Projet de loi de finances 2022 du Cameroun : Bataille entre les Experts Comptables et les Conseils Fiscaux sur l’assistance-conseil aux entreprises en contrôle fiscal sous l’arbitrage des parlementaires.
Le projet de loi de finances du Cameroun pour l’exercice 2022 préparé par le Gouvernement est actuellement examiné par les parlementaires en vue de son adoption. Il présente un budget de l’État du Cameroun équilibré en ressources et en emplois à FCFA 5 752,4 milliards contre FCFA 5 480,4 milliards en 2021, soit une augmentation en valeur absolue de FCFA 272 milliards et en valeur relative 5%.
Dans les coulisses de l’examen de ce projet de loi de finances au parlement, les corporations professionnelles des Experts Comptables, des Conseils fiscaux et des avocats se livrent une bataille acharnée sur l’adoption ou non des modifications proposées par le gouvernement sur l’article L13 du Code général des impôts.
En effet, actuellement (en 2021), l’article L13 (1) stipule que « … l’Administration des impôts adresse, sous pli recommandé ou en mains propres avec accusé de réception ou par bordereau de décharge, un avis de vérification de comptabilité ou de vérification de situation fiscale d’ensemble et un exemplaire de la Charte du contribuable, qui l’informent de la possibilité qu’il a de se faire assister d’un conseil de son choix… ».
Or l’article L13 nouveau (1) proposé dans le projet de loi de finances 2022 en cours d’examen stipule que « … l’Administration des impôts adresse, sous pli recommandé ou en mains propres avec accusé de réception ou par bordereau de décharge, un avis de vérification de comptabilité ou de vérification de situation fiscale d’ensemble et un exemplaire de la Charte du contribuable, qui l’informent de la possibilité qu’il a de se faire assister par un conseil fiscal agréé CEMAC et inscrit au tableau de l’ordre ou un Centre de Gestion Agréé de son choix…».
Actuellement, pour assurer efficacement leur défense face à des Inspecteurs de plus en plus aguerris, les entreprises en situation de contrôle fiscal ont recours à l’assistance des Experts Comptables, des Conseil fiscaux et/ou des avocats, en fonction des compétences dont elles ont besoin, de leurs moyens financiers et des enjeux du contrôle.
Paradoxalement, tandis que l’État essaie d’affaiblir les moyens de défense des entreprises en limitant leur assistance aux seuls Conseils Fiscaux, il se donne lui, les moyens d’avoir recours à des experts de son choix parmi lesquels les Experts Comptables, tel que stipulé à l’article L18 (1) « Lorsque l’exercice du droit de contrôle de l’administration fiscale requiert des connaissances techniques particulières, l’Administration peut faire appel aux conseils techniques d’experts figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé des Finances . (2) L’administration fiscale peut également dans le cadre de l’exercice de son droit de contrôle, intervenir conjointement avec l’administration douanière ou faire appel à des experts nationaux et/ou internationaux dans le cadre des accords dont le Cameroun est partie». Pourquoi l’article L18(1) n’est-il pas lui aussi modifié dans le projet de loi de finances 2022 afin que l’administration fiscale se fasse elle aussi assister exclusivement par les Conseils fiscaux ?
Est-il équitable que l’administration qui contrôle l’entreprise désigne le Conseil auquel l’entreprise doit recourir pour se défendre face à ce contrôle?
Par ailleurs, comment peut-on exclure les Experts Comptables de l’assistance aux entreprises en contrôle fiscal, alors que les contrôles fiscaux portent généralement sur des contrôles de comptabilité, et que le Code Général des Impôts (CGI) du Cameroun se réfère à la comptabilité et notamment au système comptable OHADA pour établir l’assiette de l’impôt sur le revenu, tel que stipulé à l’article Article 18 du CGI «(1) Pour l’assiette du présent impôt, les contribuables sont tenus de souscrire une déclaration des résultats obtenus dans leur exploitation au cours de la période servant de base à l’impôt au plus tard le 15 mars.
Ladite déclaration est présentée conformément au système comptable OHADA. (2) Les redevables doivent, en outre, fournir obligatoirement les documents établis, conformément au plan comptable OHADA.», et suivant l’article 73 du CGI « (1) Les contribuables soumis au régime simplifié tiennent leur comptabilité conformément au système minimal de trésorerie prévu par l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit Comptable et à l’Information Financière. (3) Les contribuables soumis au régime réel doivent tenir leur comptabilité, conformément au système normal prévu par l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit Comptable et à l’Information Financière et respectant les prescriptions de l’article 19 du présent Code. ».
Il en est de même pour la TVA qui s’appuie sur la comptabilité, tel que stipulé à l’article 150 du CGI « Les assujettis à la Taxe sur la Valeur Ajoutée doivent tenir une comptabilité conformément au système normal prévu par le droit comptable OHADA ».
En plus d’être en non-conformité avec le Code général des impôts qui rattache le calcul des impôts sur le revenu au système comptable OHADA qui est de la compétence des Experts Comptables, l’article L13 nouveau (1) proposé dans le projet de loi de finance 2022, va également à l’encontre du Décret n°2019/262 du 28 mai 2019 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°2004/073 du 05 avril 2004 portant application du système comptable OHADA et de la déclaration statistique et fiscale, qui consacre le lien entre le Système Comptable OHADA et la Déclaration Statistique et Fiscale (DSF) des entreprises, la comptabilité étant la matière qui alimente la fiscalité.
La Direction générale des impôts fait régulièrement recours à l’assistance des Experts Comptables pour former ses inspecteurs vérificateurs et pour les appuyer comme experts lors de leurs missions de contrôles fiscaux. Interdire aux entreprises en contrôle fiscal de recourir aux services des Experts Comptables déséquilibre donc les rapports de force lors de ces contrôles au profit de l’administration fiscale, ce qui serait une grave injustice qui pourrait porter un coup au climat des affaires et à l’attractivité du Cameroun pour les investisseurs.
Le gouvernement devrait laisser le marché des professionnels libéraux se réguler librement dans leur concurrence face aux entreprises en contrôle fiscal, sans prendre parti comme c’est actuellement le cas, et ce d’autant plus que les entreprises ne se plaignent pas de leur liberté de choix actuelle. Elles savent qui est le mieux placé pour assurer leur défense.
En conséquence, le gouvernement devrait simplement retirer les modifications de l’article L13 nouveau (1) qu’il propose dans le projet de loi de finances 2022. A défaut, les députés et les sénateurs devraient prendre leurs responsabilités pour rétablir l’équilibre des pouvoirs et la liberté du marché des compétences afin de donner le choix de leur conseil aux entreprises. Les bons Conseils fiscaux auront toujours du travail en assistance aux entreprises en contrôle, car le marché est rationnel.