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Du coup de foudre au coup de poing, les femmes camerounaises battues gardent le silence

A Douala, la capitale économique, 4 femmes sur 10 sont battues au moins deux fois par mois par leurs conjoints,…

A Douala, la capitale économique, 4 femmes sur 10 sont battues au moins deux fois par mois par leurs conjoints, selon des chiffres officiels

Violentées, blessées dans leur chair et dans leur honneur, les femmes battues de Douala, dans la région du littoral camerounais, refusent pourtant de quitter leurs conjoints, bien souvent de peur d’être rejetés par leur entourage ou de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants.

Christine, a 40 ans, elle en paraît dix de plus. C’est en boitant qu’elle s’avance au puits d’eau commun dans un quartier périphérique de Douala (Littoral). Les autres femmes qui attendent leur tour pour puiser de l’eau l’observent et les murmures qui se veulent imperceptibles ne trompent pas.

Christine, en retrait, tenant fébrilement un bidon de couleur jaune à la main, fuit visiblement leur regard. Une large bande recouvre la face droite de son visage. La partie gauche est couverte d’hématomes tandis que son il gauche est injecté de sang.

«Elle a été battue par son mari avec qui elle vit depuis 19 ans», nous informe une voisine qui se tient à quelques mètres d’elle. «Il boit et il la bat chaque soir. Elle refuse de le dénoncer. Elle dit que si elle s’en va, ses deux enfants âgés de 11 et 15 ans, vont souffrir car sa famille n’a pas assez d’argent pour la soutenir», poursuit la femme, que la situation ne semble guère surprendre.

Agnès T., elle, est étudiante en master, elle est marquée par une longue cicatrice qui va de son épaule gauche à la naissance du cou. C’est une marque laissée par son petit ami, «le père de mon enfant âgé de cinq ans, avec qui je sors depuis sept ans», raconte-t-elle à Anadolu.

La première fois que son compagnon a levé la main sur elle c’est parce qu’elle avait menacé de le quitter car il refusait de lui donner de l’argent pour conduire son fils malade à l’hôpital

«Depuis ce jour, il me bat au moins une fois par mois. Souvent, sans raison, il me gifle. Un jour, il m’a blessée avec une bouteille de bière qu’il a brisé sur mon épaule, d’où ma cicatrice», confie avec pudeur la jeune fille âgée de 26 ans.

Au Cameroun, elles sont des milliers de Christine et Agnès, battus par leurs partenaires.

D’après le dernier rapport de la délégation régionale du ministère de la Promotion de la Femme et de la famille (Minproff) pour le Littoral, entre 2011 et 2013, 3000 femmes ont ainsi été victimes de violences. Toujours selon ce même rapport, quatre femmes sur 10 sont battues au moins deux fois par mois par leurs conjoints à Douala. Mais pourtant, très peu d’entre elles portent plainte.

«La violence physique est présente dans de nombreux couples au Cameroun. La première explication est la précarité. Les femmes se disent que trouver un mari n’est pas facile. Elles se sentent obligés de rester avec celui qu’elles ont trouvé, au prix même de leur vie», explique Yves Obame, un sociologue rencontré par Anadolu.

En Afrique, et plus particulièrement au Cameroun, les jeunes filles, dès leur jeune âge, ont appris à «être femme», et à supporter un certain nombre de choses, parmi lesquelles les violences au sein de leur foyer, poursuit-il.

«Lorsqu’elles sont battues, elles s’en vont plutôt se plaindre auprès de leur famille, associations chrétiennes et autres. Leurs mères et amies leur expliquent qu’elles ne doivent pas mettre en danger leur mariage. Or, selon la législation camerounaise, une action n’est valable en justice que lorsque la personne concernée porte plainte», se désole le sociologue.

Selon la dernière enquête Démographique et de santé et à Indicateurs Multiples de 2011 au Cameroun, 43% des femmes ayant subi des violences conjugales en ont garder des séquelles physiques. 14% des femmes enceintes ou qui l’ont été ont subi des violences pendant la grossesse. Mais, elles ont toute refusé de porter plainte.

Cependant, aucune données concernant le nombre de femmes qui décèdent des suites de violences conjugales n’ont pu être obtenues. Pour amener les victimes à briser le silence, le premier centre d’appel, annexé d’une unité d’hébergement des victimes des violences a été construit à Douala, en collaboration avec les Nations Unies.

Ce centre d’écoute qui fonctionne 24 h/24 et 7 jours sur 7 depuis le 3 décembre 2014, a pour rôle d’écouter et de conseiller les victimes, «dans la confidence et le dialogue»], selon ses responsables. Des membres de la société civile, forces de l’ordre et auxiliaires de justice ont d’ailleurs été formés pour ces rôles.

Les victimes appellent-t-elles ? Fanny Soppo, jeune opératrice, explique que, en ces deux mois d’existence (3 décembre 2014- 14 janvier 2015), 59 cas ont été enregistrés. « Certaines femmes appellent et nous essayons de dialoguer avec elles. Nous leur redonnons confiance. Nous privilégions le dialogue avec le mari»
, dit-elle.

Mireille Solange Kamnoué, a été battue pendant 12 ans par son mari. En mars 2013, elle décide que s’en est assez et fini par divorcer. «Il faut dénoncer pour éviter de traumatiser les enfants. Il faut porter plainte pour punir ces hommes qui n’ont pas le droit de vous frapper», martèle-t-elle.

«Les enfants qui voient ces actes sont traumatisés à vie. Certains garçons, en grandissant, reproduisent ce que leur papa avait l’habitude de faire. Les femmes doivent prendre leur courage en main pour dénoncer cet attitude», conseille pour sa part Yves Obame.


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