Comme tous les 20 mai, le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé a offert l’opportunité aux citoyens de sa ville de boire et manger au nom de l’unité nationale. Et, comme chaque année, la fête a fait son lot de mécontents au milieu d’hommes et de femmes ivres d’un bonheur éphémère.
Il est presque 13 heures à Yaoundé, ce samedi 20 mai 2017. Nous sommes au quartier Oyom-abang, où est située la résidence principale du délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna. En Face de sa maison huppée bâtie à deux pas du carrefour qui porte son nom, on peut apercevoir une esplanade où sont dressées, chaises et tentes. Tout a une allure de fête.
Tout près, sous un soleil accablant, des cris de détresse se laissent entendre ! « Mon père, j’ai soif tu n’as pas pitié de ta mère qui croule sous ce soleil ? ». C’est maman Monique, une sexagénaire lasse de faire la queue. Depuis plusieurs minutes, la vieille dame attend son tour au milieu d’une file de personnes qui se succèdent devant un point où des verres de bière à pression sont distribués.
Comme elle, dans les rangs, des dizaines de personnes âgées rivalisent avec les plus jeunes pour être servies. Pourtant, la fête n’a pas encore commencé.
Il n’y a bientôt plus de verres. Les invités se font désormais servir de la bière dans des bouteilles vides d’eau minérale ramassées çà et là, puis taillées à la lame pour être utilisées comme des gobelets.
Juste à côté, la place prévue pour la fête commence à se remplir. En attendant l’arrivée de leur hôte pour l’ouverture solennelle des festivités, les militants du RDPC (reconnaissables à leur pagne) se regroupent par affinités, alors que d’autres reprennent en chœur « Paul Biya, Paul Biya, notre président…», une ode au président Biya, leader de leur parti politique.
Le Délégué arrive
Quelque temps après, le délégué du gouvernement fait son apparition. Il est escorté par des agents de la police municipale. Au passage, il récolte ovations et révérences. Certains essaient même de se rapprocher de lui mais, malheureusement, sont violemment repoussés. Le maître des lieux installé, un cérémoniel ponctué d’un discours de remerciements puis d’une prière solennelle qui aboutira à l’ouverture des deux buffets : l’un, plus faste, est réservé aux VIP recrutés dans la famille du délégué, parmi les cadres de sa chapelle politique dont le maire de Yaoundé 7 et sa suite. L’autre, une grande table où sont posés des plats à emporter, des cartons de vin rouge, des palettes de jus, est destiné à la foule qui commence à perdre patience.
En même temps que les VIP, la foule va être dirigée vers le buffet aménagé pour elle. Ils doivent s’aligner pour recevoir leurs packs alimentaires. Ces packs sont composés d’une portion de deux cents grammes de riz cuit, partiellement couverts par de la sauce tomate, avec un morceau de poisson frit.
« Donc c’est pour le riz et le poisson que je suis venu ici », murmure furieux un militant de l’UNDP qui piétine son plat ainsi que son contenu. A côté, un jeune homme, la vingtaine, beaucoup moins exigeant, se délecte déjà en découvrant la nourriture dans sa gamelle. « Merci Pa’a Tsimi ! Que Dieu te donne encore », dit-il fièrement.
Des images se succèdent, comme celle de ces deux vieilles dames se disputant pour un repas que l’une vient de saisir à la volée en bousculant l’autre. Impossible d’arbitrer. Chacune d’elles clame furieusement son droit à quiconque essaie de juger la situation. Elles ne sont pas les seules enragées ! Lucas, un trentenaire revêtant la combinaison de travail de la société Hysacam, revendique son droit à un repas et fait savoir aux hôtesses que ce repas n’est pas une affaire pour Rdpcistes (petit nom donné par la presse aux militants du RDPC) mais plutôt pour tous les citoyens de la ville de Yaoundé. Il sera entendu et servi.
L’homme n’est rien sans le « farotage »
Retour au coin où la bière à pression est distribuée. C’est d’ailleurs la principale attraction. Dans un mouvement brusque, un jeune conducteur de moto, vient de réussir à détourner la vigilance des serveurs. Il a trempé son verre dans un récipient de bière pour se servir alors que les autres sont en rang. Plusieurs vont faire comme lui. La foule deviendra impossible à encadrer. Heureusement pour les serveurs croulant sous le poids des menaces, c’étaient les derniers litres de bière.
De l’autre côté, sous les tentes, Gilbert Tsimi Evouna partage des enveloppes contenant des billets de banque en prime aux artistes venus prester. Un policier remarqué pour ses pas de danse inattendus recevra lui aussi les attentions de Tsimi Evouna qui lui offrira une liasse de billets.
Vers 15h45 le délégué va se retirer. Il est convié au palais de l’Unité pour une réception offerte par le couple présidentiel. Quelques minutes après lui, la foule va se disperser. Des insatisfaits ne manquent jamais. Illustration « Cette année, il n’y a rien eu » diront certains. Cependant, d’autres iront chez eux ragaillardis. Ils se vantent d’avoir pu emballer quelques cartons de vin ainsi que des denrées pour leurs proches restés à la maison. La fête prend fin. Sur le point de prendre le taxi, un vieillard ivre devenu subitement philosophe s’adresse à ses paires du RDPC qui l’accompagnent en langue ewondo. « Tsimi se moque de nous ! Nous avons des problèmes qu’on ne peut pas résoudre avec du riz pour poulets et du poisson pourri », s’indigne-t-il.