La fermeture du cinéma Abbia à Yaoundé et du cinéma Le Wouri à Douala met à nouveau au goût du jour les maux qui minent le septième art au Cameroun.
La nouvelle de la fermeture du cinéma Le Wouri s’est répendue à travers le pays comme une trainée de poudre le 19 janvier dernier. La nouvelle a été reprise en boucle par les médias locaux. Les cinéphiles de Douala ont été surpris par cette terrible nouvelle surtout qu’elle intervenait quelques jours après la fermeture du cinéma Abbia à Yaoundé le 12 janvier dernier. Même si Bernard Sah, le directeur du cinéma le Wouri ne s’est pas encore assez pronocé sur cette fermeture, tout porte à croire que cette salle souffrait aussi comme l’Abbia à Yaoundé, des problèmes de gestion d’autant plus que les deux salles appartenaient à un même groupe : le groupe Fotso.
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Cinéphile |
Les deux principales métropoles du Cameroun se retrouvent donc sans salle de cinéma. De nombreux cinéphiles habitués de ces lieux de détente vont dorénavant changer leur habitude cinématographique. « Nous serons maintenant contraints de voir les Vcd à la maison », nous lance un cinéphile visiblement déçu par cette autre fermeture. « A cette allure, j’ai même peur qu’on ferme aussi le cinéma empire à Bafoussam », lance un autre cinéphile. Hier lundi 19 janvier 2009, Mme la ministtre de la Culture Ama Tutu Muna, qui recevait les v ux de nouvel an de ses collaborateurs et de la grande famille artistique, annonçait encore qu’elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour remédier à la situation. Joséphine Dagnou, la réalisatrice du long métrage « Paris à tout prix », s’inquiétait plutôt de cette situation «qui peut pousser certains réalisateurs à s’expatrier pour exercer leur métier à l’étranger ».
La descente aux enfers des grandes salles de cinéma au Cameroun a été amorcée dès 2003 avec la fermeture du cinéma Le Capitole à Yaoundé. On se souvient aussi de la fermeture du Cinéma «Le Paradis », l’une des plus belles salles de Douala, dotée d’un écran géant dolby stéréo. D’autres salles comme « Le Berlise », « Le Grand Canion » à Douala, « Le Mfoundi » à Yaoundé avaient aussi rendu le tablier laissant orphelins de nombreux cinéphiles. La fermeture de toutes ces salles de cinéma, qui pourtant faisaient le bonheur des cinéphiles et créaient une certaine ambiance dans nos métropoles, est liée selon certains observateurs à plusieurs facteurs : l’absence d’une véritable politique règlementaire des pouvoirs publics, a favorisé l’occupation de cet espace culturel et économique par des amateurs et autres aventuriers beaucoup plus motivés par un esprit du lucre. Tous ces promoteurs qui ont fait faillite y sont arrivés « par effraction pour se faire de l’argent alors que le cinéma est d’abord une passion », constate Joseph, jeune cinéphile. Les promoteurs de ces salles ont donc brillé, selon certains témoignages, par des lacunes managériales, notamment une gestion approximative et anarchique des ressources humaines et financières. L’absence des professionnels du cinéma à la tête de ces structures, fait également partie de ces manquements. Le manque de campagne de marketing et de communication de proximité ou médiatique, n’a fait qu’éloigner d’avantage les cinéphiles de leurs salles préférées. Autres couacs, le manque d’innovations dans la programmation. Les programmateurs servant constamment les mêmes films, parfois les anciens succès qui ne suscitent aucune curiosité, et la politique des prix. Avec la concurrence du câble (disponible actuellement dans les ménages à partir de 3000Fcfa), l’utilisation des Vcd, la piraterie qui innonde le marché des uvres cinématographiques -même les plus recentes-, les promoteurs ou gestionnaires de ces salles, n’ont pas su s’adapter à la nouvelle donne : au cinéma Abbia par exemple, il fallait débourser 2000fcfa à 2500Fcfa pour regarder un film en Avant Première alors que le même film peut se voir gratuitement sur le câble, ou vendu à 1000Fcfa dans la rue. Une véritable politique des prix aurait donc dû être mise sur pied, à la fois pour faire face à cette concurrence déloyale, mais aussi et surtout pour attirer davantage les amoureux du septième art.

Avec la fermeture du cinéma Abbia et du cinéma Le Wouri, c’est le cinéma camerounais qui prend ainsi un sérieux coup. On se rappelle que c’est dans ces salles qu’ont toujours été projetés de longs métrages camerounais tels que « La déchirure » de Alphonse Béni, « Paris à tout prix » de Joséphine Dagnou, « les saignantes » ou « Confidences » de Cyrille Masso, « Marie Prophétesse des lumières » de la jeune réalisatrice Michelle Laure Pella etc. Invité récemment à la chaîne de télévision privée Canal 2, Basseck Ba Kobhio suggérait déjà la mise sur pied d’une véritable politique culturelle au Cameroun. Dans l’attente d’une réaction salutaire des pouvoirs publics pour sauver le cinéma camerounais, les cinéphiles et réalisateurs peuvent se consoler avec les salles de spectacles étroites des centres culturels Français de Douala et de Yaoundé, très souvent réquisitionnées pour la projection de certains courts et longs métrages.
