Loin des tragédies qui occupent nos médias, il en est d’autres plus modestes qui n’intéressent que leurs protagonistes
Avec beaucoup d’humour et de poésie, Hervé Tadié nous invite pour un voyage fantastique
L’Afrique n’est plus une terre promise, elle ne s’enivre plus des vertiges des indépendances reconquises. Sa misère est devenue son folklore, tel en témoigne le voyage extraordinaire du jeune Bakari à la recherche de son géniteur dans bas-fonds d’une ville champignon ou encore celui de ce digne Bamiléké, pour qui être Camerounais est loin d’être une sinécure. Le caractère poétique alimente l’image par la puissance des mots et la résonance des phrases. Elle donne comme une épaisseur à la dimension de ces nouvelles qui prennent là une vocation patrimoniale. Hervé Tadié manie le verbe avec une aisance propre aux auteurs africains de langue française. Tout y est délicatement pesé et ajusté. On rit, on pleure, on pense à demain. Nous sommes ici au c ur d’une uvre vivante, puissante et tellement inscrite dans notre temps.
Né en 1978 à Yaoundé au Cameroun. Après des études en sciences il quitte son pays pour allez étudier en Côte d’Ivoire. Parallèlement à ses études il entame une carrière discrète d’écrivain. Il se distingue vite par son talent en devenant lauréat du Prix du Jeune Écrivain francophone pour l’année 2005. Rapidement repéré par les éditeurs c’est avec l’atelier de presse qu’il publie « le fils de l’homme », son premier recueil de nouvelles. Hélas la collaboration s’arrête là, l’éditeur faisant faillite deux mois après la parution du livre. Loin de se laisser abattre, il continue à écrire, des nouvelles essentiellement et collabore avec la revue Amina. Mais c’est aux Éditions 93 qu’il retrouvera son second souffle avec la publication « des points de misères » un recueil de nouvelles ayant l’Afrique pour thématique. Ainsi, avec beaucoup d’humour et de poésie il y décrit le quotidien des petites gens, tiraillés entre leurs traditions et la misère que leur inflige le monde moderne. Jonglant avec le sérieux et la dérision, Hervé Tadié oriente ses lecteurs vers un nouveau genre littéraire africain, plus riche de sentiments et plus discret de ressentiments. Hervé Tadié travaille actuellement à la rédaction de son premier roman qui paraitra aux Éditions 93.
« Quand tu laisses la porte ouverte, tu es certain que quelqu’un va entrer »
Élanga ouvrit les yeux presque à contrec ur. Sa journée d’hier avait été plus que chargée et, il se sentait tout courbaturé. Il aurait bien aimé pouvoir dormir encore un peu, histoire de se remettre de la fatigue accumulée. Seulement voilà, ce salopard de coq n’en avait cure. Il devait chanter au lever du soleil et c’est ce qu’il avait fait. Et comme d’autre part en Afrique on est sensé se lever au premier chant du coq, voici Élanga se faisant violence et se redressant sur son vieux lit de bambou juste recouvert d’un vieux sac de riz. A peine assez souple pour vous éviter des courbatures. Pendant un instant, il suspendit ainsi ses mouvements. Jetant un regard curieux autour de lui, comme s’il s’éveillait là pour la première fois. Cette vieille chambre aux murs noircis de poussière lui semblait étrangère. Son regard tomba sur le sol même pas cimenté où il allait devoir poser les pieds tout à l’heure. Un frisson de dégoût lui parcourut l’échine. De gros cafards alignés à la queue leu leu se baladaient nonchalamment d’un bout à l’autre de la pièce, évitant soigneusement les marécages, les bourbiers microscopiques formés ça et là par les gouttes de pluie que laissait passer sa vieille toiture pourrie. Toutes sortes de détritus jonchaient ce sol bourbeux : peaux de bananes pourries, coques d’arachides, feuilles de manioc abandonnées là paresseusement après les repas. La pièce servant à la fois de cuisine, de chambre et de salle à manger, il y avait juste assez d’espace pour tenir debout et gagner la sortie. Et il ne fallait surtout pas compter sur Sita pour faire le ménage ou le rangement. Comme si elle avait suivit le cheminement de la pensée de son époux, Sita, couchée à plat ventre sur le lit, émit un pet sonore et tonitruant tout en soupirant dans son sommeil.
…
Mame n’avait jamais compris pourquoi le seul fils que le ciel ait daigné lui accorder était si étrange, si différent des autres. Avait-on idée de regarder le soleil des heures et des heures durant ? Que pouvait-il bien se passer sous son crâne ? Mame craignait pourtant d’avoir la réponse à cette dernière question. Elle préférait s’imaginer qu’il s’agissait d’autre chose. Bakari s’était levé à contrecoeur. Mais sans en laisser rien paraître. Il ne voulait pas peiner sa mère. Elle faisait toujours semblant de le gronder, mais il voyait bien à quel point elle l’aimait. Elle ne cuisinait jamais que les mets qu’il affectionnait. De tous les enfants du village, il était le mieux vêtu en toutes circonstances. Il ne manquait jamais de rien, alors il faisait tout pour ne pas la chagriner. Mais il n’aimait pas la compagnie des autres. Ils étaient violents, brutaux, moqueurs et très bavards. Bakari n’aimait rien plus que le calme et le silence. Contempler la nature lui procurait son plus grand plaisir. Seulement les autres ne comprenaient pas tout cela. Ils ne cessaient de l’importuner. Surtout Sembene, le fils du chef, qui trouvait toujours le moyen de le houspiller : « Hé ! disait-il, es-tu une femme pour passer ainsi tes journées à rêver ? ». Et de lui donner un coup de pied dans les côtes, puis de s’enfuir en riant. Où encore, de s’écrier l’air malicieux, imitant Mame : « Bakari, fils d’Ousmane Samba !