Par Serge-Aimé Bikoi
Esquisse de décryptage sociologique du paradigme de la reproduction du système Iya Mohammed
Lorsque Iya Mohammed, ancien Président de la Fédération camerounaise de football(Fecafoot), a été éjecté, il y a 16 mois, de l’arène de Tsinga, la mission fondamentale confiée à Joseph Owona consistait à assainir l’instance faîtière du football camerounais tant il y régnait des scories, des tares, des avatars, des forces d’inertie et des dysfonctionnements managériaux. En effet, la création du Comité de normalisation, constitué, pour la majorité, d’une fourchette d’universitaires pas des moindres dans le champ scientifique, avait tenu en haleine le public et charrié beaucoup d’espoir. Excédée, à cette période, par des pratiques de mal gouvernance de la Fecafoot, l’opinion publique nationale, en majorité acquise à la cause de ce neo changement dans l’enseigne de la Fecafoot, avait cru à l’impulsion d’une nouvelle dynamique de groupe. Histoire de contribuer, contre vents et marées, à l’expiation des bourdes et des péchés du micro système maffieux construit, depuis des années, par Iya Mohammed. Il était, pour ainsi dire, question de quitter la sphère de l’a-normalisation pour aboutir au giron de la normalisation. Scientifiquement, et pour reprendre le binôme expressif du Sociologue Emile Durkheim dans «Les règles de la méthode sociologique», il était question, pour le Comité de normalisation, installé le 22 juillet 2013, de s’affranchir du «pathologique» pour atteindre, pendant huit mois, le stade du «normal». D’où l’entrée dans l’arène footballistique de l’équipe nationale de la normalisation, dont l’universitaire Joseph Owona est le goal keeper.
Le 22 juillet 2013, l’Agrégé de Droit constitutionnel avait, au cours de la cérémonie d’installation des membres du Comité de normalisation, prononcé un discours iconoclaste, signe de l’annonce de la rupture avec le système iyaÏste. Joseph Owona dit alors: »La Fecafoot vaudou, c’est fini! ». Observateur averti et indépendant, analyste sémiotique, sociologique et épistémique des discours des défenseurs, des laudateurs et des pourfendeurs du régime en place, je n’étais guère ébahi par le ton virulent et péremptoire du pater familia de Mathias-Eric Owona Nguini. D’ailleurs, il y a quelques années, dans la salle de conférences de l’Institut supérieur de management public(Ismp), Joseph Owona avait, lors d’un échange public sur un thème donné, clamé, haut et fort, qu’un bon Ministre des Sports ne peut pas faire corps et fonctionner allègrement avec les dirigeants de la Fecafoot. En substance, l’ancien Ministre des Sports de la République soutenait, mordicus, qu’un bon Ministre des Sports ne peut pas coopérer et évoluer harmonieusement avec avec les gestionnaires de l’instance faîtière du football camerounais. Vincent Onana, qui tint les rênes de la Fecafot en 1996, après avoir battu, à plat de couture, Joseph-Antoine Bell, fit les frais de son autorité de tutelle, aujourd’hui, Président du Comité de normalisation. Suite au constat d’une affaire scabreuse, maffieuse et sordide dans laquelle était impliqué l’ancien Président de la Fecafoot, Joseph Owona fit emprisonner, si je ne m’abuse, Vincent Onana à la prison centrale de Kodengui non sans avoir diligenté une procédure judiciaire contre cet ancien gestionnaire indélicat.
Eu égard à ce passé historiciste et actionnaliste d’un Joseph Owona très critique et fort austère à l’égard des pratiques de corruption, de concussion, de collusion, de prévarication et de patrimonialisation de la Fecafoot, eu égard au discours marqué du sceau de la «violence symbolique» (au sens bourdieusien) vis-à-vis de la Fecafoot vaudou prononcé il y a 16 mois, comment comprendre, de nos jours, le revirement, la volte-face et, par corollaire, la métamorphose de l’ancien pourfendeur des gestionnaires indélicats de l’instance faîtière du football camerounais? Comment comprendre, dans la même veine, que le Juriste de haute facture soit, aujourd’hui, le défenseur invétéré et patenté de l’héritier d’Iya Mohammed, héritier ayant occupé un poste stratégique et névralgique dans l’ancien système mal gouvernant, chancelant, brinquebalant et décadent? Comment comprendre que l’universitaire fort aimé de ses étudiants et de ses collègues soit, à l’heure actuelle, devenu l’avocat le plus irréductible de Tombi à Roko au point de le valoriser, de l’encenser et de le sublimer? Pourtant, cet ancien Secrétaire général de la Fecafoot est comptable des dysfonctionnements enracinés dans l’enseigne de Tsinga depuis des années. Comment comprendre le paradoxe entre le discours initial acerbe du natif du « pays organisateur » et le ton , par essence, dithyrambique du Président du Comité de normalisation exprimé, ces derniers mois, à l’égard du probable seul candidat à la Présidence de la Fecafoot?
Evocation des réponses à ce questionnement théorique, pratique, voire praxéologique.
Même si les Sociologues fondateurs de la théorie organiciste soutiennent que l’Homme est une monade ou, du moins,que l’Homme est divers et ondoyant, concluant à la thèse suivant laquelle le fait social n’est pas statique, mais il est plutôt dynamique, il est possible, à la lumière de certaines déclarations, de faire une double approche compréhensive et critique du comportement dualiste et dichotomique de Joseph Owona. En effet, au cours d’un échange entre un cadre de la Primature et le Président du Comité de normalisation, il y a plusieurs mois, échange relayé par l’hebdomadaire «Repères» du 3 septembre 2014, numéro 388, p.3, l’on a, contre toute attente, constaté que l’héritier du clan Iya lui a été imposé. Voici, d’ailleurs, un extrait de cette conversation: « Pourquoi vous êtes-vous associé à Tombi à Roko? », demande un responsable du premier ministère à Joseph Owona. Réponse de l’ancien Secrétaire général de la Présidence de la République à ce cadre: « On me l’a imposé ».
M.le Président du Comité de normalisation de la Fecafoot, qui vous a donc imposé Tombi à Roko, aujourd’hui seul probable candidat à la Présidence de la Fecafoot en attendant la validation d’un autre dossier de candidature à la faveur du moratoire accordé aux autres candidats déchus, pour ainsi dire, au premier tour? Bien que le Juriste garde mutisme face à cette question, les investigations faites ici et ailleurs dans le kaléidoscope socio-sportif me permettent de constater et de surfer sur la piste d’un signe avant-coureur, mais annonciateur.
Envoyé à Zurich pour dénouer la crise brûlante à la Fecafoot et pour mettre un terme à toutes les tensions et dissensions régnantes, voire prégnantes suite à l’interpellation d’Iya Mohammed, René Emmanuel Sadi, émissaire du Chef de l’Etat, s’entend dire, par le Président de la Fifa, des propos sans équivoque qu’il mentionnera dans son rapport à Paul Biya: « Proposez qui vous voulez, mais il faut maintenir Tombi à Roko! ». Le Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd) sera même, d’après certaines conjectures suivies au sein de l’entourage du sérail, soupçonné de soutenir son «frater du Mbam», en imputant à Joseph Sepp Blatter des paroles favorables au seul probable candidat du match électif du 29 novembre 2014. Mais après recoupement des faits, l’on s’est rendu compte qu’il ne s’agissait guère d’une «solidarité mécanique» au sens durkheimien entre deux ressortissants du Mbam. Ainsi a-t-on compris manifestement que Tombi à Roko est le choix de la tête de proue de la Fifa.
Par ailleurs, l’intention avouée de Joseph Owona d’assurer une trajectoire d’ascension et de réussite au fils héritier d’Iya Mohammed se fait plus ressentir dans le procédé de la constitution du corps électoral dans la perspective de cette imminente assemblée générale élective. Le dessein finalement réalisé a consisté à construire une majorité des 92 délégués à l’Assemblée générale, qui ont été choisis ces dernières semaines. Sur les 92 délégués, 50 sont issus des 10 régions camerounaises. Il suffit qu’un candidat s’adjuge ces voix pour assurer sa victoire. C’est pourquoi la procédure d’élimination des forces contraires au camp de Tombi a été savamment opérationnalisée, l’enjeu étant, in fine, d’écarter les Présidents de clubs amateurs soupçonnés, selon la doxa, de ne pas jouer le jeu de l’ancien système brumeux, oiseux, insidieux et maffieux.
Vers le scenario de la reproduction du système Iya Mohammed!
Vu la mascarade constatée lors des élections dans les ligues départementales, vu le choix partisan de Tombi à Roko par Joseph Owona, vu la soumission du Président du Comité de normalisation au desideratum du Président de la Fifa, vu l’accréditation du fils héritier d’Iya Mohammed par le Président de la Confédération africaine de football(Caf), vu la validation de ce candidat unique pour l’instant, prêt à livrer un match sans adversaire, vu la souscription de la haute autorité de l’Etat au choix imposé par la Fifa, l’on tend, sans conteste, vers la construction d’un téléfilm de la reproduction et de la pérennisation du système maffieux d’Iya Mohammed. Le «pater familia» de la Fecafoot étant écroué, le fils héritier de cette structure, acté et positionné comme substitut de son géniteur, est l’expression vivante de la rémanence d’un clan ou, du moins, de la survivance d’un système forgé depuis des lustres. A quoi a donc servi, au demeurant, la création du Comité de normalisation s’il s’agissait, purement et simplement, de perpétuer le paradigme de l’éternel recommencement?
A quoi ont donc servi les quatre Agrégés de Droit et les autres membres du Comité de normalisation qui n’ont fait que valider l’imposture, la forfaiture et la souillure à la Fecafoot? A quoi a donc servi le Comité de normalisation qui, au final et en substance, n’est devenu que le Comité d’a-normalisation? C’est donc la théorie de l’envers de la médaille qui est, manifestement, offerte aujourd’hui au peuple de fanatiques désabusé et ulcéré par les stratégies sempiternelles d’ancrage de la mafia dans la sépulture du sport-roi qu’est la Fecafoot. Indéniablement, les pratiques rétrogrades de mal gouvernance, de concussion, de corruption, de collusion, de prévarication, de privatisation des ressources pécuniaires colossales, de népotisme, de clientélisme et de sectarisme érigées en normes établies dans la macro structure étatique sont les mêmes scories et les mêmes aspérités qui se reproduisent, de façon quasi éternelle, dans la micro structure qu’est la Fecafoot.
En conséquence, la mauvaise gestion de l’Etat camerounais est, par simple métaphore, assimilable, entre autres, à la mal gouvernance de la Fecafoot dans le sport, à la mal gouvernance des sociétés de droit d’auteur dans la culture. Le système étatique inspire, impertubablement et irréfutablement, la Fecafoot dans le sport et la Socam, la Cmc, la Sociladra et la Scaap dans les modes de gestion réfractaires au développement du sport et de la culture. Sans juger, a priori, le prochain maçon au pied du mur, il n’y aura rien d’extraordinaire dans la bâtisse souillée et éhontée de Tsinga.
Triste sort pour le football camerounais érigé au panthéon de la gloire par Roger Milla, Joseph-Antoine Bell, Théophile Abega, Ndoumbè Léa, Jean-Pierre Tokoto, etc!Triste sort pour le sport-roi camerounais aujourd’hui englouti dans les abysses de la médiocrité et des incongruités managériales!
Vivement que l’ «opium du peuple» soit, de toute urgence, sauvé!