesses de bénéficier de manière adéquate de ces richesses
. La mise en place effective des ressources qui permettent aux populations de tenir les élus locaux comptables de leur développement
Etape IV: Une véritable stratégie culturelle valorisant notre diversité dans toutes ses formes
A la sortie du dialogue national, il sera important de mettre en uvre une stratégie culturelle valorisant notre histoire et la diversité qui est sa résultante. Cette diversité est une richesse et un avantage compétitif pour le Cameroun. Il est important que le Programme National de la Culture le reflète. Voici quelques possibilités:
. Mise en place d’au moins une maison de la culture par région qui valorise:
o La culture régionale
o Le bilinguisme
o L’échange culturel avec les autres régions du pays
. Érection de monuments pour les héros et héroïnes de ta lutte de l’indépendance dans nos villes
. Mise en place de circuits touristiques ayant pour thème la lutte pour l’indépendance et la réunification du Cameroun
. Financement des films, livres et autres productions artistiques qui permettent d’informer et d’éduquer sur notre histoire et notre diversité linguistique et ethnique.
Un Peuple, Une Nation, Un Avenir, oui M. Biya, nous sommes d’accord avec vous. Seulement, contrairement à ce que vous pensez, ça ne se décrète pas, ça se construit.