Dessous et coulisses d’un procès marathon
« Vous allez où ? »
Lorsque nous empruntons le taxi ce vendredi 21 septembre 2012 au quartier Nkomkana pour le palais de justice de Yaoundé, à l’effet de couvrir l’audience censée rendre le verdict de l’affaire Marafa, le conducteur nous fait cette mise en garde : « je ne peux pas vous laisser devant le tribunal ; on a déjà barré les routes là bas ». Nous acceptons. Le véhicule jaune roule lentement, les bouchons empêchant d’aller plus vite. Surtout que dans la foulée, l’on annonce le retour du président de la République à Yaoundé, après un séjour de réconfort aux victimes des inondations dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord. Arrivés au lieu- dit « Carrefour Warda », nous sommes « doublés » par un camion militaire roulant à vive allure. A son bord, des soldats de la Garde présidentielle cagoulés et bien armés. Non loin de là, vers le supermarché Mahima, des policiers en treillis sont en faction. Pas d’ambiance particulière au lieu-dit Education. Nous roulons donc jusqu’au ministère des Finances. Et pan : un bouchon hermétique. Le taxi réussit néanmoins à se frayer péniblement un passage et nous dépose non loin de l’Ecole du Centre. Il est formellement interdit de s’arrêter plus haut. Des barricades sont dressées sur la route, devant le Musée national. Policiers, gendarmes, tous grades confondus, filtrent les entrées. Certains ressemblent aux grenouilles, de par les parements de combat qu’ils arborent.. Ici, armes, casques, matraques, boucliers. sont les objets les plus visibles. Tout le monde n’arborant pas un uniforme est littéralement suspect et potentiellement dangereux. « Vous allez où ? » Cette question routinière, ou du moins cette formule d’intimidation, est posée à tout le monde. Le dispositif sécuritaire est le même à l’entrée du palais de justice. Des milliers d’agents des forces de maintien de l’ordre sont réquisitionnés pour le procès de Marafa Hamidou Yaya, ancien secrétaire général à la présidence de la République, inculpé de détournement de fonds dans l’affaire de l’achat d’un avion au président de la République, Paul Biya. Il faut faire la queue, se soumettre au détecteur des métaux. Et endurer des injures grossières et l’impolitesse des forces de maintien de l’ordre. Dans cette ambiance, des menaces de bastonnades et des bousculades perpétrées unilatéralement par des policiers et gendarmes meublent le menu des tracasseries des curieux venus assister à ce procès. Le sort de ceux qui viennent au tribunal est similaire à celui que des membres d’Al-Qaeda subiraient dans un aéroport de New-York ou de Washington.
« Vous voulez que ces galons deviennent le carton ? »
Il est 11 heures et demi lorsque des policiers et gendarmes décident de suspendre l’accès à la salle d’audience du tribunal de grande instance du Mfoundi devant abriter le procès de Marafa. Un gendarme, au physique démesurément énorme, menace de matraquer un usager. « Vous ne pouvez pas porter main sur moi. Qu’ai-je fait ? Vous voulez battre sur un honnête citoyen dans un palais de justice ? Je suis libre, je suis dans mon pays », vocifère l’usager. Ce coup de gueule faiblit la fougue du pandore. Ceux qui se voient refoulés sans manière à l’entrée de la salle d’audience n’hésitent pas à affirmer que la majorité de ceux qui ont eu le « visa » sont des hommes en tenue arborant stratégiquement des tenues ordinaires. Une thèse qui se vérifie sans efforts particuliers. Puisque certaines de ces personnes « civiles », à la vue d’un haut gradé, ne se privent pas de leur servir le salut militaire. C’est tout dire. Une vive dispute s’engage entre des policiers, gendarmes et un monsieur en costume gris assorti d’une chemise sans cravate. « Je suis le petit frère de Marafa, même père. Je suis là depuis 8 heures et vous m’empêchez d’entrer dans la salle ! On ne peut pas rendre visite à notre frère au Sed où il est enfermé. Et vous nous empêchez maintenant de venir le soutenir moralement ici au tribunal ? Ce Marafa a même fait quoi pour qu’il soit coupé de sa famille ? » A cette colère d’un proche de l’ex SGPR, un gendarme affirme que « c’est pour des raisons de sécurité ». Réplique du frère de Marafa : « vous m’avez vu avec une arme ? En quoi suis-je dangereux ? Fouillez-moi si vous voulez ». Il accompagne ses propos d’un haussement de mains. Les autres membres de la famille Marafa restent muets. Mais la tristesse se lit sur les visages. « Libérez le couloir ! Il faut laisser les gens circulez ici », intime un inspecteur de police en uniforme noir. « Je n’empêche pas que les gens passent », répond ce parent de Marafa en libérant l’espace indiqué par le policier. Le frère du prévenu ne décolère pas. Il est inconsolable. Un commissaire de police divisionnaire se rapproche de lui. Le frère cadet de l’ex ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation ne retient pas sa colère. Le commissaire lui répond calmement : « permettez qu’on fasse notre travail ». Son interlocuteur rétorque : « je ne vous empêche pas de faire votre travail ». En répondant ainsi, il n’a certainement pas bien compris ce que voulait dire l’homme en tenue. Le commissaire reprend la parole. Pour repréciser sa pensée. Il pointe l’indexe droit sur les six étoiles dorées posées sur son uniforme. « Vous avez vu ces galons ? Vous voulez qu’ils deviennent le carton ? » Tout est dit ! Inutile d’insister. Les membres de la famille de Marafa sont expulsés du tribunal. Ils ne verront pas leur parent, et n’assisteront pas à l’audience du 21 septembre 2012.
« Bonjour madame le président! »
Les hommes de médias ne sont pas admis dans la salle d’audience. Certains journalistes multiplient des supplications, pour que les agents de maintien de l’ordre leur permettent d’accéder dans cette salle d’audience devenue très précieuse ce vendredi 21 septembre 2012. « Laissez-nous aussi faire notre travail. Nous sommes des journalistes. Nous sommes là pour couvrir le procès, et rien d’autre ». Cette supplique et bien d’autres ne font pas fléchir les hommes en tenues. Certains journalistes sont arrivés au tribunal à 8 heures. Les policiers et gendarmes les ayant identifiés – comme hommes de médias – n’ont pas accepté que ces derniers accèdent dans la salle. Un commissaire divisionnaire vient demander à un journaliste une pièce justifiant qu’il est journaliste. Ce dernier lui montre sa carte d’identité nationale sur laquelle il est écrit « journaliste » dans la rubrique « profession ». Le policier se met aussitôt à sourire. « Je ne demande pas votre carte d’identité. Ça ne suffit pas », lâche le policier. « Ce n’est pas vous qui établissez les cartes d’identité ? », lui demande un autre journaliste. « Je veux un document signé des mains du ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary », ajoute le commissaire divisionnaire. C’est à ce moment qu’un colonel de gendarmerie décide d’entrer en scène. Il tempête. « Je ne veux plus voir personne ici ! Faites-moi partir tout ce monde ! Ces couloirs doivent être libérés », vocifère-t-il comme une bête féroce, en précipitant de ses deux mains une gendarme et un inspecteur de police pour qu’ils engagent immédiatement l’expulsion manu militari. Et à un journaliste, l’homme en tenue enragé lâche : « je ne fais pas la politique. Allez faire la politique ailleurs ! ». Les sous-gradés ne se font pas prier pour entrer en scène. Ils ne se privent pas de brutalité. Matraques et boucliers au poing, policiers et gendarmes expulsent les usagers et les curieux du tribunal. Ceux qui n’ont pas le pas alerte sont bousculés. Les agents de maintien de l’ordre donnent des coups de matraques à ceux qui ne s’exécutent pas rapidement. Une dame, dans la foulée, est bousculée. Elle veut accéder au tribunal. Un inspecteur de police sème la terreur. Il bouscule tout et tout le monde sur sa trajectoire. « On ne peut plus passer ici ? » A cette question de la dame, le policier se retourne précipitamment. Et se rend compte que c’est une juge en service au tribunal. Précipitamment et honteusement, il sursaute et salut militairement la juge avec une mollesse tranchant avec les trésors de brutalité qu’il a étalée quelques minutes auparavant. « Bonjour madame le président », lance-t-il timidement. La dame ne dit mot et se dirige dans son bureau.
« C’est la sécurité d’Etat ! On ne discute pas ! »
Une fois hors de l’enceinte du palais de justice, d’aucuns croient que leurs déboires et altercations avec les forces de l’ordre sont finis. Erreur ! Devant le bâtiment du Contrôle supérieur de l’Etat situé non loin de celui de la Cour suprême, un officier de police se dirige vers un journaliste. Et lui demande : « vous allez où ? » Le journaliste ne dit mot et continue de marcher. Le policier pose à nouveau sa question. « Je vais là où je vais. Vous êtes qui pour que je vous dise où je vais ? » La colère du policier est très vite anéantie par l’indignation collective de la cohorte des journalistes expulsés du tribunal. Un autre officier de police tente de calmer les hommes de médias. Un journaliste réplique : « nous sommes libres ! Parlez aux gens avec courtoisie. Qu’est-ce qu’il y à voir quelqu’un passer et lui demander là où il va ? Ça veut dire quoi ? » A ce coup de gueule, un inspecteur de police décide de riposter. « C’est la sécurité d’Etat ! On ne discute pas ! » Réponse d’un journaliste : « l’Etat c’est moi ! Je ne suis pas en dehors de l’Etat ». Les agents de maintien de l’ordre sont aussi nombreux ici que du côté du Musée national. Ils sont postés devant les bâtiments des Archives nationales, des ministères des Sports, de la Jeunesse, des Transports. Le jardin public situé non loin de là est assailli par des hommes en tenue. Tous sont lourdement armés. La route est barricadée de ce côté-là aussi. Des altercations se multiplient entre les forces de l’ordre et les usagers. Dans cette ambiance, l’on assiste même à des échanges de coups de poings. Sans pour autant que ceux qui se bagarrent ne sachent ce qui est en train de se dire et se décider dans la salle d’audience. Ici, le juge, Gilbert Schlick, décide finalement de condamner Marafa Hamidou Yaya à 25 ans d’emprisonnement ferme.
« Je suis déçu, mais pas vaincu »
Le procès de Marafa Hamidou Yaya, Yves Michel Fotso, Jean-Marie Assene Nkou et leurs coaccusés a débuté au tribunal de grande instance du Mfoundi ce vendredi 21 septembre 2012 à 14 heures 10 minutes. Selon certaines sources dignes de foi, il y aurait d’abord eu de grandes man uvres de coulisses avant l’ouverture de l’audience. Nos sources indiquent que les magistrats intervenant dans cette affaire se sont retrouvés en réunion secrète à la Cour suprême avec Alexis Dipanda Mouelle, le premier président de cette haute juridiction. Après ce conciliabule, les magistrats ayant la charge de juger Marafa et ses coaccusés ont eu une autre réunion secrète au tribunal avant le début de l’audience. Ces man uvres ont certainement contribué à harmoniser les rouages du rouleau compresseur, en vue de battre en brèche les arguments juridiques dans cette affaire de détournement aux contours labyrinthiques. Ce procès était très attendu. Car, lors de la dernière audience, l’affaire avait été mise en délibéré. Tout le monde attendait donc le verdict. Les arguments juridiques des avocats, lors de leurs plaidoiries ne parviennent pas à assouplir le tribunal qui avait déjà sa position au vue des man uvres de coulisses ayant précédé l’audience. Le procureur de la République, dans ses réquisitions, requiert une peine de prison à vie pour Marafa et ses coaccusés. La lecture desdites réquisitions va jusque tard dans la nuit. Les mis en cause sont reconnus coupables des faits de détournements des fonds publics qui leur sont imputés. Il est 7 heures ce samedi 22 septembre 2012 lorsque le président du tribunal, Gilbert Schlick, prononce la sentence : 25 ans de prison ferme pour Marafa Hamidou Yaya, Yves Michel Fotso et Jean-Marie Assene Nkou. Géneviève Sandjong écope de 15 ans de prison. Julienne Nkounda a été condamnée à 10 ans d’emprisonnement. Toutes ces personnes condamnées doivent payer 21,375 milliards à l’Etat comme dommages et intérêts. Après le verdict, Marafa Hamidou Yaya a prononcé ces mots : « je suis déçu, mais pas vaincu ». Sa défense croit que le déroulement de ce procès est un déni de justice.