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Crise anglophone : une intervention de l’Onu au Cameroun est hypothétique (Par Robert Ngangue Dimbongo)

Le conflictologue analyse les derniers développements diplomatiques en ce qui concerne le conflit dans les régions du Nord-ouest et du…

Le conflictologue analyse les derniers développements diplomatiques en ce qui concerne le conflit dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun.

Depuis quelques mois, l’espace socio-politique camerounais est nourri régulièrement par des sorties médiatiques aux relents parfois coercitifs des partenaires multilatéraux et bilatéraux du Cameroun relativement à sa gestion de la crise dans sa partie anglophone.

Le ton paternaliste de ces partenaires a fécondé un sentiment d’indignation populaire et entretenu avec vigueur la thèse de l’ingérence dans la gestion des affaires internes du Cameroun. L’objectif, in fine, pour ces partenaires, étant d’engager une campagne médiatico-diplomatique et un activisme soutenu en vue du déploiement d’une Opération de maintien de la paix de l’ONU (OMP) au Cameroun sous le prétexte que ce dernier serait devenu incapable d’assurer la sécurité de ses concitoyens, de faire cesser les hostilités et de trouver une solution politique au conflit qui l’oppose à ses concitoyens dans la partie anglophone.

Animé par un souci de recadrage sur un sujet dominé par la passion et les intérêts particuliers, il m’a semblé opportun de lever un pan de voile sur les conditions et les modalités de mise en place d’une OMP onusienne. Il ne s’agira donc pas ici de discourir sur l’urgence et l’importance ou non d’une OMP au Cameroun, mais d’informer plutôt l’opinion sur les règles qui gouvernent la gestation et l’établissement d’une OMP conformément aux dispositions de la charte de l’ONU.

Créée après la seconde guerre mondiale et s’inspirant des conséquences graves des deux guerres mondiales sur l’humanité, l’ONU a ambitionné de « préserver les générations futures du fléau de la guerre en unissant ses forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales (..) ». À cet égard, elle s’est attribuée deux responsabilités principales, faire cesser les conflits armés et aider les acteurs des conflits à régler leur différend de manière pacifique et non violente.

Lorsqu’un conflit éclate dans une partie du globe ou s’aggrave, trois organes de l’ONU jouent un rôle central dans les efforts de prévention, de désescalade et de résolution pacifique dudit conflit, notamment l’Assemblée Générale (AG), le Conseil de Sécurité (CS) et le bureau du Secrétaire Général (SG).  Si tous ces organes ont chacun un rôle à jouer sur les sujets liés à la paix et la sécurité internationales, le CS est l’instance suprême mandatée pour discuter, décider et recommander le déploiement d’une OMP.

À mesure qu’un conflit se développe ou s’aggrave, chaque partie saisira les organes de l’ONU repris ci-haut via des leviers et intermédiaires multiples à l’instar des ONG internationales des droits de l’homme, des lobbies, des médias internationaux etc. Cette publicité internationale du conflit vise à frapper les esprits dans l’espoir de déclencher une réaction de la communauté internationale. Certains alliés des parties au conflit feront diverses pressions sur l’une ou l’autre partie au conflit afin de l’obliger à cesser les hostilités. La résolution prise sur le Cameroun par le Parlement Européen en avril dernier est assez illustratrice de cette thèse.

Cette pression médiatique et internationale fera perdre le sommeil aux hauts cadres de l’ONU. En réaction, cette dernière multipliera des consultations afin de se faire sa propre opinion sur le conflit à travers un large éventail de mécanismes. C’est dans ce contexte qu’on pourrait situer la visite au Cameroun du 2 au 4 mai 2019 de Mme Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme et la session informelle du CS sur le Cameroun prévue le 13 mai 2019.

 Le processus de prise de décision visant explicitement la mise en place d’une OMP commence par une demande spécifique du CS adressée au SG (sous la forme d’un rapport écrit) sur le point de savoir si une OMP doit être déployée ou non, et éventuellement sur quel type de mandat. Dans cette correspondance, le SG examine s’il existe 1) une situation de défaillance totale du Cameroun marquée par une incapacité notoire des forces de défense et de sécurité à protéger la population, 2) un conflit dont la persistance est susceptible de mettre en danger ou de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales, 3) des organisations et des arrangements régionaux ou sous-régionaux capables de contribuer à la résolution pacifique du conflit, 4) un cessez-le-feu, une volonté et un engagement des parties au conflit dans un processus de paix visant à parvenir à un règlement politique, 5) un objectif politique clair des parties en conflit – autodétermination, indépendance, sécession – qui peut être reflété éventuellement dans le futur mandat de l’OMP, 6) un mandat avec des missions précises qui pourraient être formulées pour déployer l’OMP, 7) une garantie raisonnable pour la sûreté et la sécurité du personnel de l’ONU qui sera déployé dans le cadre de ladite OMP.

Ainsi, dès que la situation le permet, le SG dépêche une mission d’évaluation technique dans le pays ou le territoire où est envisagé le déploiement d’une OMP. La mission d’évaluation analyse l’ensemble de la situation politique, sécuritaire, militaire, humanitaire ainsi que celle des droits de l’homme sur le terrain et ses incidences dans le contexte d’une éventuelle OMP. Sur la base des conclusions et des recommandations de la mission d’évaluation, le SG soumet un rapport au CS. Celui-ci expose toutes les options pouvant être envisagées pour la création d’une OMP.

Pendant les débats, si le CS estime que la situation fait peser un risque sur la paix et la sécurité internationales et que le déploiement d’une OMP de l’ONU est la solution la mieux appropriée, le CS l’autorise officiellement en adoptant une résolution. Celle-ci définit le mandat et les effectifs de l’opération et expose en détail les coûts de l’OMP et les tâches dont elle sera chargée.

De nombreux blocages à la fois procéduraux (droit de véto des membres permanents du CS) et techniques (consentement du Cameroun pour cette OMP et accord politique préalable ou cessez-le feu entre belligérants) viennent complexifier les possibilités de recommandation d’une OMP par le CS. Pour contourner ces obstacles, les Etats membres de l’ONU recourent souvent à l’AG. Cette dernière a l’avantage de ne pas être soumise au droit de véto puisque chaque Etat membre dispose d’une voix et que les décisions sont prises à la majorité simple. De plus, en cas de menace grave ou d’acte d’agression internationale, l’AG peut recommander une OMP si le CS s’abstient de le faire suite au vote négatif d’un de ses membres permanents conformément à la résolution 377 (V) : « L’union pour le maintien de la paix » adoptée par l’AG en novembre 1950. Toutefois, cela est rare dans l’histoire de l’ONU.

Dans la perspective d’obliger les Etats membres à respecter leurs engagements internationaux en matière des droits de l’homme et du droit international humanitaire encore appelé « le droit de la guerre », le principe de la responsabilité de protéger (R2P), interventionniste par essence, a été adopté par la résolution 60/1 de l’AG de l’ONU lors du sommet mondial sur la réforme de l’ONU en 2005. Le R2P est une opération militaire ponctuelle ayant pour objectif de sauver des vies humaines face aux atrocités de la guerre. Elle est décidée et mise en œuvre en dehors des instances onusiennes par un Etat tiers contre un autre Etat présumé voyou, sans son consentement préalable, uniquement en cas de génocide, crimes de guerre, épuration ethnique et crimes contre l’humanité.

Compte tenu de ce qui précède et à la lumière des procédures et pratiques onusiennes ainsi que de des réticences de l’Union Africaine et de la CEEAC à l’ingérence, la création et le déploiement d’une OMP au Cameroun seraient utopiques présentement. En revanche, préoccupé par la situation au Cameroun, le SG de l’ONU pourrait y nommer un Envoyé Spécial pour rencontrer toutes les parties prenantes et les engager activement à la recherche d’une solution politique au conflit.