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Des idées pour réduire l’endettement et la fragilisation de l’Etat au Cameroun

Par Célestin Bedzigui Le Décret du 1er Mars dernier autorisant le ministère des Finances à endetter l'Etat de 300 milliards…

Par Célestin Bedzigui

Le Décret du 1er Mars dernier autorisant le ministère des Finances à endetter l’Etat de 300 milliards F CFA par émission de titres du Trésor est presque passé inaperçu, couvert qu’il a été par le bruit des motions des « élites » appelant Monsieur Biya à être candidat à la prochaine élection présidentielle. Ces motions qu’on veut faire croire qu’elles sont spontanées sont au contraire, pour tout esprit avisé, inspirées par le Président Biya lui-même. Il en règle tous les détails et toutes les péripéties. Exemple: les propos tenus lors du meeting des élites de l’Ouest à Bafoussam par le Sultan des Bamoun qui a évoqué la nécessité d’un Congres extraordinaire du RDPC pour investir son candidat et la convocation d’ une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale pour amender, une fois de plus, la Constitution et permettre une élection anticipée ne peuvent avoir été inspirés que par lui, d’autant que des indiscrétions font état de la rencontre hors du pays des deux personnalités quelques jours plus tard, une preuve du numéro de comédie politique qui est servi au peuple camerounais. Nonobstant ces « bruits et fureur » politiciens, l’endettement du pays dont l’emprunt évoqué plus haut est la marque a une incidence significative sur son avenir parce qu’ il l’expose à une crise de trésorerie à moyen terme, ce qui justifie que nous tirions ici la sonnette d’alarme.

Sustainabilite de la dette?
Dans le Budget 2016, les recettes propres de l’Etat hors dons ressortent à 2 985 milliards F. Les charges fixes ou incompressibles s’élèvent quant à elles à 2 898 milliards F et sont composées des dépenses de fonctionnement qui sont le reflet du train de vie de l’Etat pour 1981 milliards F, 727 milliards pour le service de dette et 190 milliards pour les pensions. Le solde des recettes propres sur les dépenses fixes devant être affecté au financement des investissements n’est donc que de 87 milliards F. Or le budget d’investissement annoncé ressort à 2 861 milliards F. Il ne peut donc être couvert par les ressources propres de l’Etat qu’à hauteur de 3%, le solde, soit 97% étant appelé à être couvert par des emprunts dont les termes de la mobilisation restent questionnables. Cette faible capacité d’autofinancement de ses investissements par l’ Etat révèle une fragilisation financière structurelle du pays qui est bien saisie par les analystes internationaux de risque souverain. On le perçoit bien déjà à travers les taux usuraires d’environ 9% appliqués à l’argent qui est proposé à notre pays pour les Euro bonds.

De tels taux rendent compte de ce que les papiers souverains émis par le Cameroun sont désormais considérés comme étant de « speculative grade »[1] et donc assortis d’une prime de risque de 3 à 4 points, au lieu d’être de « investment grade » qui ramènerait les taux des emprunts du Cameroun dans une fourchette comprise entre 3 et 5%. La perception du Cameroun dans les milieux financiers internationaux est donc d’ores et déjà celle d’un pays exposé à une crise de solvabilité à plus ou moins moyen terme, perception qui explique l’étiage des investissements directs étrangers ou le retrait du pays d’opérateurs industriels de référence comme le départ du pays du premier producteur mondial d’Aluminium ALCAN RIO TINTO du Groupe Alucam il y a quelques temps. Cette situation est l’un des principaux freins à la croissance à deux chiffres dont le pays a besoin pour amorcer son décollage vers l’émergence; le Gouvernement ne semble pas être outillé pour y remédier.

Si le recours à l’endettement n’est pas en soi condamnable, il ne doit toutefois pas trouver sa justification dans la seule évocation du ratio de convergence CEMAC de 70% du PIB, argument instrumentalisé abusivement par le Gouvernement et ses excroissances comme la Caisse Autonome d’ Amortissement. C’est plutôt le niveau du service de la dette par rapport aux ressources propres du pays qui doit être le facteur d’alerte. Ainsi, lorsque le niveau du service de la dette passe de 436 milliards en 2015 à 727 milliards F en 2016 alors que les recettes pétrolières attendues vont dans le sens contraire en tombant de 774 milliards F en 2015 à 442 milliards F en 2016, c’est un carton jaune qui doit être brandi à ce Gouvernement. L’urgence de mesures de réduction du train de vie de l’Etat s’impose donc. Elle ne semble malheureusement être, ni dans la philosophie de l’action de ce Gouvernement, ni dans ses capacités, entravé qu’ il est dans les man uvres électoralistes et propagandistes du Président Biya. Et pourtant le pays est exposé à une grave crise de trésorerie qui peut survenir à tout instant et le contraindre à un ajustement aux forceps.

Compresser le train de vie de l’Etat, une exigence première
Le constat d’ un train de vie de l’Etat désormais hors de contrôle commande donc qu’ il soit compressé au maximum afin que, d’ une part, il soit dégagé des ressources financières propres qui seront un levier d’ attraction massive des investissements directs étrangers permettant de porter la croissance à deux chiffres, d’ autre part, d’ améliorer la perception du pays dans les milieux des investisseurs internationaux et susciter leur mouvement vers le Cameroun. La stratégie pour y arriver aura l’objectif dual de diminuer les dépenses de fonctionnement et d’accroitre les recettes propres de l’Etat.

Coté diminution des dépenses, cela devra se traduire par une réduction drastique des charges incompressibles de l’Etat, Celles-ci devaient être ramenées en cinq ans à la norme de 40% des recettes propres de l’Etat au lieu de 97% signalée plus haut. Ceci laisserait au Gouvernement une réelle capacité de man uvre dans la mise en uvre d’un plan d’investissement portant non seulement sur les infrastructures, les équipements collectifs et éducatifs, l’assainissement urbain, mais contribuant également au soutien du développement du secteur productif, sans s’exposer à recourir à un endettement onéreux. Une telle politique verra se renforcer le taux d’investissement avec l’objectif de le porter 30% du PIB dans un horizon de cinq ans, investissements directs étrangers inclus. Les mesures impératives pour réaliser cet ajustement seraient, entre autres:

la réduction de la taille pléthorique du Gouvernement actuel en le faisant passer de près d’une cinquantaine de départements à un cabinet resserré de 25 départements ;

la fermeture des robinets connus de tous par lesquels s’épanchent les ressources de l’Etat dont entre autres les frais des missions fictives, les bons de carburant etc. ; la réduction significative des « brefs séjours privés » du Chef de l’Etat à l’étranger » et une réduction sur trois ans de 30% du budget de la Présidence de la République qui s’élève actuellement au montant faramineux de 48 milliards F, soit une consommation mensuelle de 4 milliards F;

la réduction systématique étalée sur trois ans de 20% des budgets de fonctionnement des 25 départements ministériels restructurés; la suppression des soi-disant « frais de souveraineté » chiffrés en milliards F distribués périodiquement aux membres du gouvernement et assimilés,

l’institution d’une législation de sanction de l’enrichissement illicite appliquée aux agents publics comme il en existe une au Sénégal pour traquer la corruption d’accumulation des cadres de l’administration;

la dissolution des organismes institutionnels redondants ou inopérants, à l’exemple du fantomatique Conseil Economique et Social; l’audit fonctionnel des différentes Agences, Programmes et Comités Gouvernementaux permanents en vue de la fermeture de ceux dont l’efficacité n’est pas avéré;

le reversement des moyens et des hommes de la Garde Présidentielle au régiment du Quartier Général et le transfert de ses missions de sécurité du Chef de l’Etat confiée à une équipe d’élite de « secret service agents » de 200 éléments sur le modèle US.


Coté accroissement des recettes, il s’agira:

de mettre en vente à la Bourse de Douala les actions détenues par l’Etat dans le capital des sociétés d’Etat;

d’activer le reversement au Trésor public les dividendes générés par les actions détenues par l’Etat et qui ne seraient pas mis en vente à la Bourse;

and last but not least, de placer la gestion des recettes pétrolières sous le contrôle du Parlement pour en parfaire la transparence, afin que leur dévolution cesse d’être sous le contrôle exclusif et non constitutionnel du seul président de la République.

Changement de vision, de volonté et de style
En définitive, le Budget 2016 aurait dû refléter la volonté du Gouvernement d’inscrire son action dans le paradigme de l’émergence qui se définit comme un processus par lequel un pays opère une transformation structurelle pour réussir son insertion dans les chaines de valeur ajoutée mondiales. La marche vers l’émergence devrait se caractériser par l’accroissement des capacités de production manufacturières du pays et son orientation pour l’exportation grâce à une compétitivité soutenue par ses avantages comparatifs, toutes choses qui feraient du pays un acteur remarqué sur les marchés mondiaux. Les retombées de cette mutation sont, d’une part, un plus haut niveau de production générant plus de richesse dans le pays avec pour conséquence une élévation du revenu des populations, d’autre part, l’accroissement significatif de l’utilisation de la main d’ uvre se traduisant par la réduction du chômage. Ni ces objectifs, ni ces préoccupations, ni les stratégies pour les satisfaire ne sont compris par ce Gouvernement pour qui l’évocation de l’émergence est devenue un slogan soporifique pour endormir les populations, sans substrat opérationnel et matérialisé.

L’urgence d’un changement s’impose donc; un changement de vision, de volonté et de style, un changement de gouvernance, pour tourner la page d’une démocratie festive, des apparences et de proclamations, dont la vraie finalité définie pour son « grand shaman » est de multiplier les subterfuges du type « appel à la candidature . en 2018 », pour perpétuer le viol civique d’un peuple camerounais sous une influence qui sera un jour décryptée, en recourant à la manipulation inacceptable des instruments institutionnels, alors que le bases socio économiques et financières du pays se fragilisent dramatiquement.

« Quelle que aura été la profondeur des ténèbres de la nuit, le jour finira par se lever. »

Célestin Bedzigui
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