Discours prononcé au 2ème Congrès de Debout la République, le 21 novembre 2010
Je suis française, je viens du Cameroun, un pays qui a la particularité de comporter 366 ethnies qui, bien qu’utilisant 240 langues différentes, cohabitent harmonieusement. C’est pourquoi, ce qui m’a le plus frappé en France, ce sont les tensions autour de l’intégration, la difficulté croissante à vivre ensemble. Même s’il ne faut pas céder à la dramatisation. Selon l’enquête de l’INED sur l’immigration, 65% des descendants d’immigrés se marient avec un Français ou une Française de souche. On peut dire que le processus d’assimilation à la française fonctionne toujours. Ces tensions m’ont incité à créer une association Clairvoyance au c ur de la diversité, qui vise à réussir le vivre ensemble avec trois axes d’action: La rencontre entre populations d’origines diverses, la reconnaissance et le respect de l’autre et la participation active à la vie de la cité pour construire un destin commun. C’est à travers ces trois dimensions que je vous propose d’analyser les tensions autour de l’intégration.
Tout d’abord, où est-on au niveau de la rencontre de l’autre en France?
Force est de constater que le brassage social s’opère de moins en moins bien. La France est historiquement un pays d’immigration et le premier lieu où se faisait l’intégration était la communauté de travail. Or la langueur de notre économie, l’importance du chômage freinent l’intégration des immigrés et bouchent l’horizon de leurs enfants avec un taux de chômage de 24% pour les jeunes. Le premier levier pour réussir l’intégration n’a malheureusement rien de spécifique. Il s’agit de la croissance de notre économie, ce qui nous renvoie à la problématique du niveau et du pilotage de l’euro ainsi qu’aux trop forts prélèvements opérés sur les entreprises. Sans la croissance, sans une économie compétitive, nous ne pourrons pas résoudre nos problèmes sociaux. L’habitat et l’école constituent un lieu de brassage et de mixité sociale tout aussi important. Je suis responsable dans une fédération de parents d’élèves et je peux vous dire que ce sont les enfants qui permettent à des parents d’origines différentes de se rencontrer, des parents qui partagent la même envie d’épanouissement et de réussite pour leurs enfants. Là encore, le brassage social s’opère moins bien avec l’abrogation de la carte scolaire et une forme de ségrégation sociale dans l’habitat. Si la proportion de jeunes issus de l’immigration s’avère en fait moins forte que dans d’autres pays européens -par exemple 28% en Allemagne contre 18% en France-, notre pays se caractérise par de fortes concentrations géographiques de ces jeunes, 57% en Seine-Saint Denis, plus de 60% dans vingt communes. Ces fortes concentrations d’enfants immigrés engendrent selon le haut conseil à l’intégration un effet ghetto avec de graves conséquences en matière de maitrise de la langue française, d’échec scolaire voire de délinquance. Pour obtenir davantage de mixité sociale dans l’habitat, des outils existent qu’il faut utiliser pleinement. Il s’agit en particulier de la loi SRU qui vise 20% de logements sociaux dans chaque commune. Au vu de l’échec de l’assurance de la garantie des risques locatifs, il faut également créer une assurance loyers impayés universelle obligatoire, qui, alliée à l’aide au logement, permettrait, de diversifier l’habitat des populations immigrées et plus largement des populations modestes. Il faut moins d’aides à la pierre et davantage d’aides à la location pour faciliter la mixité sociale. Si une famille souhaite vivre dans deux pièces à Neuilly plutôt que dans quatre à Gennevilliers, et bien qu’on lui laisse le choix. A l’inverse, il faut davantage d’accession à la propriété dans les opérations de réhabilitations urbaines des quartiers sensibles pour y implanter des populations de la classe moyenne ou supérieure. Et oui, n’hésitons pas à faire venir des bobos dans les quartiers. Pour l’école, il faut probablement revenir à la carte scolaire mais au-delà, il y a en France, un vrai problème de l’apprentissage de la lecture qui touche toutes les catégories de la population et risque d’handicaper irrémédiablement l’intégration des enfants des migrants. Ma fille aînée a suivi sa scolarité primaire au Cameroun dans une école de quartier de Yaoundé. Contrairement à ce que je craignais, elle n’a rencontré aucun problème d’insertion scolaire, bien au contraire. J’observe en France de grands problèmes d’apprentissage de la lecture qui peuvent handicaper toute une vie. 35% des nouvelles générations maîtrisent mal la lecture dans notre pays. Ce n’est pas le lieu pour débattre des méthodes de lecture mais il y a là un enjeu crucial tant pour réussir le processus d’intégration que pour le développement de notre pays.

Abordons maintenant le point le plus difficile et le plus obscur des tensions liées à l’intégration: La reconnaissance et le respect de l’autre
N’avez-vous pas remarqué que la première demande des jeunes issus de l’immigration, y compris du pire des voyous, c’est le respect qui revient comme un leitmotiv? Pourquoi veulent-ils être respectés? Ne le sont-ils pas? Pour comprendre ce besoin de respect, il faut suivre le parcours du migrant. L’immigré est à la base un conquistador. Mais tout ce qu’il ambitionne, c’est de construire sa vie, avoir un travail, une famille, élever ses enfants, vivre dans la dignité, ce qui est souvent problématique dans son pays d’origine. Ne vous y trompez pas, il faut un grand courage moral pour abandonner son pays et sa famille pour poursuivre des études – je l’ai vécu – et il faut à l’immigré illégal un courage physique encore plus important pour traverser la mer sur une embarcation de fortune. Pourtant, lorsqu’il pose le pied sur le sol français, la première chose qu’on apprend à notre modeste mais fier conquistador, c’est qu’il est une victime, qu’il est stigmatisé pour sa couleur, sa religion, son quartier, son statut d’immigré. Au lieu de le reconnaître en tant qu’individu avec son histoire, ses origines, on l’enferme dans ce statut de victime qui nie son identité et qui le dévalorise. Faute de reconnaissance de son identité et de valorisation, il risque de rechercher à exister à travers sa communauté d’origine. Ce tropisme est renforcé par le comportement des responsables politiques qui tous disent république, république, dénoncent le communautarisme mais qui souvent, dans leur pratique d’élu local, privilégient l’approche par les communautés, probablement par pragmatisme électoraliste. En tant que présidente de l’association Clairvoyance au c ur de la diversité, je suis vraiment frappée par ce double langage qui amène les élus à traiter un projet d’équipement ou de manifestation publique essentiellement, par un dialogue avec les associations communautaires. On ne reconnaît pas assez les individus et on va probablement trop loin dans la reconnaissance des communautés! Notre conquistador voulait construire sa vie, on lui apprend que, en tant que victime, il a des droits et qu’il bénéficie d’aides. Le risque est grand là encore qu’il soit pris dans un parcours d’aide déresponsabilisant allant à l’encontre de ses objectifs premiers d’autonomie et d’initiative. Alors que dans le même temps, on l’informe très peu des règles et des codes qui régissent la société française et qu’il doit intégrer pour s’adapter. Sans doute faut-il proposer des stages de formation aux règles, us et coutumes de la société française. Hélas, ce statut victimaire peut s’avérer héréditaire. Il enfonce une partie des enfants de migrants dans une logique d’assistance et de compensation plutôt que dans une logique de construction de leur propre vie. C’est ce que l’on constate à travers l’étude de l’INED Trajectoires et origines pour les fils d’immigrés qui sont moins diplômés que leurs parents et davantage au chômage qu’eux, alors que l’on observe l’inverse pour les filles. C’est ce statut de victime, d’enfant de victime et la négation de l’identité qui en résulte, qui expliquent cette demande frénétique de respect et parfois les comportements extrêmes de révolte et de destruction ou de repli communautaire ou religieux. Il faut rompre avec cette idéologie victimaire. Ne regardons pas les immigrés comme des victimes, mais tout simplement comme des personnes, les plus souvent entreprenantes et dynamiques.
Les migrants ne sont pas des victimes et les Français ne sont pas des bourreaux
Arrêtons le discours misérabiliste sur les banlieues, sur les conditions de vie qui y règneraient. Lorsque je porte un regard camerounais, je suis toujours étonnée que la plus pauvre des villes de banlieue bénéficie d’équipements sportifs et collectifs que bien d’autres nous envieraient, que nous bénéficions d’un enseignement et des soins gratuits, que nous avons accès à l’eau, à l’électricité et à un logement décent. Je ne comprends pas que tout ceci soit vécu comme une malédiction et non pas comme une chance extraordinaire dont nous ne mesurons pas toute la portée. Alors remplaçons le discours victimaire par un discours réaliste sur tout ce que la France offre. Voilà la chance qui vous est offerte, saisissez-là.
En ce qui concerne la construction d’un destin commun
Cela ne s’avère pas une tâche si facile tant la France me semble être un pays qui doute de lui-même. L’identité niée des immigrés se trouve ainsi confrontée à une identité collective vacillante. Nous ne savons plus si nous sommes toujours une grande puissance. Notre projet de démultiplier notre influence dans le monde à travers la construction européenne semble aboutir à une impasse. Ces interrogations existentielles sont d’autant plus fortes que l’Occident, suite à la guerre d’Irak et à la crise financière des surprimes, semble avoir définitivement perdu sa domination sur le monde. Pour la première fois, la production industrielle des pays émergents a dépassé la production industrielle des pays occidentaux en 2009. L’intégration sera d’autant plus facilitée que la France saura se réinventer une destinée, en regardant avec lucidité le monde tel qu’il est, en mettant un terme à son inclination à la repentance et à la culpabilisation, et surtout en reconstruisant son économie.
