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Comment la France voit le Cameroun et l’inverse (exclusif)

La Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale française a adopté le 06 mai un rapport consacré à la politique…

La Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a adopté le 06 mai un rapport consacré à la politique de la France en Afrique. Ce qui est dit sur le pays dirigé par Paul Biya

C’est un rapport rédigé sans complaisance et sans concessions que des parlementaires français ont adopté mercredi, 06 mai 2015, en commission des Affaires étrangères sur le politique de la France en Afrique francophone. Evoquant par exemple les processus de décolonisation, les enquêteurs reconnaissent qu’en Afrique subsaharienne, «il n’y a guère qu’au Cameroun et, plus tôt, à Madagascar que l’indépendance avait été acquise dans l’affrontement violent avec la France.» Le rapport de 200 pages, «sur la stabilité et le développement de l’Afrique francophone» a été réalisé par les députés Philippe Baumel (PS, majorité socialiste) et Jean-Claude Guibal (UMP, opposition de droite).

Bémol à apporter cependant: la présentation initiale du rapport le 15 avril en Commission des affaires étrangères a suscité de vifs débats, relayés par voie de presse, débats dans le cadre desquels la Présidente de la Commission des affaires étrangères, Elisabeth Guigou, a demandé aux auteurs du rapport de «préciser» certains points concernant des chefs d’Etat, à l’instar du président camerounais Paul Biya. Les médias français avaient indiqué qu’il s’agissait d’enlever ce qui pourrait «fâcher» les partenaires traditionnels de la France. Informations démenties par le député Philippe Baumel, rapporteur du texte, dans une interview accordée à RFI jeudi: «En une semaine, on a réorganisé la première partie pour qu’elle soit plus lisible et on a changé deux ou trois verbes dans le texte, a-t-il expliqué.

Journalducameroun.com a pu se procurer une copie dudit rapport. En gros, il analyse la situation sociopolitique et économique des 21 pays d’Afrique francophone qui souffrent tous de «fragilités structurelles», et les rapports de la France avec ces pays. «Dès lors qu’il s’agit d’Afrique francophone, c’est aussi notre politique qui devait être directement questionnée, dans sa cohérence, dans ses axes et ses instruments», écrivent les auteurs du rapport. Ces derniers remettent en question l’aide au développement telle qu’elle est menée actuellement par la France à travers par exemple l’AFD ; ils s’interrogent sur les interventions militaires qui ne permettent pas toujours de «rétablir des conditions de stabilité durable.»

«Votre rapporteur plaide donc pour un rééquilibrage qui permette à la France de se désengager militairement du continent africain en plaçant l’aide au développement au c ur de sa politique africaine», soutient Phillipe Baumel. Pour le député, que nous avons contacté, et les membres de la mission d’information qui ont mené l’enquête avec des auditions, «l’objectif de ce rapport est bien de formuler des propositions pour traiter en profondeur les raisons du mal développement et ne plus être dans la simple réaction d’urgence aux crises sécuritaires qui affectent les populations et certains pays Africains.»

Sur les 21 pays de l’Afrique Francophone considérés dans le rapport, les auteurs ont décidé de consacrer des développements particuliers sur deux pays: le Niger et le Cameroun. Nous partageons avec vous ci-dessous l’essentiel des observations faites sur le Cameroun à l’issue d’auditions menées sur place du 25 au 31 janvier 2015. Pour la lisibilité, nous y avons expurgé les encadrés et les références (notes de bas de page).

Extraits du Rapport sur la stabilité et le développement de l’Afrique Francophone adopté le 06 mai 2015 en commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale française.

Les craintes qui pèsent sur le Cameroun
La situation du Cameroun ne manque pas de préoccuper les observateurs au point que votre Mission a jugé utile d’y consacrer un certain nombre d’auditions et de faire un déplacement sur place.

Quel que soient les pronostics que l’on déduira de ce qui suit, le diagnostic est clair : le sous-développement est la principale fragilité de ce pays et c’est cela qu’il convient de comprendre en tout premier lieu.

i. Les incertitudes politiques
Certes, la situation politique est un aspect du problème à moyen terme, notamment lorsque le président Biya atteindra le terme de son mandat. Le Cameroun n’a connu que deux présidents depuis son indépendance, Ahmadou Ahidjo et Paul Biya. Aujourd’hui, se pose la question de la succession de celui-ci, âgé de 82 ans et Président depuis novembre 1982, soit plus de 32 ans, après avoir été Premier ministre pendant les 7 ans et demi précédents.

Les vingt-deux ans de la présidence Ahidjo ont été caractérisés par l’installation d’un système centralisé et policier de plus en plus clientéliste, dans lequel la cooptation des élites, la corruption et la répression ont été les trois piliers essentiels, dans un contexte économique favorisé par les revenus de la production pétrolière.

Les trois décennies de présidence Biya ont été de leur côté marquées par une crispation entre le Nord et le Sud, coïncidant avec une très difficile démocratisation.

Le régime fait face à des explosions régulières mais tient, malgré tout, et se reproduit. Le pouvoir exécutif lui-même, articulé autour du Président de la République et de l’administration publique attire beaucoup de compétences, de jeunes diplômés. Le pouvoir camerounais se maintient aussi grâce au parti présidentiel : le RDPC, hégémonique, dispose de 148 députés sur 180 et de 82 sénateurs sur 100, dont trente nommés par le Président de la République, qui peut ainsi renforcer le poids du parti au sein du parlement. Le parti contrôle 305 communes sur 360, la haute fonction publique, la totalité des nominations, ce qui
lui permet de s’assurer de la loyauté des fonctionnaires et des élites. En outre, le régime a toujours maintenu un fort appareil de renseignements, de forces spéciales, notamment la Garde présidentielle.

Cela étant, cet apparent monolithisme est traversé de fragilités profondes et de tensions internes fortes qui pourraient d’autant mieux trouver à s’exacerber que les structures susceptibles de canaliser la contestation sont quasiment absentes. Les formations d’opposition sont des micro-partis, incapables de rivaliser avec le RDPC, seule force structurée. Les quelques partis qui ont eu une importance dans le passé, l’UPC en premier lieu, n’ont pas su s’adapter, sont restés sur des schémas anciens et ne représentent plus de forces d’opposition, dont des leaders nouveaux auraient repris le flambeau. On ne voit pas quelle force politique pourrait aujourd’hui faire descendre les gens dans la rue. De leur côté, les églises et organisations de la société civile restent sur des positions très prudentes.

Les éléments de fragilité du Cameroun sont tels que l’on doit se poser la question des scénarios possibles en cas de crise de succession, si Paul Biya ne se représentait pas en 2018, à 85 ans. Un coup de force militaire paraît improbable, mais les Nordistes souhaiteront sans doute revenir au pouvoir après une longue marginalisation. On peut à juste titre s’inquiéter d’un scénario comparable à celui que la Côte d’Ivoire a connu, à savoir une détérioration plus ou moins rapide à la faveur d’une lutte de succession, dans le cadre d’un pays très centralisé.

La situation sécuritaire dans l’extrême nord du paysest une autre fragilité. Certes, comme beaucoup d’interlocuteurs rencontrés sur place le soulignent, nombreux sont ceux qui estiment que les forces armées sont assez mal outillées et peu entraînées, à la différence de celles du Tchad auxquelles il a été fait appel en janvier dernier, pour lutter contre Boko Haram. Ce sont surtout les forces spéciales qui initialement étaient en première position et elles sont aujourd’hui renforcées par des troupes régulières: 4 000 militaires supplémentaires ont ainsi été mobilisés, mais les moyens restent considérés comme insuffisants et cela prendra du temps de reconstruire une armée efficace qui n’a aujourd’hui que de faibles capacités. En outre, si le conflit devait durer, la réactivation des clivages qui existent au nord entre chrétiens et musulmans, où une bonne partie des élites sont musulmanes, ne serait pas à exclure.

ii. Le lent glissement du Nord Cameroun vers l’insécurité faute de développement
Votre rapporteur voudrait insister sur l’analyse des racines de cette crise dans le nord qui remontent à plusieurs décennies. Fort de quelque quarante ans de terrain dans le nord Cameroun, Christian Seignobos directeur de recherche émérite à l’IRD, a fort bien détaillé la lente dérive de la région vers l’insécurité dans laquelle elle a aujourd’hui basculé, pour des raisons conjuguées de non développement et d’islamisation rampante. N’étaient les vols traditionnels de bétail, l’insécurité était inexistante dans les années 1970. Les conflits s’y réglaient traditionnellement. Le phénomène ancestral des coupeurs de route est réapparu à la fin des années 1980, réintroduisant une insécurité qui n’a cessé de se radicaliser, prospérant sur les zones transfrontalières avec le Tchad et le Nigeria, au point que les années 1990 «apparaissent comme l’âge d’or des grandes embuscades sur les routes du Cameroun septentrional.».

Une alchimie explosive s’est faite à cette époque de plusieurs rencontres et coïncidences. Celles de soldats tchadiens dés uvrés avec les éleveurs Mbororo transhumants en phase de sédentarisation, et de ce fait en situation de stress démographique. En quelques années, la sédentarisation, ayant induit une augmentation du nombre d’enfants par famille, a délité les mécanismes de partage des troupeaux, provoqué une montée de la frustration des cadets, en conséquence leur ranc ur, leur révolte, et des affrontements intergénérationnels. Celles de difficultés économiques, de conditions de survie locales avec une «économie du crime» qui a pu d’autant mieux prospérer qu’elle a su s’adapter et se moderniser. Les haches, machettes et autres outils ont cédé la place aux kalachnikovs et aux moyens d’actions plus modernes, telles les motos chinoises bon marché. Les effets de cette dérive se font aujourd’hui sentir non seulement au nord Cameroun mais aussi en République centrafricaine et au Nigeria: ils font partie des éléments constitutifs du surgissement de la Seleka, comme aussi, en grande partie, de Boko Haram dont l’enracinement régional s’explique aussi par ces raisons.

Pour Christian Seignobos, Boko Haram est en effet arrivé à point nommé se greffer tout d’abord sur ce mouvement de coupeurs de routes, en apportant une parole religieuse qui a pu se diffuser et gagner en popularité chez les Kanouri et dans d’autres ethnies de la région. Mais en outre, le discours anticolonial, le retour au XIXe siècle précolonial qu’il prône, voire même à un passé antérieur, a coïncidé avec la radicalisation progressive de l’islam dans la région, d’où la Tijaniyyaa progressivement disparu. Cette islamisation profonde date des années 1990 et n’a depuis son apparition cessé de s’étendre très vite jusqu’à aujourd’hui. En ce sens, Abubakar Shekau, leader de Boko Haram, et autres surfent sur la vague d’un salafisme populaire venu de loin, depuis le début des années 1980, par exemple avec le mouvement izala qui a surtout essaimé dans le sud du Niger, comme on l’a vu, et défend des pratiques de plus en plus rigoristes que tout observateur a vu venir: construction de mosquées, conversions de chrétiens, etc.

Les avis sont partagés quant à la nature religieuse ou non de la crise. Pour Christian Seignobos, s’il y a collusion entre Boko Haram et certains leaders politiques, s’il y a une dimension évidemment purement criminelle dans ses activités, il ne faut pas se leurrer : ce mouvement est avant tout de nature religieuse et son discours se diffuse d’autant plus dans la société locale qu’il fait écho à des comportements sociaux anciens, tel le refus de l’école, très ancien dans le nord du Cameroun. La politique du président Ahidjo qui souhaitait le rééquilibrage entre nord et sud et a fait venir pour cela des enseignants expatriés, a été mal vécue tant par le sud, qui y a vu une manière de favoriser exagérément le nord, que par le nord-même pour lequel l’école ne saurait être gratuite : elle se mérite et se monnaie, cf. l’école coranique, et le papier ne peut être que religieux. En d’autres termes, personne n’a vu que la promotion de l’école gratuite risquait de se heurter à des réalités qui rendrait son acceptation difficile. D’autres interlocuteurs analysent également cette évolution dans des termes comparables, et confirment que tout a commencé dans les années 1980, avec la transformation des courants théologiques, la perte d’influence de la Tijaniyya concomitante de la montée du mouvement izala dans les années 1980, avant que la radicalisation n’intervienne dans les années 1990. La greffe a d’autant mieux pris que l’on est dans une région de très grandes inégalités sociales, où les écarts de richesse sont extrêmes et fortement visibles. D’une certaine manière, se paient ainsi le déclassement des zones sahéliennes qui existe depuis toujours, et la marginalisation du nord qui n’a jamais cessé, même au temps du président Ahidjo.

Dans un récent entretien à Jeune Afrique, l’ancien ministre camerounais Marafa Amidou Yaya estimait que «ces régions, comme celles qui jouxtent la frontière avec la Centrafrique, ont été laissées à l’abandon ces trente dernières années. Aucun projet économique d’envergure n’y a vu le jour. Il y a des différences, bien sûr, et la situation n’est pas la même dans l’Adamaoua, qui est de plus en plus reliée au reste du Cameroun, que dans le nord ou l’Extrême-nord. Le nord est une région qui pourrait être très riche, mais l’État n’exploite pas ce potentiel. L’Extrême-nord, enfin, est la région la plus peuplée du pays, mais elle est complètement abandonnée à elle-même. Elle subit les affres de la sécheresse, des inondations, de la famine, des épidémies et d’un déficit de scolarisation… Pas étonnant que les jeunes soient sensibles aux sirènes de Boko Haram.».

Le rapport sur la stabilité et le développement de l’Afrique francophone a été adopté par les parlementaires français le 06 mai 2015
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Ce ne sont pas seulement des représentants de l’opposition ou des observateurs qui formulent ce constat. Ainsi, l’archevêque de Douala, Mgr Samuel Kleda, originaire de l’extrême nord, confirmait les propos de l’ancien ministre Marafa dans des termes identiques et les membres de l’Exécutif aussi.

Ainsi, le vice-Premier ministre, Amadou Ali, également originaire de l’extrême nord et en fonction depuis dix ans, insistait sur le besoin de développement des régions septentrionales, en défendant devant votre mission le plan d’urgence décidé par le président Biya en mai 2014 pour un montant de 925 Mds de FCFA. S’il n’avait pas de précision à apporter, ignorant où en était la mise en uvre, il balayait l’ensemble des secteurs à prioriser : éducation, formation, agriculture, pêche, élevage, infrastructures et tourisme. De même, le secrétaire général des services du Premier ministre, Louis-Paul Motaze ou encore René Sadi, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation , pour lequel la réponse de long terme à Boko Haram, qui a su profiter de la précarité, du manque de perspectives, du chômage, de la pauvreté, est à chercher dans le développement de la région, étaient sur une tonalité identique. Tout le monde convient sans difficulté qu’oubliée jusqu’à aujourd’hui des schémas de développements nationaux, cette région est devenue le terrain favorable à la diffusion en profondeur de la secte. Cela s’est fait d’autant plus facilement qu’il s’agit aussi d’une région habituée de tout temps à l’illégalité : il y a toujours eu beaucoup de contrebande, de pétrole avec le Nigeria, de coton, etc. Comme le faisait remarquer Marie Emmanuelle Pommerolle. , aujourd’hui directrice de l’IFRA de Nairobi, appartenir à Boko Haram n’a rien d’extraordinaire dans un tel contexte, même si la violence extrême dérange aujourd’hui dès lors que les recrutements ne se font plus seulement sur des bases volontaires, mais contraintes. Quoi qu’il en soit, cette situation contribue aussi à entretenir le ressentiment des populations contre un État qui n’a jamais été protecteur.

Dans ce contexte, la question de la nationalité nigériane ou camerounaise des acteurs est un faux problème. Comme on l’a souligné, les liens communautaires de chaque côté de la frontière sont toujours très forts ; historiquement, il y a toujours eu des transfuges, car ce sont les mêmes communautés musulmanes, Fuldé, Haoussa, Kanouri et autres, qui vivent dans cette région. En outre, cet extrême nord-est du Nigéria appartenait autrefois au Cameroun, le «Cameroun britannique nord» n’ayant rejoint le Nigeria qu’en 1961, au moment de la consultation organisée par les Nations Unies. En d’autres termes, au nord, tout conflit ne peut être que transnational, toute rébellion est par nature transnationale, et il ne peut y avoir de tension forte au nord-est du Nigeria sans qu’il y en ait aussi dans l’extrême nord du Cameroun. Tout cela explique qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de Camerounais au sein de Boko Haram: le n° 2 de la secte est sans doute Camerounais, et il n’est pas exclu qu’Abubakar Shekau luimême soit d’origine camerounaise. Auparavant, Mohamed Marwa, prêcheur radical qui fonda au Nigeria la secte millénariste Maitatsine, était également camerounais. En revanche, le vice-premier ministre du Cameroun, Amadou Ali, originaire de l’extrême nord, voit plutôt dans ce qui se joue sur le terrain la répétition de ce qui se produit ailleurs sur des schémas identiques, à savoir notamment une évolution des affrontements traditionnels dus à des rapports de forces locaux, la dimension religieuse n’étant pourlui qu’un alibi, la résistance, et notamment, le refus de l’école occidentale, par exemple, ayant toujours existé de la part de nombre de familles musulmanes.

Le fait que cela se soit accru ces vingt dernières années a renforcé l’acuité d’un problème très ancien: «Boko Haram» est par exemple une expression qui existe depuis très longtemps, au moins depuis le début des années 1950, qui désignait tout ce qui, provenant de la colonisation, était prohibé». . En résumé, ici comme ailleurs, les éléments qui allaient devenir quelques années plus tard constitutifs d’une crise majeure se sont installés, ou réinstallés, progressivement, sur la longue durée. Amadou Ali rappelait par exemple que les années 1880-1900 avaient également connu une guerre sur la même zone qui ambitionnait un califat à Kousseri, et témoignait aussi qu’enfant, au débutdes années 1950, il y avait déjà une certaine violence, que le phénomène des coupeurs de route existait, et qu’avec sa réapparition ces dernières années, on assistait ni plus ni moins qu’à la récurrence de problématiques anciennes non suffisamment traitées.

Quoi qu’il en soit, force est de constater qu’on les a laissées venir et s’enraciner sans apporter d’autres réponses qu’erronées ou inefficaces. En premier lieu, la réponse du gouvernement camerounais et des pays voisins à la fin des années 1990 a été exclusivement répressive, car, ily a une dizaine d’années, ce phénomène paraissait faire partie du paysage.

Aucune autre stratégie, de prévention ou d’anticipation, n’a été entreprise pour renforcer le tissu économique, alors même que la région est en proie à des troubles politiques et sociaux récurrents, ou que des mouvements, aujourd’hui Boko Haram, naguère Maitatsine dans les années 1980, Yan Shi’adans les années 1990, avaient commencé de s’installer et d’essaimer dans le voisinage nigérian immédiat, à la faveur notamment d’un discours religieux et d’un appui aux revendications sociales des populations les plus défavorisées.

En second lieu, les réponses des bailleurs de fond n’ont cessé de fluctuer, dans cette région comme ailleurs. De décennie en décennie, les projets économiques ont succédé à des projets agronomiques eux-mêmes remplacés par d’autres quelques années plus tard sans que les réalités sociales, concrètes, de terrain soient jamais prises en compte, proposant des axes insistant sur de supposées problématiques régionales correspondant surtout à nos propres préoccupations. Ainsi de la dimension «écologiste» des projets pour lutter contre les phénomènes d’érosion naturelle, tels que promus par la Banque mondiale, non appropriables par les populations Kanouri locales, supposément bénéficiaires, lesquelles, n’en percevant pas l’intérêt ne pouvaient, a fortiori, en garantir le succès. /.

Encadré consacré à l’analyse des échanges commerciaux entre la France et le Cameroun dans le rapport: le point au premier semestre 2014
Entre les premiers semestres 2013 et 2014, les échanges franco-camerounais (selon les douanes françaises) ont enregistré une nouvellebaisse, après celle enregistrée entre les premiers semestres 2012 et 2013 (-1 %) passant de 458 M EUR à 420,7 M EUR (-8,2 %). Cette diminution des flux commerciaux échangés entre le Cameroun et la France pendant le premier semestre 2014 est liée à une baisse de 8,1 % des exportations françaises, couplée à une baisse de 8,2 % des importations. La France reste parmi les grands clients du Cameroun. Historiquement premier fournisseur du Cameroun, la France occupe depuis 2013 la troisième place, derrière le Nigeria et maintenant la Chine. Sa part de marché s’est érodée au cours des vingt dernières années, passantde 38 % en 1990 à environ 14,1 % en 2013, et s’établit à 18,1 % hors hydrocarbures en 2013. Les exportations françaises sont essentiellement constituées de biens intermédiaires (produits pharmaceutiques), de biens d’équipement et de produits agricoles.

Extrait de la partie intitulée: «La France est aujourd’hui mal vue en Afrique»
Dans ce qui se joue autour de la relation bilatérale de la France avec les différents pays, l’histoire pèse aujourd’hui encore d’un poids majeur. Ainsi en est-il au Cameroun, pays dans lequel la France fait actuellement les frais de campagnes de presse étonnamment agressives. À l’heure où le pays fait face aux assauts de Boko Haram, les accusations de soutien que la secte terroriste recevrait de la part de notre pays sont fréquentes. On voit derrière Boko Haram la main de la France, qui serait obnubilée par la déstabilisation du président Biya.

À écouter Mathias-Éric Owona-Nguini, par exemple, c’est en fait depuis l’indépendance que le rapport avec la France est compliqué et conflictuel, et tant que le Cameroun n’aura pas réussi à dépassionner cet épisode, cet amour-haine sera difficile à combattre. L’idée est encore présente aujourd’hui de l’usurpation du pouvoir par la France au moment de l’indépendance. Ce sont d’ailleurs des partisans ou anciens membres de l’UPC, écartée alors, qui mènent campagne dans certains média, comme Afrique Media, chaine de télévision qui diffuse des «débats» d’opinion, dans lesquels un délire antifrançais est déversé à longueur de soirées, dans l’objectif de faire le buzz pour la population sur un discours probablement supposé rassembleur.

Quoi qu’il en soit, de très nombreux interlocuteurs rencontrés à Douala et Yaoundé ont confirmé la diffusion de ce type de discours et la prégnance de cette mauvaise perception de notre pays. Ainsi, Bolloré, gestionnaire du port, a-t-il été accusé d’importer des armes pour les fournir à Boko Haram ; le moindre prétexte est sujet à manifestation d’aigreur et certains évoquent un climat parfois tendu, soupçonneux, et estiment qu’il ne faudrait pas qu’un élément déclencheur mette le feu aux poudres.

Cette relation compliquée, alimentée par la rumeur incessante et irrationnelle, part du postulat selon lequel la France doit faire plus pour le Cameroun, et que si elle ne répond pas à cette attente, c’est que d’autres intérêts l’en détournent. En même temps, si elle intervient quelque part sur le continent, la réaction positive cédera vite la place au soupçon de néocolonialisme. Dans ce contexte, de quelque manière que la France agisse, elle suscite jalousie, ranc ur ou méfiance. Si Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, avait naturellement tendance à relativiser les risques, votre Mission doit indiquer avoir senti une réelle préoccupation, qui ne vire certes pas à la psychose mais justifierait qu’un message soit passé aux autoritésgouvernementales du pays pour éviter les dérapages éventuels, d’autant plus que, selon Marie-Emmanuelle Pommerolle, , on perçoit ce sentiment dans tout le pays, pas uniquement chez les jeunes urbains ou dans les populations campagnardes, mais aussi chez les élites, et cela est lié aux manipulations internes au sein du RDPC ; ce pourrait être potentiellement dangereux en cas de crise, mais cela participe aussi d’une forme de ciment et joue comme un élément de la solidité du régime sur une thématique nationaliste.

Extrait de la partie intitulée «Problématique de la jeunesse»
Lors d’une rencontre avec un groupe d’étudiants camerounais anciens boursiers en France, il était frappant d’entendre un discours univoque de leur part dont il ressortait la conclusion simple et désabusée, que le gouvernement ne croyait pas en la jeunesse du pays.

Même dans des pays de faible tradition revendicatrice ou contestatrice, comme le Cameroun, le fossé générationnel est tel que des dynamiques s’inscrivent dans la longue durée dont il faudra tenir compte : ce qui s’est passé ces dernières années dans les pays arabes, plus récemment au Burkina Faso, commence à les mettre en évidence. Si nous entendons ne pas perdre tout lien avec les futures élites, il serait urgent de s’y intéresser pour ne pas être en position d’avoir à nouer un dialogue avec une jeunesse qui, tôt ou tard, sera par la force des choses aux commandes. Dans cette optique même si une nouvelle classe politique ne peut encore émerger compte tenu des règles pipées du jeu interne, élargir le spectre de nos contacts et connaissances est une nécessité qui contribuera aussi, dans un premier temps, à atténuer le discours anti-français qui monte en puissance. Assane Diop, journaliste à RFI , était de ceux de nos interlocuteurs qui insistaient sur le fait qu’il y aujourd’hui une incompréhension forte entre la France et la jeunesse africaine, dont la perception a totalement changé: notre pays est vu comme passéiste, n’intervenant que pourla défense de ses intérêts ; de quelque manière qu’il agisse, son action diplomatique est contestée, perçue comme instrumentalisant les nationalismes pour mieux manipuler et dominer ses ex-colonies.

À cet égard, on ne peut manquer de souligner une nouvelle fois que la politique de visas que nous avons mise en place ces dernières années s’est révélée dramatique pour l’image de notre pays.

Extrait de la partie: «Resserer les liens: Regarder l’Afrique de demain sans oublier celle d’aujourd’hui».

Les élites de demain en font partie. Notre présence et notre influence sur le continent dépendent de la qualité de la relation que nous saurons dès à présent nouer. Pour autant, il ne s’agit évidemment pas de couper les liens avec les générations encore en place. D’autant moins qu’elles se plaignent d’être délaissées, en manque de visites de haut niveau. On a souligné plus haut l’irrégularité de la relation avec le Cameroun qui attend depuis longtemps une visite présidentielle. Il est heureux que le récent voyage du ministre des affaires étrangères, lors de la tournée régionale qu’il a effectuée à la suite du déclenchement de l’offensive de Boko Haram paraisse se traduire par un projet de voyage présidentiel. Aux yeux de votre Mission, il serait opportun d’entretenir un dialogue politique plus suivi avec nos partenaires africains, pour une relation durable et mutuellement profitable. L’Afrique, à tort ou à raison, se sent malaimée par la France. On ne dira jamais assez que c’est aussi sur la base du dialogue politique que les relations économiques solides se construisent et non l’inverse./.

Selon le rapport, les autorités camerounaises se plaignent de l’absence de visites au sommet de la part des chefs d’Etat français. Ici, Paul Biya avec François Hollande au cours d’un déplacement à l’étranger. Ce dernier n’est jamais venu au Cameroun
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