Les pots-de-vin représentent 9% des coûts d’exploitation selon un rapport du Centre de recherche forestière internationale
Le « gombo » représente 9% des coûts d’exploitation
L’information vient du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR). L’organisme technique international vient de commettre un rapport incendiaire. Un véritable pamphlet. Ce rapport est le fruit d’enquêtes menées sur le terrain par deux chercheurs travaillant au bureau du CIFOR de Yaoundé. Il s’agit de Paolo Cerutti et Guillaume Lescuyer. Il souligne que les personnes impliquées dans ce commerce illégal de sciages doivent régulièrement verser des pots de- vin aux représentants des administrations pour poursuivre leur activité. Ce « gombo », apprend-on, représente 9 % des coûts d’exploitation. C’est Bertoua, le chef lieu de la région de l’Est, qui est le fief de ces trafics qui font perdre énormément d’argent à l’Etat. « Une partie du bois qui passe par le marché de Kano, à Bertoua, est vendue à des acheteurs de Yaoundé, la capitale du pays, mais la majeure partie est destinée au Tchad, à plus de 1250 kilomètres au nord. Un voyage onéreux. Entre Bertoua et la frontière, on compte une vingtaine de barrages routiers tenus par des fonctionnaires du Ministère de la Forêt et de la Faune (MINFOF), de la gendarmerie et de la police, et la seule manière de passer est de leur verser de l’argent », indique Amadou, un négociant local cité par les deux chercheurs. « Ces fonctionnaires savent que le bois a le plus souvent été récolté de manière illégale. Ainsi, si les négociants refusent de payer, ils ne passent pas », poursuit-il.
Plus d’un million de «frais de route » par voyage
Amadou estime que le montant de ces « frais de route » versés aux barrages routiers peut s’élever à 1,5 million de Cfa par voyage. « Pour passer les cinq ponts-bascules situés entre Bertoua et le Tchad, Amadou doit débourser un million de Cfa de plus, ce qui porte le montant de ses paiements informels à 2,5 millions Cfa par voyage », renseigne le document. On retient ainsi que ces deux dernières années, les études réalisées par Cerutti et Lescuyer ont montré que l’exploitation informelle de sciages destinés au marché intérieur et aux marchés régionaux est tout aussi importante, en volume, que l’exploitation industrielle formelle destinée à l’exportation. Chaque année, environ 68 000 m³ de bois scié sont exportés au Tchad depuis la région de l’Est, la moitié étant acheminée par le rail, l’autre moitié par la route. Environ 40 % proviennent des scieries industrielles, le reste est fourni par l’abattage informelle à la tronçonneuse. « Si l’on prend les chiffres d’Amadou, les négociants doivent verser des pots-de-vin pouvant se monter à environ 31 000 CFA par mètre cube, » apprend Cerutti. « Cela signifie que les fonctionnaires rencontrés en chemin collectent environ un million d’euros par an (environ 650 millions FCFA), une très grosse somme d’argent », ajoute-t-il.
Le bois récolté sans permis
Pour les chercheurs, une grande partie de l’argent remonte l’échelle hiérarchique du chef de poste et ses agents aux hauts fonctionnaires du MINFOF, dans les fameuses enveloppes, bien que les paiements soient le plus souvent versés à des personnes travaillant en brousse, aux barrages routiers et sur les marchés. Pour le CIFOR, la récolte non contrôlée pourrait menacer l’offre future de bois et, contrairement à la production industrielle destinée à l’exportation, le commerce intérieur ne génère aucun revenu pour l’État. Le centre fait observer que la portée de cette histoire va bien au-delà du Cameroun. Il fait allusion au récent Accord de partenariat volontaire (APV) signé entre le gouvernement et l’Union européenne, dans le cadre du Plan d’action pour l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges. Les recherches du CIFOR ont également montré qu’environ la moitié du bois commercialisé chaque année n’était pas enregistrée dans les systèmes officiels de collecte des données, puisque le bois est récolté sans permis. En outre, l’acquisition d’informations auprès des scieurs concernés est difficile dans le cadre juridique actuel. Tout cela menace l’intégrité de l’accord avec l’UE. D’après le CIFOR, la corruption qui enveloppe le commerce des bois a dépassé déjà les bornes. « Elle est tellement ancrée au sein du MINFOF que toute tentative de réformer la loi risque d’être vigoureusement contestée par les fonctionnaires qui complètent leurs revenus par des pots-de-vin », écrit le centre dans ce pamphlet. Au demeurant, le CIFOR invite le Président de la République à se pencher sur ce problème très préoccupant.
