«Je pense que dans tout art, si on met les trippes, l’intelligence sur l’émotion tout cela passant par la fraternité et par l’amour, on arrive à faire de la bonne musique»
Je suis Christian Leroy, je suis basé en Belgique mais mes productions circulent dans tous les pays, c’est-à-dire que je travaille aussi bien le film d’animation que le film de fiction, mais surtout les vieux films de l’histoire du cinéma où je compose des musiques originales puisqu’avant 1930, il n’y avait pas de musique sur ces films. C’est ce qu’on appelle du ciné concert, et c’est ce que j’ai fait lors de la cérémonie de clôture du FIFMI de Ngaoundéré avec des jeunes qui étaient dans l’atelier musique. Ces films mets ont été tournés en 1930 et ce que nous avons fait, c’était de créer une musique originale et de la présenter en live avec eux.
Parlant du Congo, est-ce qu’on peut dire que vous avez composé une musique pour le film de Lumumba?
Non, pas du tout! J’ai fait une musique sur une pièce autour de Lumumba. Effectivement j’ai fait ça l’année dernière, j’ai composé une musique autour de l’histoire de Lumumba avec une troupe théâtrale qui s’appelle en Belgique le studio-théâtre.
Et sur les films africains en général?
J’ai déjà travaillé sur des films d’animation, mais d’Afrique blanche parce que je travaille en Tunisie, au Maroc et là j’ai déjà travaillé sur des films d’animation mais pas sur les autres films africains.
Comment se fait la musique du film? Est-ce que c’est le scénario qui est déjà monté que vous chantez ou bien comment ça se passe?
Moi je ne chante pas, je compose. Par moments, il ya des chanteurs, il y a des chanteuses. Je travaille soit en contact avec le réalisateur quand il est là. Je visionne des séquences de film, on est d’accord sur la musique ou alors quand ce sont des réalisateurs qui sont morts comme c’est le cas avec les films de l’histoire du cinéma, là vraiment, je me laisse aller à mon inspiration avec beaucoup d’humilité par rapport à l’ uvre qui est déjà faite bien sûr. C’est deux techniques différentes.
Durant tout le FIFMI qui s’est tenu du 8 au 12 janvier 2011 à Ngaoundéré, vous avez apporté votre expertise aux jeunes camerounais et même d’ailleurs. En quoi a consisté la formation?
Je suis entré en contact avec la promotrice du festival, Arice Siapi qui est venue plusieurs fois voir mon travail en Belgique et elle a dit que ce serait bien que tu viennes travailler au Cameroun pour le festival afin d’initier les jeunes à la musique de film. Ça c’est dans un premier temps. Le deuxième temps c’est que j’ai rencontré un musicien ici qui s’appelle Ralain Ngamo et il m’a dit, ce serait bien. Il ne faut pas faire des films africains en disant ça va aller, il faut faire sur les films sur lesquels tu as l’habitude de jouer, les vieux films, les ciné-concerts. Donc on a pris un film canadien, le premier documentaire de l’histoire du cinéma qui est Nanook l’esquimau, puis on a pris un film allemand et un film japonais.
Vous êtes un globe-trotter alors?
Oui tout à fait. Ce que j’ai appris c’est de pouvoir décoder un film, d’analyser ce que c’est un film, d’analyser et puis quelque part de pouvoir devenir compositeur. Parce que eux ils sont musiciens, mais comment est-ce qu’on crée une musique de film, leur donner un peu les bases nécessaires, mais avec réalisation. Au festival par exemple, le but c’était de présenter en live le travail qui avait été fait. Il ne s’agissait pas d’un atelier sans performance au bout.
Et comment est-ce que vous vous êtes organisé pendant les cinq jours de la formation?
En premier temps, il a fallu d’abord qu’on se rencontre un peu, qu’on voie un peu les niveaux des musiciens qui étaient complètement différents, parce que très peu avaient pratiqué l’instrument. Donc ils n’étaient pas très forts, mais ils avaient l’envie. Ils aiment le cinéma, ils aiment de la musique. Donc en conciliant ces deux aspirations, on arrive à faire une musique qui pourrait beaucoup plus être quelque part aboutie. Mais avec les niveaux qu’ils avaient, c’était un résultat beaucoup plus super. Ce qu’on apprend dans un atelier comme celui là, c’est connaître l’instrument, s’écouter, pouvoir jouer un son, travailler avec le background de chacun. Comme disent les américains c’est travailler avec l’expérience de chacun et de mettre tout cela ensemble. C’est un peu quelque part une cuisine. La musique c’est une cuisine. Ici il y a des ingrédients africains, des consonances ethniques de tous les pays, donc il y a une musique et on ne peut pas dire que c’est une musique africaine ou une musique européenne.
Vous qui êtes justement européen, comment est-ce que vous parvenez à faire coller une production de vous avec votre regard, votre culture, peut-être avec un peu de l’universel sur un film africain?
Disons que moi je n’ai pas beaucoup de problèmes avec ce langage. Par rapport à mon expérience, j’ai beaucoup étudié les percussions, je connais bien la musique africaine, Amérique du sud, donc je n’ai pas de problème par rapport à ça. Je pense qu’il y a beaucoup plus de problèmes à appréhender la musique européenne qui est beaucoup plus moins chantante, moins dansante. Elle est beaucoup plus mathématique quoi! Mais ça se marie assez bien pour terminer. Vous savez la musique c’est trois choses. Vous avez des vissaires, le ventre, ça c’est l’Afrique. Vous avez le mental, je dirais que c’est l’Europe. Mais tout ça, ça passe par le c ur, l’émotion et vous avez ça autant en Afrique qu’en Europe. C’est le désir de faire les choses. Ce n’est pas dire que les africains c’est plus viscérale que mental non. Alors je pense que dans tout art, que ce soit en Afrique, en Asie, en Europe et même dans tous les pays du monde, si on met les trippes, l’émotion, si on met l’intelligence sur l’émotion, tout cela passant par la fraternité et par l’amour, on arrive à faire de la bonne musique.
Au terme du festival, vous avez eu le sentiment d’avoir inculqué toutes ces valeurs à la douzaine d’apprenants que vous avez encadrés?
Oui, tout à fait. Quand j’étais jeune et que je faisais de la musique, je ne rencontrais pas des musiciens qui me disaient tiens, c’est intéressant ce que tu fais, on n’avait pas de projet. Alors quand j’étais musiciens et quand j’étais comme eux sans vraiment être connu, je m’étais toujours dis, quand je ferai de la musique et que je gagnerai, je donnerai toujours mon expérience pour les jeunes.
Si je comprends bien, vous avez commencé comme un «musicien ordinaire»?
Oui à 14 ans, j’ai arrêté l’école, mes parents voulaient que je sois ingénieur mais j’ai dis non, je fais de la musique. Mais à l’époque je ne rencontrais personne, ça n’existait beaucoup pas les festivals. Je ne suis pas du siècle dernier, mais il y a 40 ans, ça n’existait pas. Il n’y avait pas de rencontres comme ça, on ne formait pas les jeunes, on était un peu abandonnés et on disait, faire de la musique c’est rien, tu ne gagneras jamais, tu ne seras rien.
Mais là maintenant, vous écumez les pays pour partager votre expérience?
Oui mais je ne dirais pas écumer. Ecumer je n’aime pas le mot, mais je donne, je retransmets ce que je n’ai pas eu avec les jeunes et je trouve que ça m’apporte beaucoup. Si eux, ça leur rapporte, ça m’apporte beaucoup aussi sur ma musique. Et puis, je pense que c’est une sorte de militantisme. Je le fais, je vis de la musique, donc il est normal que je restitue un peu parce que j’ai envie que la musique continue. Vous savez, la musique dans tous les pays, ça nous accompagne dans tous les rituels de notre vie, de la naissance jusqu’à la mort.
Quelle est la différence que vous faites entre la musique de cinéma et la musique ordinaire?
La musique ordinaire, je n’aime pas le mot ordinaire. La plupart des compositeurs qui font de la musique de film n’ont pas commencé par là. C’est tout doucement en travaillant qu’on se rend compte qu’on fait de la musique de film. Qu’on se rend compte que ce que l’on fait donne des images aux gens. L’appréhension de cette musique est tout à fait différente qu’une musique de concert. La musique de concert, on sait qu’il y a un partage immédiat. Mais avant, vous êtes tout seul, vous êtes chez vous.
Elle a des contraintes particulières?
Ah oui! Il y a toujours des contraintes. Beaucoup d’ailleurs. Il y a des contraintes d’entente avec le réalisateur, mais il y a parfois avec les producteurs. Il y a aussi beaucoup de contraintes techniques et technologiques, donc ce n’est pas du tout facile et je l’ai dit aux jeunes. Ce n’est pas évident. Il faut une grosse discipline, il ne suffit pas d’être musicien. L’inspiration, je l’ai tout le temps mais par moment je passe tout le temps sur des boutons.
Donc ce n’est pas facile de faire carrière dans la musique de cinéma?
Non ce n’est pas facile du tout parce que généralement les réalisateurs travaillent toujours avec des gens qui les ont satisfaits. C’est comme quand vous allez chez un dentiste, s’il ne vous fait pas mal, vous direz que c’est un bon dentiste. S’il vous fait mal, vous allez dire que c’est un mauvais. Donc, la musique c’est un peu ça. Quand les réalisateurs sont contents, ça veut dire que vous êtes un peu en phase avec lui. Mais ce n’est pas toujours le cas. Moi je travaille avec un cinéaste espagnol, j’ai fait 45 ans de musique de film avec lui et récemment, ça n’a pas fonctionné parce qu’il voulait me faire faire des choses que je n’avais pas envie de faire. J’ai dis écoute Manu, je ne ferai pas ça parce que ça m’ennuie de faire ça sur ton film. Et puis, je ne l’ai pas fait.
Quelles sont les pistes et les ficelles que vous pouvez donner aux jeunes pour vous qui réussissez dans ce domaine là?
C’est de beaucoup travailler et de ne pas avoir peur de faire des choses qui vont être jetées. C’est de beaucoup travailler et de pouvoir rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Un peu de sorties et un peu de business à faire aussi. Parce qu’il ne s’agit pas non plus de s’enfermer chez soi pour dire que je compose. Et c’est parfois difficile quand on est musicien parce que quand on se retranche chez soi, on a du mal à le faire.
Maintenant que vous avez rejoint votre Belgique natale, si le voyage pour le Cameroun était à recommencer vous le ferez de gaité de c ur?
Ah oui! D’abord parce que je pense que c’est nécessaire pour des jeunes, c’est nécessaire aussi pour des festivals ici. Quand on voit qu’il y a des représentants des ministères, qu’il y a des politiques qui viennent, qu’il y a des tables-rondes, c’est nécessaire de savoir qu’il y a un festival, c’est une manière de rencontrer les gens du métier, de rencontrer des publics, de rencontrer aussi parfois des responsables politiques ou culturels. Pour tout dire, il faut se dire qu’on a une confiance, qu’on peut se dire qu’on peut travailler ensemble. Donc je vous promets de revenir.