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Eric Leonel Loumou : Crise politico-judiciaire, où sont passés les communicants du MRC

Eric Léonel Loumou communicant stratégique et consultant pour le cabinet conseil en stratégie, lobbying et influence Orin Consulting Group décrypte…

Eric Léonel Loumou communicant stratégique et consultant pour le cabinet conseil en stratégie, lobbying et influence Orin Consulting Group décrypte la communication de crise du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) autour de l’arrestation de Maurice Kamto.

Indéniablement, le Mrc de Maurice Kamto était l’un des partis les plus en vu lors de la campagne présidentielle de 2018. Une équipe de communication renforcée par des agences spécialisées, était à la manœuvre de tout ce qu’on a pu observer dans la mise en scène (communication et marketing politique) du Mrc. Qu’on soit fan ou pas ; que les méthodes soient recommandables ou pas ; ces communicants ont sans doute atteint leur objectif. Ils ont imposé le Mrc et Maurice Kamto dans l’agenda médiatique, et ont rivalisé de concept avec « la force de l’expérience » du Rdpc à qui, ils ont opposé « le tireur de penalty » ou la « coalition gagnante ». Dans les réseaux sociaux et la web presse, se ressentait la touche d’une véritable officine de production de contenu de masse, à la crédibilité et à la qualité parfois douteuse, selon certains observateurs. Mais qu’importe ne dit-on pas souvent qu’« en politique tous les coups sont permis » ? De plus, face à l’ogre Rdpc, il faut bien montrer les muscles pour gagner un peu de légitimité politique.

Montrer les muscles, le Mrc l’a fait. Dès le lendemain du vote, jusqu’à la marche blanche du 26 janvier 2019, qui a conduit à l’arrestation du président du Mrc et de nombreux cadres de leur parti. Ceux-ci, seront traduit plus tard devant le tribunal militaire pour insurrection, rébellion en groupe, trouble à l’ordre public et hostilité contre la patrie : C’est la crise au Mrc. Les militants sont terrorisés, les réactions de la communauté international n’ont pas atteint le pic attendu (malgré le transfert de Maurice Kamto et de ses militants à la prison centrale de Yaoundé), l’implication des ONG nationales et internationales n’ont pas fait large écho, la dynamique communication est en chute libre … et, aux yeux de l’opinion, le Mrc et Maurice Kamto semblent bien seul, impuissant et pour certains coupables de ce qui leur arrive.

Face à l’arrestation des manifestants, la communication judiciaire devient une approche indispensable

Autant que le savoir-faire et l’expertise juridique, la capacité de faire-savoir constitue désormais une exigence essentielle pour tous les spécialistes du droit, dans toutes leurs communications (internes et externes) auprès de leurs différents interlocuteurs, partenaires et publics. Pour le succès de leurs actions, et d’avantage en situation « de crise » (où cela s’avérerait, plus essentiel et plus délicat), tous doivent développer des stratégies de communication. L’objectif est de préserver pendant le temps de la procédure la réputation de l’organisation impliquée et de ses dirigeants ou leaders auprès des différents publics (électeurs, partenaires, bailleurs de fonds et journalistes).

Cette démarche est d’autant plus importante, car, on peut avoir juridiquement raison et médiatiquement tort, si le temps de la justice peut se compter en années, celui de la communication va au rythme de l’instantanéité des médias et de l’évolution de l’opinion publique. « C’est tout de suite qu’il faut agir, dès l’annonce de la garde à vue, de l’instruction ou de la mise en examen… Après, c’est trop tard ». Le public raisonne en mode binaire – coupable/innocent, vrai/faux – et ne peut entendre qu’un argument, deux au maximum, dans un espace-temps très réduit. Pour une organisation, même politique qui se situe dans le long terme, il est donc indispensable de gagner l’opinion et de préserver une bonne réputation.

Ainsi, pour apporter une réponse efficace à cette crise désormais politico-judiciaire, que traverse le parti Mrc, un débat interne pour déterminer les raisons de ces « échecs » est indispensable, et le Mrc devrait construire sa propre « puissance douce », en élaborant des offres (contenus) plus attrayantes, mais aussi en développant des mécanismes de promotion à travers les médias classiques et surtout alternatifs, les organisations non gouvernementales (ONG) et d’autres acteurs, des lobbies aux partis politiques. Ce changement d’attitude dans la communication stratégique devrait s’accompagner d’une prise de conscience du fait que bien  » vendre  » Kamto et ses camarades incarcérés ne suffit pas. En effet, les derniers épisodes avec le saccage des ambassades (bien que revendiqué par la BAS) ont porté un sérieux coup à l’image du Mrc, ce qui rend difficile les démarches de diplomatie publique du parti. Le  » déficit d’attrait  » du Mrc globalement et de Maurice Kamto en particulier, vis-à-vis de l’opinion publique et des instances internationale devraient être comblé par une amélioration de son image – principalement à travers la promotion de « l’humain et de la famille » et non plus « du politique et du clan » – mais aussi en proposant avec innovation, humour et créativité ce que leur adversaire représente comme danger pour la société en générale, et pas uniquement pour eux : il faut parler au émotions ; externaliser et généraliser la crise.

Notons tout de même que, La profonde mutation qu’a connu le directoire du Mrc, plaçant à la tête un ressortissant du grand Nord et de nombreux membres de diverses origines et, l’entrée en jeu de deux avocats étrangers de renom, constituent déjà une volonté tangible de faire évoluer les perceptions concernant cette crise et ses partis prenantes.

La nécessité d’un méta récit cohérent et crédible …

Bien qu’elle ait permis au Mrc d’exister après les élections présidentielles de 2018, et d’affirmer son leadership auprès des opinions extérieures et en particulier auprès des instances de coopération multinationale, Cette crise qui sévi, n’a pas donné au Mrc beaucoup de raisons de se réjouir, et a accru l’agressivité de ses militants et sympathisants envers le gouvernement et le parti au pouvoir Rdpc. La stratégie était claire : « à la guerre comme à la guerre ». Cependant, Le choix d’attaquer les autres plutôt que de se promouvoir (aussi et prioritairement) lui-même a certes, permis au Mrc de toucher des groupes sociaux déçus par la situation politique et économique du Cameroun. Mais d’un autre côté, à renforcer l’image d’un « groupe de personnes résolu à en découdre par tous les moyens ». Un cliché que sait exploiter les communicants du régime pour installer la peur et décourager les opinions.

La communication judiciaire du Mrc devrait s’articuler autour d’un métarécit, autrement dit : une série de thèmes centraux qui apparaissent régulièrement dans la plupart des démarches de communication. Toutefois, ces thèmes varient (en fonction des intérêts et de l’évolutions de la situation) et peuvent arriver à se contredisent souvent. Malgré cela, il existe un certain nombre de récits récurrents que les idéologues, les porteurs de voix et les médias qui défendent les libertés et l’Etat de droit, dans cette crise politique devraient mettre systématiquement en avant. En effet, dans un processus de communication judiciaire (qui est une déclinaison de la communication de crise), il faut s’attaquer aux thématiques qui vont tendre à affaiblir l’image de l’accusation et à décrédibiliser sa démarche tout en déculpabilisant le sujet. Et être capable de généraliser la crise et de créer des liens de cause à effet avec des sujets extérieurs à la crise. En gardant en esprit le moment après la crise, l’idée est de rester permanemment en campagne malgré la situation.

Élections locales, l’autre enjeu de communication stratégique pour le Mrc …

Tout en restant au service de la stratégie judiciaire, la communication assure de façon plus large la préservation des intérêts et de la réputation du parti auprès de son électorat, des militants, des sympathisants et autres partenaires financiers et politiques. La communication judiciaire ne se limite pas à la presse mais, englobe tous les moyens pour toucher ceux qui doivent entendre le message du Mrc et de Maurice Kamto, afin d’assurer la survie de la légitimité du parti. Les avocats et les communicants, doivent ainsi développer une offre en communication « de crise » sur mesure.

Alors, l’enjeu de cette bataille de l’image pour le Mrc réside dans les prochaines échéances électorales qui arrivent. On peut, bien que ce soit discutable, se braquer et se dire que la communication ne peut pas faire libérer Kamto et les centaines de personnes incarcérées avec lui. Cependant, dans une démarche d’analyse d’opportunités et de contraintes, cette situation de crise impose au Mrc une nouvelle approche stratégique pour les élections locales prochaines. Plus que jamais le nouveau directoire devrait se poser les bonnes questions : (1) quel est l’objectif du Mrc pour les prochaines élections locales ? (2) quel serait l’impact de cette crise sur l’électorat de leur parti et sur leurs sympathisants ? (3) Faut-il maintenir la stratégie du « hold-up » avec en ligne de mire les élections locales ? (4) comment conserver les votes de la présidentielle 2018 et les convertir pour les élections locales ? (5) comment articuler auprès de la même cible (l’électorat), le discours du « hold-up électoral » et de participation aux prochaines échéances électorales ? (6) au cas où les leaders et militants du Mrc ne sont pas libérés, que faire ? participer aux élections dans le risque de se contredire (sur la légitimité du gouvernement actuel) ou ne pas y participer dans le risque de céder un boulevard à Cabral Libii et à son armée de jeunes loups et par ricochet perdre la place de principal parti de l’opposition ?

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