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Et si la presse était reconnaissante à la distribution: cas du Cameroun où Messapresse était dans le cyclotron

Par Hamoua Baka Armand, Expert en distribution presse, Ancien du système NMMP-Paris I : UNE LOINTAINE HISTOIRE Hormis la multiplicité…

Par Hamoua Baka Armand, Expert en distribution presse, Ancien du système NMMP-Paris

I : UNE LOINTAINE HISTOIRE
Hormis la multiplicité des titres qui a enrichie les gorges des linéaires et le nombre de points de ventes qui a progressé, Le paysage de la presse écrite a toujours gardé un opérateur historique avec ses mêmes techniques de dispatching.

Dans les années 1950 à 1960, on a quelques ouvrages et titres qui sont mis en vente ou à la disposition des usagers a travers certaines administrations. Ainsi le journal officiel, l’Effort Camerounais, sont les pionniers. Les autres revues sont celles provenant directement d’Europe à travers les voyageurs qui rallient le Cameroun par avion ou par bateau, surtout des revues pornographiques qui aident des hommes solitaires à surmonter leur chasteté et abstinence (Clergé, soldats au front, maquisards, coopérants.) aussi quelques tribunes pamphlétaires à l’endroit du colonisateur et de ses serviteurs.

Entre 1960 et 1970 Le besoin accru de formation et d’information de la jeunesse et des cadres de l’administration camerounaise entraînent la mise en place du secteur de l’édition et de la distribution. L’agence Camerounaise Hachette pour l’importation des manuels scolaires Européens, l’imprimerie Nationale pour l’édition des documents administratifs, le CEPMAE pour le livre local.

L’Agence Camerounaise HACHETTE, l’ancêtre de Messapresse et de Presstalis commence donc la distribution en approvisionnant surtout les librairies en livres et accessoirement la Presse (Nous Deux, Pirogue, le Perroquet, La Gazette et les bandes dessinées (Akim Color, Yataga, Antarès, El Bravo, Tintin, Etc.).

Le Début des années 1980 est marqué par la maturation des formations données aux journalistes formés à l’ESSIJY

avec son tout premier directeur en la personne d’Hervé BOURGES ; les produits qui en sortent sont de bonne facture, mais commencent à se sentir à l’étroit dans ce microcosme constitué par Cameroon tribune, Radio Cameroun, le Ministère de l’Information et la toute nouvelle chaîne de télévision CTV(Cameroon Télévision) de Florent ELY ETOGA. Vers la fin des années 80, l’effondrement du mur de Berlin, la fin de la guerre froide Est-Ouest qui débouche sur la Glasnost, le discours de la Baule de Mitterand dans la Loire-Atlantique, sonnent le début des revendications en Afrique et au Cameroun.

Des journalistes en sous-emploi, des opportunistes (hommes d’affaires, politiciens et étudiants en fin de séjour) soudainement revenus de leur exil Européen s’organisent pour faire plier le pouvoir de Yaoundé. Ils trouvent sur place des ingrédients nécessaires pour mettre le feu aux poudres : Le sureffectif à l’université de Yaoundé ou des étudiants désormais sans bourse contestent au jour le jour au point de susciter la réforme dite de Titus Edzoa qui décide de scinder cette vieille institution universitaire en plusieurs nouvelles universités régionales ; les déflatés du secteur public, des sociétés d’Etat qui résultent des ajustements structurels imposés au pays par les institutions de Bretton-Woods, qui revendiquent leurs droits et primes de reconversion (DSA), les journalistes pourchassés pour leur idées subversives composent ensemble : Les uns créent et gèrent les organes de presse les autres alimentent les colonnes par des dénonciations intempestives à caractères socioéconomique et surtout politiques : La Presse écrite vient de se trouver un filon d’or ; les ventes aussi explosent.

II-LA METAMORPHOSE DE LA DISTRIBUTION :
Aidé par la libéralisation du secteur de la presse et de l’audiovisuel, l’unique distributeur pense à faire un réajustement structurel et tactique. Les transformations s’opèrent très vite. L’Agence Camerounaise Hachette du groupe Lagardère croise avec Sopecam pour faire Messapresse.

La vision cyclopéenne des anciens managers et cadres que sont Mme Anguissa, Messieurs Bagnole, Filippi, est révisée par des faucons plus incisifs : Emsellem et Perez puis Remi Touzeau qui conduira et écrira les plus belles pages de Messapresse avant de s’envoler pour Pointe à pitre(Guadeloupe) puis Abidjan d’où il était venu et sera affecté à Dakar à la veille de la brouille Ouattara-Gbagbo.
Touzeau poursuit l’ uvre de modernisation mis sur pied par Emsellem multipliant les points de vente et favorisant les éditeurs afin qu’ils puissent produire sans tracasseries : La Caution de tirage par lettre de couverture est instituée.

Touzeau est un homme de réseau au Cameroun comme en France. Ce pilote amateur de Bateau et d’avion est très écouté de la toute puissante Direction de la gestion des Filiales de NMPP à Paris dirigée par Jean Michel Pravaz et Marquis sous l’autorité suprême de Etienne Cassignol qui viendra d’ailleurs exceptionnellement à Douala réconforter Touzeau, pris de plein fouet par la récession de 1993, décrétée par son compatriote Michel Roussin alors ministre de la Coopération sous Balladur (La dévaluation du CFA).

Touzeau, pale et taciturne à première vue, est un stratège qui sait ce qu’il faut mettre dans du lait pour obtenir du yoghourt : son personnel d’encadrement est traité avec beaucoup d’égards et il exige en contrepartie une efficacité à la dimension des avantages qu’il obtient de haute lutte de Paris pour ses collaborateurs ; tout le monde lui obéira volontiers, excepté dans certains cas où il perdait la lucidité.

III : LE COUP DE POUCE A LA PRESSE AU RISQUE DE FÂCHER YAOUNDE

Sopecam est une société d’Etat camerounaise ; Hachette l’un des actionnaires des NMPP dont dépendent stratégiquement ses filiales est Français. Les relations entre la France et le Cameroun sont parfois tumultueuses, mais les deux acteurs savent fumer le calumet de la paix. Ce détail est important pour comprendre la suite du développement entre l’administration Camerounaise et MESSAPRESSE.

Depuis le ralliement des groupes de presse et des journalistes indépendants au système de distribution de Messapresse il y a du rififi dans l’air. La parfaite organisation de cette impressionnante machine est telle que le Cameroun entier est inondé d’informations agaçantes pour le pouvoir en place à Yaoundé (en moins de 48 heures): terre, rail et avions rendent efficaces la diffusion des titres : De nouveaux titres affluent, les articles fusent de partout écrits par du tout-venant c.-à-d. des mains expertes et, des mains de scribouillards. La presse officielle Cameroon Tribune, pourtant alliée de Messapresse, en perte croissante de lectorat, ne bénéficie pas toujours de la même attention accordée à la presse dite d’opposition basée à Douala. C’est bientôt la guerre des tranchées. Les ponts d’Ebebda au Centre et de la Dibamba dans le Littoral sont les symboles de ligne de rupture entre les opposants au système de Yaoundé et les loyalistes. Le pouvoir central renforce la censure préalable. Les pages entières des journaux sont décorées de rayures et hachures qui portent la marque d’un homme : Pascal Mbozo’o, le Chef de cabinet du gouverneur Koungou Edima Ferdinand, gouverneur du Littoral à Douala. Pour échapper à la suspension des titres qui est décidée à Yaoundé par le Directeur des Associations et Partis politiques du Minat, Eric Essousse, certains directeurs de publications font la navette entre plusieurs titres qu’ils créent à la « va comme Dieu me pousse » : Les plus coriaces sont Séverin Tchounkeu avec la Nouvelle Expression qui, une fois suspendue, devient Expression Nouvelle ; Pius Njawe avec Le Messager qui devient La Messagère; Patrice Ndedi Penda avec Galaxie qui devient ironiquement l’Ami du peuple, Michel Michaut Moussala avec l’Aurore qui vire à 90° vers Aurore Plus, Etc . Les autres à l’instar du Combattant de Benyimbe Joseph,
L’Opinion
du tandem Kameni Lucien-Dikoume Mbonjo, La Vision de Edouard Kingue, Soleil d’Afrique de Fankam, La Détente de Samuel Eleme, Le Journal de Douala de Zang Desjoies, International News Hebdo de Fotso Ayata, Dikalo du binôme Noubissie Ngankam-Thomas Patrick Eyoum à Ntoh préféraient parfois paraître avec la décoration du censeur ou de le défier en passant outre son cabinet.

Messapresse à un moment ou à un autre était taxée tantôt de partisane au régime de Yaoundé, lorsque le vent anti-français prônant le boycott soufflait, à cause de sa proximité avec Sopecam; ou alors de complice des opposants par les pouvoirs publics parce que véhiculant des titres aux articles irrévérencieux et incendiaires à son endroit.

Cette entreprise était donc une situation de bigarrure très inconfortable. En effet, Messapresse qui préfinançait les frais d’impression de la presse locale de Douala dans la toute nouvelle imprimerie Rotoprint du très hargneux Benjamin Zebaze, devait s’assurer du remboursement desdits frais en distribuant obligatoirement les titres mêmes censurés.

Devant l’hésitation de Messapresse à distribuer un titre censuré, le directeur de publication menaçait de porter plainte ou même de se distribuer lui-même en violation de la clause d’exclusivité du contrat de distribution, chose qui apparaissait comme blasphématoire aux yeux du distributeur.

Sur l’entêtement de Messapresse à respecter ses clauses contractuelles avec ses irréductibles clients, le chef de la Province d’alors, ordonna qu’un poste de police permanent soit installé à Rotoprint, dans le quartier de Bonabéri, de l’autre côté du Fleuve Wouri. Des patrouilles mixtes sillonnaient la ville à la recherche des titres suspendus continuant de paraître clandestinement ou s’étant soustrait aux hachures du censeur. Dès lors le travail était devenu insupportable. Tout le secteur de la Presse écrite et le sous-secteur distribution vit « au petit bonheur la chance ». Par un après-midi du mois d’août 1992, une escouade de la police militaire pris position autour de la direction générale de Messapresse sise dans les entrepôts de Socopao dans la zone portuaire, derrière le Meridien Hôtel. Prétextant de retirer les exemplaires d’un ouvrage outrageux du Général d’armée Asso Emane Benoit à l’endroit de ses chefs, les militaires foncèrent vers le bureau de Touzeau qui à son tour ne demanda pas plus d’une fois au commercial Nga Lucas de leur ouvrir le magasin réassort. Après une inspection complète du siège restée infructueuse ils durent se retirer, vraiment dégonflés comme des ballons de baudruche.

Un vent de panique s’empara de tout l’Etat-major de Touzeau qui recommanda d’arrêter toute distribution des titres enfreignant au dépôt de la morasse chez Mbozo’o et par la suite Naseri Paul Bea, son remplaçant au poste. L’imprimerie de Benjamin Zebaze est au bord de la faillite, les éditeurs aussi. Messapresse ne peut s’en sortir qu’à cause de la rentrée de septembre au cours de laquelle les recettes de sa seconde activité de grossiste de librairie lui permettent de bonder ses comptes en banques. Benjamin Zebaze en profite pour monter une unité de distribution avec son staff : Njoume, Abi Donfack, Désiré Makondo et Nadine Zebaze, son épouse faite Directrice. Il comprendra très vite à ses dépens que la distribution c’est la mutualisation. En dehors du Quotidien et de Challenge Hebdo, ses deux publications, aucun éditeur ne lui confiera la distribution de son titre. Badaboum. ! L’aventure tourna casaque.

Entre temps, les éditeurs frondeurs de Douala viennent se faire imprimer à Yaoundé chez Sopecam qui croit par là gagner quelques sommes d’argent pour suppléer à la mévente de Cameroon Tribune qui tire désormais à moins de 5000 Exemplaires par jour et a même supprimé l’édition anglaise et le magazine du vendredi, Week-end Tribune. C’était sans compter avec l’étreinte asphyxiante de l’Etat qui ordonna à la direction générale de Sopecam de ne plus imprimer les journaux d’opposants y compris ceux du Gabon dont Misamu et Le Bucheron du père Mba Abessole. Le Père Omar Bongo de Libreville vivait la même situation socio-politique que son homologue au Cameroun.

Voici donc certains Journaux camerounais qui vont désormais se faire imprimer au Nigéria voisin à défaut de tirer dans de petites imprimeries de fortune en offset et monochrome (noir et blanc) : Cameroon Post de Paddy Mbawa, Weekly Post de Chief Etahoben, Le Messager et bien d’autres. Les conséquences sont multiples : parution désormais irrégulière et au petit bonheur, tracasserie avec les services de douane nigériane et camerounaise, papier mouillé par les vagues scélérates en haute mer, non maîtrise des quantités produites, livraison en saccades, etc.

Cette façon de faire en dehors de la bravoure et de la ténacité de la presse indépendante de montrer à l’autorité administrative qu’elle peut paraître coûte que coûte et vaille que vaille n’est pas prolifique. Dans cette posture que fallait-il faire?
Après plusieurs concertations entre Editeurs et le Distributeur, il apparaît que Messapresse est solidaire du feu nucléaire qui s’abat sur ses clients ; une vieille maxime dit que : « c’est dans le malheur qu’on connait ses vrais amis ». Messapresse, l’ami des éditeurs, décide de passer une fois de plus à l’action.

Un comité de crise est mis sur pied à Messapresse pour éviter le naufrage de la presse locale pourtant très rentable, il y a très peu de temps. Les éditeurs reprennent le tirage chez Rotoprint et tirent désormais exclusivement de nuit. Fidèle à ses habitudes, Benjamin Zebaze imprime d’abord en priorité ses titres, ce qui fait grincer les dents de ses pairs ; à certains moments, on l’accuse de lire les informations en scoop dans la morasse de ses confrères parvenue à son imprimerie avant de faire son bouclage nuitamment. Il reviendra d’après leurs dires, déclasser l’ordre d’impression pour passer en force et paraître en premier avant tout le monde. Fatigué de cette pratique déloyale Séverin Tchounkeu, l’un des meilleurs de l’heure, se battra pour acheter sa propre rotative, Boniface Forbin du Journal Anglophone The Herald lui emboîtera plus tard le pas à Yaoundé, suite aux frasques quelques peu similaires de Sopecam.

Pour échapper au contrôle à l’entrée de l’imprimerie, Un trou est fait dans le mur arrière de Rotoprint par où passent en toute clandestinité les paquets de journaux, en pile de 500 exemplaires. La fourgonnette Toyota-Hiace est presque pleine par une nuit de travail avec le journal Dikalo, lorsque soudain, des coups de feu de semonce nous stoppent nets. Deux thèses sont possibles : Soit nous avons été trahis ou alors l’intuition des flics qui écoutent la rotative vrombir sans jamais voir les journaux franchir le poste de contrôle les a poussés à explorer les contours de la manufacture.

Encerclés, notre très courageux chauffeur Nelle reçoit ordre de conduire le véhicule au Camp du Groupement Mobile d’Intervention (GMI) ; sous très forte escorte nous arrivons dans la cour du GMI où un comité d’accueil nous attend. Le statut de multinationale française de Messapresse dissuade les policiers en treillis et survoltés par de longues heures d’exercices anti-émeutes de nous passer à tabac ; Touzeau est au courant depuis sa résidence du marché des fleurs à Bonapriso, en cette nuit pluvieuse. Nous y sommes retenus jusqu’au petit matin. Auparavant le Commandant du GMI, le Commissaire Etabi Léon nous fera des remontrances et nous distillera dans un ton magistral des rappels de cours de droit pénal spécial. Sur instructions du bouillonnant divisionnaire Peh Peh Ebenezer étant chef de service provincial de la Sûreté nationale du Littoral, notre véhicule nous est restitué sans la cargaison, ce qui ne sera pas du goût de Emmanuel Noumbissi Ngankam remonté contre tous, car se justifiant d’une ligne éditoriale centriste ou plutôt modérée. L’intervieweur de Grégoire Owona dans RDPC : Un bateau dans la tourmente distribué par Messapresse (lui-même G.OWONA, ancien Directeur de publication de l’hebdomadaire Peuple d’Afrique) n’aime pas du tout qu’on lui marche sur les plates bandes depuis ses bisbilles avec Pius Njawe ; il est très exigeant et s’efforce de faire paraître la version dupliquée du Messager (Dikalo c’est le Messager en Duala) avec ou sans l’aide de Messapresse, mais toujours insatisfait des résultats de ventes que lui ramène son collaborateur Ndoki. Noumbissie veut dans un temps court supplanter les chiffres de ventes du Messager pour prouver à son ancien patron qu’il était vraiment talentueux (il l’est en fait puisqu’aujourd’hui est un valeureux fonctionnaire de la Banque Mondiale).
Deux jours après, c’est un nouveau coup de filet : les bidasses justifient vraiment leur solde lorsqu’ils pourchassent çà et là les vendeurs-colporteurs qui polluent les villes du Cameroun avec tantôt l’affaire Robert Messi Messi (Jeune Afrique Economie N°155 année 1992 de Blaise Pascal TALLA), interdit de vente au Cameroun et abondamment relayé par la presse locale ou alors celle de Ebale Angounou, le jeune ami du président de la République dont le Messager seul avait les sources.


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Un autre jour de malchance, sur le pont du Wouri une patrouille mixte saisit notre chauffeur Njieli Michel. Son âge avancé lui garantit un traitement de faveur. Sa cargaison est juste retenue et son véhicule restitué. Un autre véhicule banalisé transportant la presse venant du Sud-ouest est « arraisonné ». Les occupants tentent de se jeter dans le Wouri pour échapper à la rage méphistophélique des hommes en tenue ; peine perdue, ils sont maîtrisés et les éclats de voix déchirent la nuit profonde à réveiller « mami-water » la sirène du fleuve Wouri. Le lendemain au petit matin c’est la razzia de tous les titres sans distinction dans les kiosques ; la marée-chaussée fait parler d’elle à nouveau. Les bureaux de Messapresse sont pris d’assaut par les kiosquiers venu exprimer leur ras-le-bol. Pius Njawe avec son organisation Ocalip (Organisation camerounaise pour la liberté de la presse) programme et marche dans le Douala administratif avec l’ensemble des kiosquiers et certains confrères éditeurs désemparés. Au niveau de la comptabilité à Messapresse, le travail nous inonde pour passer en crédits spéciaux par ajouts de lignes des quantités saisies par les forces de l’ordre aux mains des crieurs. A certains moments, les éléments des forces de l’ordre commencent à marchander de vulgaires attestations de saisie en échange de pots de vin. Ce commerce d’un genre nouveau qui enrichit gendarmes, policiers et petits crieurs dessine la descente aux enfers des éditeurs dont les comptes par moments passent débiteurs.

Rien ne va vraiment plus ; au sourire jovial des cadres chaque matin à l’endroit du personnel de la distribution, succèdent un regard de torpeur. Par interphone et téléphone nous nous passons des petits commentaires: Flaubert Tefoung, Fabien Noumbouwo, Ngobo Charlotte, Sindjui Etienne, Jean Paul Kamga, Bassom Marie Claire, Jean Oscar Omam et moi-même. Nous buvions beaucoup de café ou de thé au point où en cette période critique, nous n’avions plus du tout envie d’en commander chez Solange la fille du ménage. Touzeau vint à mon bureau pour me donner un fax venant de Londres ; il me lança une boutade lorsqu’il me vit siroter une amère tasse de café sans sucre : « Armand tu bois encore du café ? .Attends je vais te commander des croissants ! » Il se perdit dans le long couloir climatisé, pendant que je pouffais de rire en m’arrosant de ce café que je buvais en pensant à ma reconversion qui ferait suite à une éventuelle fermeture de la boite.

Mes craintes se confirmeront bientôt, l’agence de Garoua fermera, celle de Yaoundé mise en hibernation, le siège de Douala passera sur le grill de la restructuration, nous laissant pantois, même si nombreux d’entre-nous étions passés entre les fourches caudines du toilettage décidé par Paris.

Il faut se rappeler que tout le temps où nous étions persécutés, Touzeau saisissait ipso facto le consul général de Douala: Monsieur Raymond Petit, qui, à son tour, avait interpellé le Chef de Mission Diplomatique, l’ambassadeur Yvon Omnes, puis le Quai-d’Orsay. C’était pour une double précaution : sa sécurité personnelle et la protection des intérêts de la France. Touzeau disparut un matin de Douala, en cravate et une chemisette courte manche, comme il en portait rarement ; J’apprendrai quelques jours après de la voix vive du secrétaire général de la Présidence, Joseph Owona, qu’il m’avait précédé dans son bureau d’Etoudi et était même assis dans le fauteuil que j’occupais ; lui venait pour régler les problèmes incandescents de la presse, tandis que, préparant un voyage privé à Fort Worth-Dallas(USA), je venais sur les conseils de Rémy Ze Meka alors secrétaire général du Premier ministre Achidi Achu, me faire aiguillonner auprès de mon ancien Chancelier d’université.

Un mois après, Timothy Baldwin, le président de la FIEJ (Fédération internationale des éditeurs de journaux) et Robert Menard, le président de Reporters sans frontières, vinrent s’enquérir du musellement de la presse au Cameroun. Toujours est-il que, après toute ces interventions, une forme d’accalmie se précisa jusqu’à l’entrée en vigueur des textes d’application de la nouvelle loi sur la communication introduisant la censure à postériori.

A un moment donné, le traitement des informations dans la presse n’était plus du goût des lecteurs ; cette baisse d’attractivité venait du fait que la classe politique de Yaoundé avait décidé de fermer toutes les vannes par où s’échappaient les secrets d’Etat. Une purge sans merci digne des dragonnades sera lancée contre les cadres de grandes entreprises et grand commis d’Etat jugés proche de l’opposition. Ceux qui payeront en premier les frais furent à titre d’exemples, Célestin Monga, qui, cadre financier à la BICIC, se vit contraint de s’exiler vers les Etats-Unis après son refus de rejoindre son nouveau poste de directeur d’agence de Kumba qui était en fait une affectation disciplinaire voilée.

A Yaoundé, Vianney Ombe Dzana, suspecté d’être correspondant de la presse d’opposition, sera remercié sans façon de la Société nationale d’investissement (SNI), le poussant à se reconvertir comme directeur de publication de l’hebdomadaire Generation. A la CTV/CRTV, la chaîne de télévision nationale, des journalistes chevronnés comme André Parfait Bell, Ntemfack Ofegue durent renoncer à leur service parce que harcelés par une hiérarchie qui les trouvait trop indépendants et s’éloignant de la ligne éditoriale de cette entreprise d’Etat.

La presse privé radicale et militante pour un changement de pouvoir, sevrée de scoops, va tellement mal en point où les lecteurs préfèrent feuilleter, lire, avant de se décider d’acheter ou pas : c’est la naissance, l’origine du phénomène de la location des journaux. Dans cette nouvelle configuration, la vente au numéro bien qu’étant en régression profite mieux aux petits vendeurs ambulants qui se frottent les mains. En fait, la technique de location est simple : Le vendeur-colporteur connait les bureaux de plusieurs cadres. Le matin vers 8h après la répartition chez le kiosquier, il fait des dépôts des titres souhaités par son lectorat moyennant un taux forfaitaire de 100 Fcfa par titre. Il peut placer 3 titres différents correspondant au prix facial d’un hebdo à l’époque soit 300 Fcfa. Le calcul du locataire est simple : il lit, photocopie 3 titres pour le prix d’un ; Vers 15 h de l’après-midi « le bailleur d’informations », passe au ramassage.

Dans un espace où on peut recenser 20 employés intéressés par cet allègement du budget dédié à la lecture, le petit vendeur se retrouve avec au bas mot avec 6000 Fcfa par jour, chose très au dessus de ce que pourrait lui payer le kiosquier au terme d’une journée de dur labeur (10% de 300Fcfa=30Fcfa par journal vendu) . Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut l’étendre à l’ensemble de tous les titres presse locale et presse internationale comprise et faire une multiplication à la totalité des vendeurs du réseau. C’est une catastrophe, le taux moyen d’invendus oscille autour de 70% !
Estimation de la perte enregistrée par Messapresse-Cameroun suite au phénomène de la « location des journaux ».


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Nota Béné :
* Le chiffre d’affaires de MESSAPRESSE ici présenté est une estimation de l’auteur avec un indice de confiance à 0.95. Donc proche de la réalité telle que vécue à la direction financière.
* La presse s’entend ici par : la presse importée+Presse Locale.
Le taux de perte estimé résulte du rapport 3.000.000.000/630.000.000 contenu dans le tableau 2.

Commentaires : Sur une période de 5 ans, Messapresse a perdu l’équivalent d’une année de chiffres d’Affaires liée au nouveau phénomène de « Location de journaux » soit: 3,738 Milliards de Fcfa.

Une enquête est menée, sur la rage des éditeurs à voir leurs résultats de ventes qui montrent de piètres chiffres. Certains kiosquiers confirment aux commerciaux de Messapresse l’existence de deux types de trafics pernicieux : La mise en vente des passes et la location des journaux. Les représailles vont commencer:

Dans le premier cas, on a vite compris que les machinistes et certains préposés des éditeurs étaient les responsables de l’animation d’un réseau parallèle qui mettait les titres en vente avant même que Messapresse n’ait traité la distribution. Un contrôle dans les imprimeries de Douala et de Yaoundé consistait à débarquer dans les laboratoires de l’imprimerie au moment de l’insolation des plaques, afin d’éviter qu’elles soient faites en double ; puis Messapresse assistait au tirage du début à la fin, chose qui permettait à l’équipe de veille à récupérer toutes les passes, de les détruire en même temps que les plaques préalablement extirpées des cylindres de la rotative.
Dans le second cas, c’est les kiosquiers qui eux-mêmes font le ménage ; ils ont décidé de bouter hors du réseau vendeurs-colporteurs véreux et de les remplacer par des agents supposés saints. Peine perdue. Le système était déjà soviétoïde ; comme dans un schéma de reproduction de la classe sociale, les anciens avaient déjà transmis aux nouvelles recrues les techniques de la spoliation, ainsi de suite. Un vrai cancer à métastases. Alors que fallait-il faire ? Nous nous sommes penchés sur le cas et voici la thérapie de choc à administrer qui fut retenue!

1- Action sur les quantités : Comme pour réguler dans une maison où les rats prolifèrent, en vidant les poubelles, Touzeau ordonne la réduction des services de moitié pour tous les gros crieurs ; ceci doit permettre de créer une pénurie artificielle, de mettre à mal les petits vendeurs qui n’auront plus un grand stock à mettre en location. Les grincements de dents se font entendre ; certains vendeurs quittent d’eux-mêmes leur ancien patron et migrent ailleurs pour trouver fortune. Entre-temps, nous contrôlons et réglons les services clients à la limite de la moyenne des ventes réalisées sur une période. Le corollaire étant une recommandation aux éditeurs de baisser le tirage. Certains l’acceptent volontiers, d’autres rechignent en arguant un accroissement des coûts d’impression moins que proportionnel lorsqu’on tire bas. La réalité c’est la crainte de perdre des annonceurs qui regardent plus les tirages et parfois les ventes dont on ne communique pas trop les chiffres classés confidentiels. Les éditeurs adorent les grands chiffres qu’ils fabriquent eux-mêmes, lorsqu’il le faut ; c’est la technique dite de : Window dressing.

2- Action sur la présentation : Le magazine Jeune Afrique Economie est dans le top 10 des meilleures ventes dans les années 1990. Il sort de Paris avec pour chaque exemplaire un film de protection. Pour l’acheter, ce n’est qu’en lisant la « une » et la « quatrième » de couverture qu’on se décide. Ses exemplaires qui retournent en invendus sont dans un état parfait tel qu’on pourrait le remettre à nouveau en vente. En y réfléchissant, nous pensions qu’en dehors de la garantie de propreté qu’offrait le film plastique, ses bonnes ventes pouvaient résulter d’une impossibilité à feuilleter les pages du magazine, incitant de ce fait directement le potentiel lecteur, à la décision d’achat. Vite, nous avions pensé de faire de même ! : Sceller les exemplaires des tabloïds locaux. Mais alors, comment le faire en l’absence de la technologie appropriée qui aurait même induit une augmentation des coûts de distribution. La solution retenue fut l’agrafage des pages à l’imprimerie même, aux frais et à la responsabilité de l’éditeur. Les grands tirages de l’heure adoptèrent tous avec faveur de cette initiative de Messapresse tandis que les tirages marginaux restaient indifférents. Quelques semaines après la mise en exécution de l’agrafage des journaux, Les ventes remontèrent quelque peu ; irrités de perdre la guerre sur un terrain qu’ils avaient déjà conquis, les vendeurs-colporteurs à l’image du jeu du gendarme et du voleur qui s’épient en satellitisme bilatéral, trouvèrent une autre alternative qui se révèlera être un ersatz : Ils achètent de leur propres poches des exemplaires et les placent en pension chez les « lecteurs-locataires » ; au moins cette fois ci, ils investiront avant de gagner, mais plus dans les mêmes proportions qu’auparavant. Certains kiosquiers qui demandaient le relèvement de leur assiette de distribution devaient montrer pattes blanches en produisant un faible taux d’invendus au risque de se faire accuser d’être de mèche avec leurs vendeurs-colporteurs. La reprise de la vente au numéro remontera significativement mais plus comme avant.

Ce côté de Messapresse inconnu de certaines générations pour la promotion d’une presse viable et libre mérite d’être révélée au public; le fait de se faire frapper sur les doigts à gauche et à droite montre bien la dimension ingrate et ambiguë de la profession du distributeur qui n’est aimé que parce qu’il aura rendu service à la victime (les éditeurs) et au bourreau (le pouvoir). La distribution plus qu’hier avec la censure, a désormais un gros problème au Cameroun se résumant en un mauvais maillage du réseau et la baisse des ventes au numéro subséquente au transfert d’une partie du lectorat vers Internet. Une autre plus belle aventure est possible en dépit de tous les préjugés défavorables, à condition que des restructurations bien ciblées et en harmonie avec une pensée bien évoluée des éditeurs et des pouvoirs publics soit mise à contribution. Nous pensons ainsi à l’amélioration des conditions des vente des kiosquiers et des vendeurs-colporteurs par un relèvement des commissions, d’une réorganisation plus profonde du secteur de la presse qui doit passer par une loi à l’Assemblée nationale concernant une nouvelle structuration(autorité de régulation de la Presse, une commission de réseau), maillage ou capillarité tirée par les mairies et les communautés urbaines, un syndicat des diffuseurs fort, et une aide publique substantielle à la presse écrite et en ligne qui est le complémentaire de la première.

De Touzeau, nous lui souhaitons une paisible retraite peut être dans son Toulon natal. Salut l’artiste !


Hamoua Baka Armand)/n

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