Militante du Social Democratic Front, vice-présidente de l’Internationale Socialiste, elle évoque les discriminations dont elle est victime au sein du SDF
En marge de la journée internationale de la femme, vous avez publié une déclaration pour « briser le silence ». Racontez-nous pourquoi vous décidez de parler aujourd’hui?
Tout était réuni pour que ce silence soit brisé aujourd’hui. En tant que défenseure des droits de la femme, alors que je préparais la 57 ème session de la Commission des Nations Unies sur le Statut de la Femme sur le thème de la prévention et de la lutte contre les violences faites aux femmes, j’étais en train de vivre une série d’ injustices grossières qui violaient et de manière flagrante mes droits en tant que femme, citoyenne et militante d’un parti politique, en plus des nombreuses injustices, discriminations et violences que j’ai subies dans le passé dans le même cadre et par la même personne. J’avais de la peine à avancer dans la rédaction de l’ exposé que je m’apprêtais à faire à New York pendant cette 57ème session, puisque la première des choses à faire pour lutter contre cette violence et que je recommande aux victimes, c’est d’en parler, c’est de dénoncer. Le 16 février 2013, en s’appuyant sur une autre injustice pour justifier une autre violence à mon égard, mon président national M. John Fru Ndi, venait de me permettre de progresser dans la rédaction de mon exposé…il fallait le dénoncer, il fallait en parler, il fallait briser le silence pour arrêter la violence!
Vous n’avez donc pas été investie, ni évidemment élue dans le Comité exécutif national. Vous êtes redevenue une simple militante?
Pour avoir gagné une élection au nom de mon parti alors que mon président national voulait injustement que ce soit un autre camarade, oui, je suis redevenue une militante de base et fière de partager cette expérience avec mes camarades à la base.
Vous avez toujours dénoncé à mots couverts, les pratiques du SDF en matière de promotion de la femme. Avez-vous l’impression que les choses ont tout de même changé depuis 1992, date de votre adhésion à ce parti?
Le SDF a fait quelques progrès en matière de promotion de la femme en adoptant quelques textes qui pourraient améliorer la présence des femmes dans les instances de prise de décisions à différents niveaux au sein du parti, et pourraient également permettre d’avoir plus de femmes candidates et élues aux différentes élections nationales. Mais non seulement ces textes manquent des mesures d’accompagnement, mais les instances qui doivent veiller à l’application de ces textes (cellules des conseillers et commission d’investitures) ne sont pas rigoureuses à ce sujet. Au final, notre parti qui devrait être un exemple dans ce domaine, est largement en dessous des attentes, et pourtant, c’est le 1er parti de l’opposition dans notre pays et membre de L’Internationale Socialiste qui fait de l’égalité homme/ femme, l’une de ses préoccupations premières.
Avez-vous entrepris, au sein du parti, des démarches pour régler ce type de conflits ? Notamment liés au genre?
Bien évidemment, c’est d’ ailleurs au cours de ces différentes démarches que j’ai pu identifier plusieurs de mes camarades hommes acquis à cette cause. Obtenir par exemple de mon parti que les jeunes ou les femmes puissent se réunir pour débattre de certains sujets spécifiques n’a pas été une chose facile; ou la formule de faire des listes de candidats zébrées pour s’assurer de l’équilibre homme/ femme/ jeune sur ces listes lors des différentes consultations nationales. Une fois l’idée « acceptée », on se rend vite compte à travers divers man uvres, qu’il manque une réelle volonté politique de la hiérarchie du parti de voir ces jeunes et ces femmes s’épanouir politiquement. C’est un combat difficile, mais nécessaire non seulement pour la survie de notre parti, mais aussi pour l’avenir de notre pays dont le développement sera compromis si la prise en compte de l’approche genre dans les programmes et politiques n’est pas effectif.
Quels sont vos rapports avec John Fru Ndi depuis l’épisode de février ?
Tant que mon président national ne comprend pas le sens de mon combat, nos relations ne peuvent pas s’améliorer sur ce point. Il doit comprendre qu’il ne s’agit pas d’un problème de personne, mais d’une question de principe qui va en droite ligne avec le combat pour l’alternance démocratique que le SDF mène depuis 23 ans, et qu’on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Je ne l’ai pas revu depuis le 16 février, mais je lui ai copié ma lettre de dénonciation.
Et les autres hommes du parti?
N’oublions pas que nous évoluons dans un parti politique où les ambitions des uns et des autres peuvent les amener à adopter des attitudes qui ne reflètent pas leur pensée sur le sujet. Ils sont très peu à appuyer ouvertement ce combat, mais hors des réunions, plusieurs me donnent raison surtout lorsque ce combat ne croise pas leurs intérêts dans leurs différentes localités. Reconnaissons tout de même que plus de femmes dans les positions de pouvoir veut dire moins d’hommes à ces positions et certains ne l’acceptent malheureusement pas ou difficilement. Il y a aussi des conservateurs qui trouvent que j’ose beaucoup et me trouvent à la limite insolente. Certains ont trouvé ma lettre qui dénonce les discriminations et violences du Chairman Fru Ndi à mon endroit comme une insolence de trop! Mais en général, j’ai de bon rapport avec les camarades hommes de mon parti.
Peut-être que la solution aurait été d’avoir un organe des femmes du parti comme l’OFRDPC pour le compte du parti au pouvoir. Votre avis?
Ne pas avoir des organes « annexes » dans un parti politique est une bonne approche si l’esprit d’ensemble et la volonté d’impliquer les jeunes et les femmes est une réalité. Ceci facilite l’intégration de tous au débat général tout en prenant en compte les préoccupations des jeunes et des femmes pour une meilleure visibilité des politiques adoptées. Mais lorsque la prise en compte de ces spécificités n’est pas effective, les mettre tous ensemble peut devenir un obstacle pour un plein épanouissement politique de ces jeunes et femmes qui sont pour la plupart, obligés de se laisser utiliser par les responsables dans leur combat de leadership, pour espérer avoir une position acceptable au sein du parti. Au SDF, nous avons commencé ce regroupement des femmes et des jeunes, mais ces regroupements restent sous le contrôle des structures existantes et ne sont pas indépendants. Des efforts organisationnels et logistiques restent à faire pour permettre un meilleur fonctionnement de ces regroupements qui à l’avenir devraient être des structures autonomes.
Selon vous, le problème est-il lié au leader du parti John Fru Ndi?
En tant que leader du parti, une réelle volonté politique de sa part à ce sujet, favoriserait une dynamique de genre au SDF.
Avec du recul, pensez-vous que ce sont ces pratiques qui ont éloigné Kah Walla du SDF?
Elle est mieux placée pour répondre à cette question. Mais je sais qu’avant qu’elle n’adhère aux SDF, elle savait que ces problèmes existaient. Elle a d’ailleurs contribué en son temps, en tant que consultante, à améliorer cette situation.
Quels sont vos projets notamment sur le plan politique?
Au-delà d’être une question de droits humains, l’égalité homme/femme est une exigence démocratique sans laquelle le développement durable de notre pays n’est pas possible. Je rêve d’un Cameroun meilleur pour tous et pour toutes. Mes projets sont nombreux et restent les mêmes, améliorer la présence des femmes dans les sphères délibératives pour favoriser l’adoption et la mise en uvre des lois et politiques qui prennent en compte les préoccupations de plus de la moitié de la population que sont les femmes. Pour y arriver, il est nécessaire de s’attaquer aux obstacles qui empêchent ou freinent la participation politique de la femme. Il faut s’attaquer aux discriminations, aux inégalités et violences faites à la femme et la fille. C’est un combat permanent et difficile, que je mène aussi bien à l’intérieur de mon parti qu’en dehors, tout en espérant que demain ne sera pas comme aujourd’hui, puisque mon rêve deviendra réalité.