Expert en intelligence économique et stratégique, Guy Gweth nous propose à travers une analyse, sa vision des raisons d’une présence chinoise au Cameroun
En 1973, Alain Peyrefitte reprit l’avertissement lancé par Napoléon Bonaparte deux siècles plus tôt: « Quand la Chine s’éveillera. Le monde tremblera. » Alors que la Chine était regardée comme « un géant aux pieds d’argile », l’auteur français semblait nager à contre courant : « vu le nombre de chinois, écrivait Peyrefitte, lorsqu’ils auront atteint une culture, une technologie suffisante, ils pourront imposer les idées au reste du monde. » De la victoire des communistes de Mao Tsé-Toung en 1949 à l’organisation de l’Exposition universelle de Shanghai 2010 en passant par l’obtention des Jeux olympiques de 2008, la Chine s’est éveillée. Ses atouts ? Une stratégie de puissance élaborée, un régime politique structurellement fort, un développement économique et technologique fulgurant, un immense marché intérieur, un remarquable sens des affaires et une diaspora attachée à la mère-patrie.
Selon un rapport du département Intelligence économique de PWC publié en mars 2006, sur l’état du monde en 2050, « la Chine pourrait dépasser les États-Unis d’ici 2025 pour devenir la plus grande économie du monde. Elle devrait poursuivre sa croissance pour acquérir d’ici 2050 une taille équivalente à 130 % de celle de l’économie américaine. » L’économie chinoise a cru de 10% par an au cours des 10 dernières années. Depuis 2003, la Chine est devenue le deuxième consommateur de produits pétroliers après les Etats-Unis et devant le Japon. L’Empire du Milieu a besoin de ressources naturelles que l’Afrique est en mesure de lui apporter. En faisant le choix de l’économie de marché au début des années 1980, Pékin s’est lancé corps et âme dans la grande compétition économique mondiale. Profitant totalement de l’hyper consommation occidentale, les usines chinoises ont tourné à plein régime ces dernières années provoquant l’intensification des relations économiques et commerciales avec l’Afrique et, suite logique, la flambée des cours des matières premières.
En 1995, c’est Jiang Zemin qui a solennellement décrété le top départ de l’internationalisation des entrepreneurs chinois : « Sortez, avait lancé le dirigeant communiste. Devenez des entrepreneurs mondiaux ! » Plusieurs des grandes entreprises chinoises ont choisi l’Afrique, parce qu’elles peuvent y voir leurs concurrents à l’ uvre et les étudier, sans être trop jugées sur la qualité de leurs produits. Dans ce sens, le continent noir est un terrain d’essai idéal pour des entreprises chinoises qui veulent devenir globales. Depuis, « le gouvernement chinois encourage donc les entreprises à investir en Afrique dans des secteurs aussi variés que le commerce, l’agriculture, la construction, les mines, le tourisme. » Aujourd’hui, l’Afrique abrite un millier d’entreprises chinoises, un chiffre en constante augmentation. Le volume des échanges a été multiplié par dix depuis 2000 pour atteindre 107 milliards de dollars en 2008. Certes le PCC continue de maîtriser le destin des grandes entreprises publiques à l’instar de la China Petrochemical Corporation (Sinopec) ou la China National Machinery and Equipment Corporation (CNMEC) mais il a de moins en moins prise sur les activités des entreprises privées et beaucoup moins sur les milliers de petits commerçants qui ont pris d’assaut les marchés africains.
Les échanges avec la Chine sont cependant une chance et un danger comme le notait en janvier 2005 Moeletsi Mbeki, vice-président de l’Institut sud-africain des affaires étrangères de l’université de Witwatersrand, à Johannesburg: « En échange des matières premières que nous leur vendons, nous achetons leurs produits manufacturés. Et cela ne peut qu’avoir un résultat prévisible : une balance commerciale négative. N’assiste-t-on pas à la répétition d’une vieille histoire ? » Malgré une légère inflexion observée ces dernières années, les investissements directs étrangers chinois continuent de cibler prioritairement les pays riches en ressources minières dont le Cameroun.
Avant de dévoiler nos 10 propositions pour tirer un meilleur profit de la coopération chinoise, il importe avant de tout de saisir les deux principales clés qui donnent accès au décryptage de la diplomatie pékinoise en Afrique: l’art de la guerre (1) et la stratégie de la lamproie (2).
1 – L’art de la guerre économique
La première traduction française de « L’art de la guerre » de Sun Tzu est celle du Père Amiot, missionnaire jésuite, qui paraît à Paris en 1772 sous le titre Les XIII articles. L’une des grandes idées de « L’art de la guerre » réside dans la considération de tout le potentiel disponible, chez ses associés ou ses ennemis, quelle que soit la situation. Tout le jeu consiste à faire tourner ce potentiel à son propre profit, la stratégie n’étant pas une science exacte. C’est pourquoi l’art de la guerre économique à la chinoise est fait de créativité, de rupture et d’anticipation. Dans l’idéal, ce qu’il faut faire, le stratège chinois le fait faire par son adversaire (conscient ou non). « L’art de la guerre » apparaît donc comme un traité de stratégie situationnelle applicable aux contextes en mutation permanente. Des auteurs comme Jean-François Phelizon voient très clairement dans les man uvres des entreprises telles que les OPA amicales, de véritables illustrations des idées de Sun Tzu. Car « convaincre la partie adverse qu’elle a perdu la bataille est la meilleure façon de vaincre ».
En quête de matières premières vitales pour son économie (1.1), la Chine n’a-t-elle pas fini par convaincre de son grand intérêt pour l’Afrique grâce à une hyper activité diplomatique (1.2), des échanges commerciaux en croissance exponentielle (1.3) et un soft power (1.4) à toute épreuve sur continent ?
1.1 Au nom des matières premières
Deuxième consommateur mondial de pétrole derrière les États-Unis, la Chine acquiert dorénavant plus du tiers de ses besoins en hydrocarbures sur le continent africain avec en tête l’Angola (devenue le premier fournisseur de la Chine devant l’Arabie Saoudite). Le brut d’autres producteurs tels que le Cameroun, le Congo Brazzaville, le Gabon, le Nigeria et le Soudan intéressent également les raffineries chinoises, ces deux derniers étant les plus gros bénéficiaires des investissements directs chinois sur le continent. L’Afrique fournit désormais un tiers du pétrole importé par Pékin. « L’usine du monde » a tout simplement besoin d’énergie pour alimenter sa croissance. A cela s’ajoute un intérêt non négligeable pour d’autres ressources telles que le bois (60% de la production africaine est vendue en Chine) et les matières premières agricoles pour lesquelles l’Empire du Milieu déploie une grande politique d’acquisition des terres arables dans les pays comme le Zimbabwe, le Congo ou le Cameroun.
1.1.1 A la conquête des terres arables africaines
Après les hydrocarbures, les matières premières agricoles constituent l’autre priorité de la consommation intérieure chinoise. Fort de 1.300 millions d’habitants (22% de la population mondiale à nourrir) et seulement 7% des terres mondiales cultivables, la Chine est confrontée à une augmentation constante de la consommation interne de produits agricoles. Car malgré les mesures sévères prises pour limiter l’aliénation de ces terres, la surface totale des espaces cultivables continue de diminuer, de manière inexorable. D’où la nécessité de conquérir de nouvelles terres arables à l’étranger, aussi bien en Asie, en Amérique latine, qu’en Afrique.
Au cours de la décennie qui s’achève, la Chine a lancé plusieurs programmes visant, d’une part, à acquérir les terres arables en Afrique au profit des entreprises publiques chinoises et, d’autre part, à exporter leur surplus de main d’ uvre agricole. C’est ainsi qu’au Zimbabwe, la société publique China International Water and Electric a acquis du gouvernement de Robert Mugabe le droit d’exploiter plus de 100.000 hectares de maïs dans le sud du pays, et qu’en république démocratique du Congo, le géant chinois des télécommunications, ZTE International, a acquis 2,8 millions d’hectares de forêt pour y planter des palmiers à huile.
Il faut dire que les résultats des efforts et du savoir-faire chinois produisent des résultats exceptionnels qui séduisent les dirigeants et forcent l’admiration des populations africaines. Serge Michel, co-auteur avec Michel Beuret et Paolo Woods de La Chinafrique, Pékin à la conquête du continent noir en témoigne : « en octobre 2006, j’ai été reçu par le président de la Guinée, Lansana Conté. Il sortait de sa sieste et m’a parlé de la culture du riz, son obsession. C’est là qu’il a mentionné les Chinois: ‘Je leur ai donné un champ tout sec et vous devriez voir ce qu’ils en ont fait!’ Il comparait leur attitude à celle des Blancs qui, dans son esprit, sont restés des colons qui veulent s’emparer des ressources de l’Afrique sans travailler. Cette idée que les Chinois mettent la main à la pâte impressionne fortement les Africains. »
En réponse à la crise alimentaire globale et à la flambée des prix des denrées alimentaires, une entreprise semencière chinoise, la Chongqing Seed Corp a décidé de s’implanter sur 300 hectares en Tanzanie où le manque de céréales contraste avec l’abondance des terres cultivables. Objectif : cultiver du riz de variétés qu’elle a elle-même mise au point et qui sera, au moins en partie, vendu en Chine. Ce projet tanzanien s’inscrit dans un vaste programme, convenu entre la Chine et des pays africains lors du sommet de novembre 2006, prévoyant la mise en place de 10 centres agricoles chinois en Afrique. Les rendements en riz prévus (60 à 75 q/ha) sont 2 à 3 fois supérieurs à ceux couramment relevés en Tanzanie. La même entreprise, qui mène une expérience comparable au Laos depuis 2005, prévoit aussi de fournir des semences aux agriculteurs tanzaniens (sous contrat) auxquels elle rachètera la récolte. D’après Liu Jian, ancien directeur adjoint du Ministère chinois de l’agriculture, « installer les usines en Afrique en profitant des techniques chinoises, qui sont au point, et des ressources locales est réalisable pour les usines d’engrais azotés et d’engrais phosphatés qui ne peuvent pas exporter leurs produits à cause des politiques de droits de douane ». Les dirigeants chinois pensent que le niveau de l’agriculture africaine actuelle est similaire à celui de la Chine il y a 60 ans et qu’on peut imaginer le potentiel africain à l’aune du modèle chinois.
1.1.2 Le cas du Cameroun
La conquête des terres arables par les entrepreneurs chinois est diversement appréciée au Cameroun. Alors que les autorités soutiennent que l’expertise chinoise peut aider à accroître la production agricole de manière considérable, les populations locales, souvent exclues des négociations, crient à l’exploitation de la main d’ uvre locale (huit heures de travail par jour pour un salaire mensuel de vingt-cinq milles francs CFA), aux conditions de travail déplorables (absence de couverture sociale) et à l’exportation d’une grande partie de la production chinoise au Cameroun (au détriment de la consommation locale).
En 2006, l’État camerounais a cédé 10 000 ha de terres agricoles pour une durée de 99 ans à Sino Cam Iko, une multinationale chinoise spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de produits agricoles. L’entreprise chinoise s’est installée sur trois sites dont Ndjoré (un site de 4000 hectares situé à 100 kilomètres de la capitale camerounaise) et Nanga-Eboko (2 000 hectares situés à 170 kilomètres de Yaoundé), des espaces réputés pour leur fertilité exceptionnelle. A Nanga-Eboko, Sino Cam Iko a planté des cultures expérimentales de fruits et légumes, de maïs ainsi que 200 variétés de riz ; et consacré Ndjoré à la culture du manioc. D’après des experts du ministère camerounais de l’agriculture (ayant requis l’anonymat), la production de riz au Cameroun par les Chinois devrait contribuer à réduire les importations : 400 000 tonnes par an pour une production locale de 50 000 tonnes, chiffres que les diplomates chinois ne manquent de convoquer dans leur discours officiel.