Les dénonciations de Paul Eric Kingue, ancien maire de Penja, contre la délinquance fiscale des multinationales cultivant la banane dans sa commune sont aujourd’hui confirmées par Transparency
30 janvier 2013. En visite à Paris, Paul Biya est interpellé sur le perron de l’Elysée au sujet de l’inaction de son gouvernement face aux violations des droits de l’Homme et la pollution de l’environnement par la société Plantations du Haut Penja (PHP) (détenue à 60% par le groupe français Compagnies fruitières basés à Marseille et à près de 40% par l’américain Dole Food INC). Le chef de l’Etat camerounais, que la journaliste Fany Pigeaud soupçonne dans son ouvrage «Au Cameroun de Paul Biya» d’être proche des Compagnies fruitières, répond: «(.) Nous n’avons pas négligé ce problème. Il fait partie de ceux que nous essayons de résoudre. Les compagnies bananières accroissent l’activité économique, créent des emplois. Nous soutenons toutes les sociétés.» Mais le «soutien» accordé aux multinationales cultivant la banane dans le Moungo, un département voisin à la ville de Douala, s’apparente à un passe†droit. Selon l’enquête de la branche camerounaise de Transparency International publié le 06 août dernier, PHP, premier producteur de banane au Cameroun avec 129.000 tonnes en 2013, la Société des plantations de Mbanga (SPM), numéro trois avec 45.000 tonnes la même année et Caplain, une troisième société moins importante que les deux premières, toutes de capitaux majoritairement français, étaient exonérées de patente jusqu’à une date très récente, alors que leurs chiffres d’affaires atteignent plusieurs milliards de francs CFA. PHP, par exemple, revendiquait un chiffre d’affaires de 50 milliards de francs CFA en 2013. Toutes sont installées au Cameroun depuis environ 30 ans.
Exonérations indues
Dans une interview au Quotidien de l’Economie publiée le 23 août 2013, le directeur général de PHP, Armel François, indiquait que ces exonérations étaient conformes à la loi: «La PHP s’est conformée strictement au Code général des impôts qui exonérait de la patente les producteurs de denrées agricoles, sans aucune référence ou discrimination relative à la taille. Il ne nous appartient pas de commenter le bien†fondé des lois et codes en vigueur au Cameroun; il nous appartient de nous soumettre aux décisions de l’administration fiscale et c’est ce que nous avons fait (.)». L’organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption soutient pourtant le contraire. Pour la branche camerounaise de Transparency International, ces exonérations ont été accordées à ces compagnies sur «la base de la complaisance» parce qu’elles «violaient les dispositions légales énoncées par l’article 160 du Code général des Impôts; lequel article assujettit ces sociétés à la patente ». C’est dans ce sens qu’a d’ailleurs tranché l’administration fiscale selon un courrier dévoilé par Transparency. Saisi dès son élection en 2007 par Paul Eric Kingue, l’ancien maire de Penjà aujourd’hui en prison, Laurent Nkodo, le directeur général des Impôts de l’époque, écrit le 3 décembre 2007:«J’ai l’honneur de vous faire connaitre que l’administration fiscale veillera à la stricte application de la loi et notamment de l’article 160 du Code général des Impôts qui assujettit à la patentes les sociétés sus mentionnées (PHP, SPM, Caplain). A cet effet dès le début de l’exercice prochain (2008 NDLR), les entreprises en question seront reversées dans le régime de droit commun». Il promet même de diligenter une étude au sujet des avantages fiscaux accordés à PHP, SPM, Caplain. Mais jusqu’à son limogeage le 19 février 2009, on n’entendra plus parler de cette étude.
Détournement
Dès 2008, ces trois entreprises auraient donc dû commencer à payer la patente. Mais il n’en a rien été. Dans une lettre de dénonciation à Transparency contre PHP, SPM et Caplain, datant 31 décembre 2011, Paul Eric Kingue indique d’ailleurs que «ces multinationales qui réalisent des bénéfices astronomiques, et dont les chiffres d’affaires en 2007 sont évalués à plusieurs milliards de francs CFA, refusent jusqu’à ce jour de s’exécuter, retenant ainsi frauduleusement et illégalement des sommes dues à la commune de Penja qui se chiffrent (.) à 2.713.000.000 francs CFA par ans, depuis (.) leur reversement au régime de droit commun.» En septembre de l’année dernière, réagissant à une enquête de Cash investigation, émission diffusée sur France 2, la première chaine publique française, et portant sur la culture de la banane dans les plantations de PHP, la filiale camerounaise des Compagnies fruitières a en effet avoué avoir commencé à s’acquitter de cet impôt seulement en 2012. «Jusqu’à fin 2011, la PHP, comme toutes les entreprises agricoles ne procédant à aucune transformation de leurs produits, n’était pas soumise à la patente. Ce n’est qu’à partir de 2012 que ces entreprises y ont été assujetties. L’exploitation de la PHP touchant plusieurs communes, la direction des impôts a demandé à la PHP de lui verser directement cet impôt, se chargeant de le répartir entre les communes concernées» peut†on lire dans le communiqué et le mail envoyé à Cash Investigation. Et selon Armel François, depuis, PHP paierait entre 3,5 à 4 milliards de francs CFA de taxes et impôts par an à l’Etat. Mais qu’est ce qui s’est donc passé entre 2008 et 2011 pour que PHP, SPM et Caplain continuent de ne pas payer la patente? Cela a†t†il un rapport avec le départ de Laurent Nkodo et l’arrivée d’Alfred Bagueka Assobo à la tête de la direction générale des Impôts? Au stade actuel de nos investigations, nous ne sommes pas en mesure de répondre à ces questions. De même qu’à celle de savoir si à ce jour PHP paie réellement tous ses impôts et taxes comme il l’affirme et si les communes du Mongo où elle mène ses activités reçoivent leur quotte part. Une chose est certaine, si l’estimation du montant annuel des sommes dues à la commune de Penja indiqué par Paul Eric Kingue dans son courrier et que Transparency dit qu’il est l’ uvre d’un cabinet d’expertise fait foi, ce serait sur la période 2008†2011 près de 11 milliards de francs CFA que PHP, SPM, Caplain auraient retenu «sans droit» et «détourné» au sens du Code pénal camerounais.
Corruption
Articles de presse, films documentaires, rapport d’organisation de la société civile. les dénonciations contre les multinationales de la banane s’amoncellent. Parmi les accusations qui reviennent: délinquance fiscale; pollution environnementale, accaparement des terres; mauvaises conditions de travail; absence de liberté syndicale et licenciements abusifs. Mais ces entreprises ne sont jamais inquiétées par les autorités. Selon Transparency, cette sorte d’immunité, PHP, SPM et Caplain la tiennent de la corruption. «Les opérateurs du secteur de la banane installés à Penjà, usent de leur puissance économico†commerciale, et économico†financière, pour se constituer de solides connexions d’influence dans les milieux privilégiés de pouvoir que sont les milieux politiques, administratifs, judiciaires et sécuritaires» peut†on lire dans son rapport. Cette influence s’étend†elle jusqu’à Bruxelles d’où ces firmes reçoivent des subventions chaque année? En tout cas, saisi de son cas par Paul Eric Kingue, Raul Mateus Paula, le chef de Délégation de lʹUE au Cameroun d’alors, n’a pas pu faire mieux que d’espérer que ses difficultés trouvent rapidement solution. Sa remplaçante, Françoise Collet, devrait donc faire davantage. Au moins pour convaincre de ce qu’elle croit elle†même à cette petite phrase balancée le 09 mai dernier lors de la soirée offerte à lʹoccasion de la Journée de lʹEurope: «La corruption, grande et petite, est non seulement dommageable aux actions publiques mais destructive de la cohésion sociale et, comme telle, représente un danger pour la démocratie».

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