Par la CAC, Coalition des Associations de Consommateurs
Excellence Monsieur le Président de la République,
Nous venons par la présente exprimer l’indignation des millions de consommateurs à la suite de l’augmentation des tarifs de l’électricité et solliciter votre haute intervention sur ce dossier crucial.
En effet, le 28 Mai 2012, l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (ARSEL) a rendu publique la nouvelle grille tarifaire de l’électricité, qui a pris effet ce 1er Juin. Cette décision irrationnelle et pleine de conséquences n’a pu être prise qu’avec l’accord formel du gouvernement.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Tenaillés par une inflation galopante et un pouvoir d’achat sans cesse en berne, c’est naturellement avec colère que les consommateurs ont accueilli cette nouvelle hausse des prix de l’électricité. Nous sommes d’autant plus outrés que, vendredi 25 Mai 2012, l’ARSEL a convié les associations de consommateurs agréées auprès de l’Agence à une réunion de concertation tenue dans ses locaux, sis au quartier Bastos à Yaoundé. La communication sur les tarifs était l’un des 03 points inscrits à l’ordre du jour de cette rencontre qui a duré près de 06 heures d’horloge. Avec l’Agence, les organisations présentes ont donné leur opinion sur l’état des lieux du secteur de l’électricité et les moyens de sortir de l’ornière. Sur les tarifs, nous avions réclamé que toute modification de la grille tarifaire soit subordonnée à une preuve tangible et préalable étalée sur une période de12 mois, apportée par l’opérateur AES/SONEL, sur l’amélioration de la qualité du service, notamment la fin des coupures intempestives de l’électricité, et au cas échéant de lui infliger des sanctions légales et contractuelles prévues à cet effet. Il n’était nullement question qu’au lendemain de cette rencontre, l’ARSEL autorise l’opérateur AES/SONEL à procéder à une quelconque augmentation des tarifs de l’électricité, alors que le service dû aux consommateurs se dégrade inexorablement sur l’ensemble du périmètre de distribution concédé en Juillet 2001. Ce passage en force de l’ARSEL, traduit un mépris inadmissible pour les organisations de défense des consommateurs et témoigne de l’hypocrisie de cette administration et d’autres, dès lors qu’il s’agit d’impliquer la société civile à la prise de décisions essentielles ; ceci, en violation de l’article 21 de la loi-cadre N°2011/012 du 06 Mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun. En laissant l’ARSEL agir de la sorte sur un sujet aussi sensible, le gouvernement a de facto accordé une prime aux délestages, provoquant du coup l’amertume et la frustration chez tous les usagers de l’électricité.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Avec cette nouvelle grille tarifaire, nous en sommes à la 6ème augmentation du prix du kWh depuis la concession du 18 juillet 2001, notamment après celle de 2002, 2003, 2007, celle déguisée en baisse de 2008 et celle de 2010. Le prix du kWh est ainsi passé de 58,15 FCFA en moyenne avant la privatisation pour toute consommation supérieure à 90 kWh à presque 100 FCFA aujourd’hui (plus précisément 99 FCFA), soit une hausse de 71,96%. Ce renchérissement s’est fait pendant ces 10 dernières années sans aucune contrepartie en termes de qualité du service, ni pour les ménages et encore moins pour les entreprises. Outre cela, l’ARSEL et l’opérateur AES/SONEL accompagnent cette mesure perfide d’une propagande mensongère sur la réalité de la consommation d’électricité au Cameroun. Cette campagne tend à faire croire que le maintien de la tarification dite « sociale » à son niveau actuel devrait être un motif de satisfaction pour les usagers, puisqu’elle concernerait plus de 60% des ménages modestes. C’est un grossier mensonge. En effet, l’ARSEL a arbitrairement fixé la tranche dite « sociale » de la consommation d’électricité entre 0 et 110 kWh. Pourtant une enquête que nous avons menée sur le terrain a montré que plus de 70% des ménages pauvres connectés au réseau public d’électricité consomment en moyenne 199,2 kWh/Mois ; ce qui les classe largement au dessus de la « tranche sociale ». La consommation en dessous de 110 kWh concerne à peine 10% des consommateurs-clients d’AES/SONEL. C’est d’ailleurs pourquoi depuis plusieurs années, nous demandons en vain à l’ARSEL de procéder au relèvement de la tranche sociale de consommation d’électricité à 200 kWh, au même prix de 50 FCFA le kWh et sans TVA. Il faut souligner que pour les catégories de consommateurs professionnels, notamment les entreprises dont les tarifs connaissent une nette hausse dans cette nouvelle grille, cette augmentation va se manifester indubitablement par une flambée des prix des produits et services destinés aux consommateurs finaux, accentuant les effets néfastes déjà perceptibles de la vie chère. A propos des frais d’entretien et renouvellement compteur, leur suppression est également une vielle revendication des organisations de défense des consommateurs. Pas un seul client de AES/SONEL ne se souvient un jour avoir reçu chez lui un agent de cette entreprise pour effectuer l’entretien de son compteur. En prenant une moyenne de 1000 FCFA de frais d’entretien compteur que chaque usager-client d’AES/SONEL verse automatiquement tous les mois en payant sa quittance d’électricité, et partant d’un échantillon de 700000 abonnés, l’opérateur AES/SONEL a empoché plus de 700 millions FCFA/Mois pour rien, soit plus de 91 milliards FCFA en un peu moins de 11 ans de présence au Cameroun. Il faut que cet argent volé aux consommateurs au vu et su de l’ARSEL, leur soit restitué.
Excellence Monsieur le Président de la République,
L’une des missions que vous aviez vous-même assigné à l’ARSEL, à travers le décret présidentiel N°99/125 du 15 juin 1999 portant organisation et fonctionnement de l’Agence, est de : « Veiller aux intérêts des consommateurs et assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l’énergie électrique, de veiller également au respect du principe d’égalité de traitement des usagers par tout exploitant ou opérateur du secteur de l’électricité ». L’article 72 de la nouvelle loi 2011/022 du 14 décembre 2011 régissant le secteur de l’électricité, que vous avez promulgué il y a moins de 06 mois, confirme cette vocation de l’ARSEL. Malheureusement, l’ARSEL, en principe garant des intérêts de toutes les parties prenantes du secteur de l’électricité, a choisit de tourner le dos à l’impartialité et à l’objectivité prescrites par la loi. Depuis plus de 10 ans et malgré les nombreux désagréments de toutes natures dont se plaignent les usagers, l’Agence a été incapable de la moindre véritable sanction à l’encontre de l’opérateur AES/SONEL.
En fait, cette dernière décision de l’ARSEL n’est qu’une preuve supplémentaire du laxisme et de la connivence du régulateur avec l’opérateur AES/SONEL dans la ponction indue et l’arnaque opérées sur les consommateurs d’électricité. Hormis la sauvegarde de quelques intérêts égoïstes et inavoués, nous ne comprenons pas cette inclination machinale des dirigeants de l’ARSEL à soutenir en permanence la hausse des tarifs d’électricité sur l’unique base de raisons économiques, confortées par quelques clauses contractuelles sur la tarification en faveur de l’opérateur AES/SONEL. Pourtant, l’argument juridique et le chantage aux investissements que brandit chaque fois l’opérateur AES/SONEL pour justifier l’augmentation des tarifs, notamment l’article 5-3 du Contrat-cadre de concession – disposition que du reste l’ARSEL s’est toujours refusée à modifier – peuvent aisément être battus en brèche en mettant simplement sur la balance, les innombrables cas des violations par l’opérateur du cahier des charges de ce même contrat de concession, notamment le non respect de certains objectifs contractuels tels que la desserte et la qualité du service de l’électricité.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Plus de 10 ans après la privatisation, les consommateurs en ont assez de continuer à payer au prix fort le lourd tribut d’une gestion calamiteuse du secteur de l’électricité, situation que vous-même ne cessez de dénoncer dans presque chacune de vos allocutions. Cette nouvelle augmentation des tarifs de l’électricité est potentiellement porteuse de troubles sociaux graves. Elle n’est ni économiquement ni socialement justifiable. Compte tenu du climat social délétère ambiant et du degré d’impopularité de cette mesure, au nom de tous les consommateurs, les organisations membres de la Coalition des Associations de Consommateurs, vous exhortent à user de toute votre autorité pour faire abroger cette décision inique de l’ARSEL et ordonner la pénalisation des délestages. Votre haute intervention permettra d’éviter à notre pays un nouveau cycle de violences et de chaos dont il n’a pas du tout besoin en ce moment.
Dans l’attente, veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de notre profonde considération.
