Par sa politique budgétaire il enlève l’espoir de vaincre le VIH/Sida, la tuberculose par l’accès universel au traitement antirétroviral
L’augmentation du niveau des dépenses de santé et l’amélioration de leur efficacité est une question de vie ou de mort. Il y a plus de dix ans, les chefs d’Etat africaines réunis à Abuja au Nigeria lors d’ une session spéciale de la Conférence consacrée spécifiquement à l’examen des défis exceptionnels posés par le VIH/SIDA, la tuberculose et autres maladies infectieuses connexes avaient posé ce diagnostic et proposé une thérapeutique conséquente. NOUS, NOUS ENGAGEONS à fixer un objectif de 15% au moins de notre budget annuel à allouer à l’amélioration du secteur de la santé, avaient-ils prescrit dans leur Déclaration, dite d’Abuja restée célèbre. Nous reconnaissons la nécessité de créer une source durable de revenus pour financer les programmes de lutte contre le VIH/SIDA, avaient-ils martelé. Considérant le SIDA comme un état d’exception sur le continent, ils se sont engagés à cet égard à lever toutes les contraintes tarifaires, économiques et les conditionalités à l’accès au financement dans le cadre de la lutte contre le SIDA. Dans ce cri de ralliement, les chefs d’Etat africains avaient demandé à la Commission de l’UA, en collaboration avec la BAD, la CEA et toutes les autres institutions partenaires, en particulier l’OMS et l’ONU-SIDA d’aider les États membres à formuler une politique à l’échelle continentale en vue d’une stratégie d’assistance internationale pour la mobilisation de ressources financières additionnelles. Le Cameroun est signataire comme les 44 États africains de cette Déclaration. L’espoir de vaincre le VIH/Sida, la tuberculose et autres maladies infectieuses par l’accès universel au traitement antirétroviral était alors sur toutes lèvres. Mais dix ans après, l’espoir s’est évaporé se muant en un désespoir. Malgré la baisse des taux de prévalence et autres chiffres flatteurs, beaucoup des pays signataires, et notamment au Cameroun ont manqué à leur engagement. Or, le constat ayant conduit les chefs d’ Etat africains demeurent. Des milliers de personnes vivants avec le VIH vivent sous la hantise des ruptures d’intrants (Réactifs de laboratoire, médicaments contre les infections opportunistes et ARV) contre le VIH/Sida. Les efforts et sacrifices consentis depuis une dizaine d’années, grâce aux subventions du Fonds mondial, et autres bailleurs de fonds sont de plus en plus marqués du sceau de l’imprévisibilité et de l’aléatoire, la crise économique aidant. Des tristes réalités qui remettent au goût du jour la Déclaration d’Abuja, plus que jamais d’actualité.
Les données collectées et analysées par l’Union africaine sur les dépenses de santé publique dans les pays d’Afrique subsaharienne et présentées dans son « Rapport intérimaire sur la mise en uvre des plans d’action des Déclarations d’Abuja pour le paludisme, le VIH/sida et la tuberculose » précise que près du tiers des pays d’Afrique subsaharienne allouent au moins 10% leurs budgets nationaux au secteur de la santé, 38% allouent 5 à 10%, tandis que 29% allouent moins de 5%. Le Cameroun fait partie de ce gros lot. Le rapport indique également que la plupart des pays de l’Afrique centrale et de l’Ouest allouent moins de 5%. Le Botswana, selon ces données, est le pionnier dans l’atteinte des objectifs fixés par la Déclaration d’Abuja de 15%. D’autres pays s’approchent de cette cible. C’est le cas de la Gambie (13%), le Ghana (13%), la Namibie (12%), Sao Tomé et Principe (14%), la Tanzanie (13%), l’Ouganda et le Zimbabwe (14,5%). Excepté l’Afrique australe, toutes les régions africaines dépensent moins que les autres régions telles que l’Asie de l’Ouest, du Sud-est et l’Asie centrale du sud. Autre chiffre qui corse l’addition, c’est que le tiers du continent dépendent pour plus de 25% des financements des bailleurs de fonds dans le secteur de la santé et deux d’entre eux dépendent pour au moins 60%. Cependant, vingt-trois pays, dépendent des financements des sources externes pour de 10% 15%. La dépendance de la réponse nationale à l’environnement international demeure avec le sempiternel problème de la pérennisation de la lutte et de l’atteinte même des résultats fixés dans le plan stratégique. Dix ans après la Déclaration, la majeure partie du financement injecté dans la lutte provienne de la même aide internationale, d’où l’extrême vulnérabilité de la riposte et son exposition à des variations brusques suivant la conjoncture internationale. Là également, le Cameroun ne fait pas exception, le pays a frôlé la catastrophe en septembre 2012 avec une rupture totale des antirétroviraux (ARV). C’est une agence d’aide d’urgence américaine qui a permis d’épargner ainsi aux 75.000 Personnes vivants avec le VIH/sida (Pvvih) sous traitement par ARV les désagréments d’une interruption brutale de leur cure. Au total, ni les 15% du budget de l’Etat ne sont consacrés à la santé, ni la durabilité des revenus pour financer les programmes de lutte contre le VIH/SIDA n’a été assurée, pire les contraintes tarifaires, économiques et les conditionnalités à l’accès au financement dans le cadre de la lutte contre le SIDA persistent.
Le pays de Paul Biya fait malheureusement partie du grand contingent qui est passé très loin dans l’atteinte de cet objectif et qui subit au quotidien les affres de l’extraversion du financement de la santé. Une décennie après la signature de la Déclaration d’Abuja, le Cameroun n’est qu’à 5.9 % de budget pour la santé. Plus précisément, le pays consacre 14 dollars, soit 7 324,8 de FCFA par habitant et par an, une dépense de santé largement inférieure au niveau recommandé au niveau international pour atteindre les OMD, soit 34 dollars par habitant et par an. 105,2 milliards de FCFA en 2010, 151,81 milliards en 2011 et 151,42 en 2012, le budget du ministère de la Santé publique est loin des attentes. Plus globalement, le Cameroun consacre seulement 1,04% de son PIB à la santé. Or, selon la stratégie sectorielle de santé (SSS) assortie d’un Cadre de Dépenses à Moyen terme (Cdmt) pour la période 2011-2013, il faut 609,7 milliards de FCFA pour renverser la tendance. Pour parvenir à ses objectifs le Cdmt 2011-2013 estime à 609,7 milliards de FCFA, soit 175,8 milliards en investissements et 433,9 milliards en fonctionnement. Ce montant équivaut à un coût par habitant de 9,16 de dollars qui permettrait, au cours de cette période, d’atteindre les cibles de couverture. Minsanté n’a toujours pas le budget qui lui permettrait d’être à la hauteur des attentes des populations. Le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE), Cadre de référence de l’action gouvernementale 2010-2020 confirme cette situation. Car, les allocations budgétaires destinées à la santé situées à 4,9% du budget de l’Etat en 2007 sont projetées à 9,0% en 2020 en passant à 7,5% en 2013, 7,8% en 2014 et 8,1% en 2015. C’est le scénario dit de référence. Il est clair que l’intention d’atteindre les 15% de la Déclaration d’Abuja n’est pas à l’ordre même l’horizon de 2020. Une situation qui est pourtant, en contradiction avec la Vision 2035 (qui devrait faire du Cameroun un pays émergent) qui fait du développement humain un des piliers de la croissance du Cameroun, affirmant urbi et orbi que «L’amélioration de l’état de santé des populations demeure pour le Gouvernement un objectif de développement social étroitement lié à la poursuite d’une politique de croissance économique soutenue. Le Gouvernement compte atteindre cet objectif à travers une approche globale privilégiant la recherche systématique des synergies intersectorielles nécessaires à la mise en uvre réussie de la Stratégie Sectorielle de Santé (SSS) ». Toutes choses qui ne sauraient être réalisées avec le niveau d’allocations budgétaires.
En Afrique tout est priorité, aime-t-on rétorquer laconiquement. En d’autres termes, «nous avons des contraintes au financement de la santé, en raison de la multiplicité des priorités et des engagements nationaux et internationaux des pays africains. Ce qui rend difficile l’atteinte des objectifs en matière de santé », s’entend on dire dans le cercle de décisions. Des simples faux-fuyants qui justifient les choix très souvent accordés aux portefeuilles de la défense et de souveraineté. Car, seule une bonne santé financière de la santé peut contribuer à sauver des millions de vies et prévenir les handicaps à vie et rapprocher le pays de la réalisation des objectifs des stratégies nationales de réduction de la pauvreté et des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). C’est pourquoi, les décideurs Africains et notamment Camerounais sont invités à repenser leur politique budgétaire afin de relever le financement de la santé à la hauteur des enjeux. Pour comprendre la pertinence d’un tel plaidoyer, il est important de rappeler selon la Commission macroéconomie et santé, un pays doit dépenser au moins 34 dollars par habitant pour fournir une série services de santé à sa population, conformément aux directives de l’OMS. Donc en fait, les 15% de la Déclaration ne sont qu’un tremplin devant permettre d’atteindre les 34 dollars par habitant et par an. Même si tous les pays parvenaient à atteindre les objectifs fixés par la Déclaration d’Abuja de 15%, l’ensemble des dépenses publiques de santé, seuls 12 pays pourraient alors atteindre ou dépasser l’objectif fixé par la Commission macroéconomie. Vingt-huit pays ne pourront pas atteindre cette cible même dans ces conditions, précise un rapport. Parmi ces derniers, 12 ne réaliseront pas même la moitié de ce que la Commission macroéconomie et santé estime comme niveau des dépenses par habitant requis pour assurer à la population. Au final, et pour autonomiser, garantir le financement de la santé à l’avenir et de ne plus l’assujettir aux financements annuels des bailleurs de fonds, le Cameroun doit prendre des initiatives allant dans le sens de pérenniser les sources du financement de la santé. Des pistes alternatives innovantes et durables existent. Il suffit de les répertorier, analyser et mettre en uvre. Le Cameroun en a l’ingénierie, la capacité, les hommes et le leadership nécessaire pour cela. Nous l’allons démontrer dans une future tribune.