« La terre de Foumban s’est définitivement refermée samedi sur le sultan roi des Bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya. Avec la disparition de cette forte personnalité, le peuple camerounais perd l’un des derniers Mohicans sinon le dernier de l’ordre gouvernant vieux de quatre décennies, qui pouvait encore en public, mais davantage en privé, conseiller le chef de l’État avec franchise, justesse, consistance et clairvoyance.
En 2008, le monarque avait déjà marqué les esprits en prenant des distances relativement au projet de modification de la constitution, lequel visait à faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel. Une posture qui avait jeté un froid glacial mais passager sur son amitié légendaire avec le président de la République. Des années plus tard, on est fondé de se demander s’il avait tort ou raison de décourager ladite révision constitutionnelle…
Au cours du Grand dialogue national (GDN), il y’a deux ans, Ibrahim Mbombo Njoya a remis une couche en suggérant la modification de la loi fondamentale en vue de limiter le mandat présidentiel et d’adopter le principe de l’élection présidentielle à deux tours. Il a également proposé qu’une batterie de mesures soit prise dans les six mois suivant le GDN en vue de hâter la décentralisation et ainsi éviter le pourrissement de la situation dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. A ce propos également, on peut se demander si la trajectoire des évènements dans ces régions aurait été la même si on avait donné suite à l’exhortation du défunt roi des Bamoun.
La stature physique et morale du regretté sultan en imposait donc. Il était un homme grand et un grand homme.
A trois ans de la fin du septennat courant dit des grandes opportunités, Mbombo Njoya va nous manquer cruellement. En effet, au moment où le pays sombre de plus en plus dans de multiples divisions et que les batailles s’empilent et s’enflamment pour le contrôle du pouvoir après l’actuel locataire du palais d’Etoudi, les voix comme celle de Mbombo Njoya sont les seules qui peuvent encore s’inscrire au-dessus de la mêlée et ramener tout le monde à l’essentiel : la paix, l’unité et la patrie avant tout.
Malheureusement, même les notables de la République dont les voix peuvent porter se taisent par lassitude, peur de représailles ou davantage par carriérisme.
Chefs traditionnels, ministres du culte, universitaires, intellectuels…ils sont nombreux qui ont décidé de « s’aligner » sans broncher au moment où la République a le plus besoin de leur transgression. Certains sont en attente d’un décret salvateur, d’autres escomptent des prébendes ou des rentes que seul un silence complice ou une prise de parole complaisante peut leur garantir.
Le vide laissé par Mbombo Njoya est grand, abyssal, sidéral. Au sein du Rdpc, où le rapport au chef, au président national ne s’exprime qu’en termes de motions de soutien et de déférence, dans cette famille politique où le débat sur la modernisation du fonctionnement du parti est verrouillé, sinon tabou, le voix de Mbombo Njoya va manquer à l’appel.
Au cours du dernier congrès du Rdpc, René Ze Nguele, autre notable de la République, avait par exemple sonné le tocsin sur la nécessité de ne pas laisser le parti fonctionner comme une « chasse d’eau », mais ce sénateur a depuis lors disparu des écrans radars de la critique citoyenne. Peut-être prépare-t-il une nouvelle estocade ou candidature pour le prochain congrès du Rdpc…
Le roi nous laisse orphelins. Orphelin de son style si particulier qui se jouait des corsets et mettait l’intérêt supérieur de la nation avant l’intérêt partisan ou individuel.
Le roi est mort. Vivement que la marque de fabrique qu’il incarnait lui survive. »
Par Georges Alain Boyomo
Éditorial du 11 octobre 2021 dans Mutations