PersonnalitésDiaspora , Personnalités



EN CE MOMENT


A la découverte du dessinateur Fred Ébami

À quarante ans, le dessinateur franco-camerounais trace sa route dans le pop art, inspiré qu'il est par plusieurs grands maîtres…

À quarante ans, le dessinateur franco-camerounais trace sa route dans le pop art, inspiré qu’il est par plusieurs grands maîtres

C’est avec des couleurs tape-à-l’ il que l’on peut apprécier un tableau avec un Nelson Mandela en super-héros ou encore un Kanye West dessiné sous les traits de Mobutu, en raison de son goût prononcé pour sa personne. Voilà ce que donne à voir l’oeuvre picturale de Frédéric Ébami.

Une inspiration multiple
«Les artistes qui m’inspirent sont Olivier Toscani avec ses pubs Benetton, Andy Wahrol, Roy Lichtenstein, Jean-Michel Basquiat, les comics dans lesquels j’ai baigné et aussi le monde dans lequel je vis», dit Fred Ébami, passionné de pop art, mot issu de la contraction de popular art – art populaire en français – mais aussi d’un courant né en Grande-Bretagne vers 1950 qui s’est répandu, notamment aux États-Unis, une décennie plus tard. «C’est un mouvement populaire qui s’inspire de la société du no tabou, de la société de consommation et des effets de la société. C’est la vie telle quelle. C’est l’histoire du peuple, par le peuple et pour le peuple», précise l’esthète.

Amener une touche personnelle et moderne
N’ayant pas la prétention de révolutionner le pop art, Fred apporte sa touche personnelle. «Mon style, c’est de prendre toutes ces connotations-là, des artistes qui ont bercé ma jeunesse, et de créer un concept pas nouveau, mais moderne. Par exemple, personne n’avait jamais représenté Nelson Mandela en comics. Je voulais vraiment amener ce côté des années 50-60 à maintenant afin que cela fasse la passerelle entre ce que j’ai vécu enfant et ce que je vis adulte et qui pourrait, peut-être, intéresser les plus jeunes que moi», explique celui qui a vu son nom figuré dans le Gotha noir de France – ouvrage qui recense l’élite africaine et antillaise – en 2014-2015. Autre particularité de son parcours d’artiste, il a eu le privilège d’être le premier à prendre possession du magasin d’un célèbre équipementier américain situé sur les Champs-Élysées pour une exposition solo l’année dernière.

Un parcours parti de l’enfance
Tout commence à Villeneuve-la-Garenne, en région parisienne, où l’appartement familial a été le théâtre de ses premières uvres. «Enfant, je gribouillais sur les murs de la maison de ma mère, c’était le début de beaucoup de problèmes», avoue-t-il, le sourire aux lèvres. Cette dernière décèle très vite chez son fils la qualité de son coup de crayon. En grandissant, l’artiste se met à rêver des Beaux-Arts, mais la réalité prend le pas sur cette envie. «Je m’étais renseigné sur le parcours à emprunter et pour réussir dans le dessin. Il fallait passer par les Beaux-Arts. Je n’avais pas les moyens, donc, cette idée m’est sortie de la tête.» Son baccalauréat littéraire en poche, le jeune homme de 19 ans se cherche et, pour cela, il opte pour l’expatriation.

Les USA, l’Angleterre, et.
Son choix se porte, dans un premier temps, sur les États-Unis, pays de la pop culture par excellence. Après avoir sillonné le pays d’est en ouest durant six mois, Fred Ébami ne trouve pas son bonheur. Il ne se voit pas y vivre. Son grand frère, installé à Oxford, le rappelle à l’ordre. «Il était en Angleterre, à Oxford, et me voyant me balader sans but précis me dit Viens en Angleterre, au moins, tu trouveras peut-être du travail et tu arrêteras de faire l’aventurier.» «Parti pour une semaine, j’y suis resté presque 15 ans.» Pour gagner sa vie, le jeune homme travaille dans une boîte de nuit en tant que barman et se lie d’amitié avec le DJ de l’établissement.

Une soirée chez lui et sa trajectoire change radicalement. «Au cours de la soirée, mon ami DJ tombe sur des dessins que j’avais ramenés de France, parce que je continuais le dessin de temps en temps. Il me demande : C’est toi qui fais ça ? Je lui réponds que oui et il s’étonne du fait que je n’ai jamais rien dit.»

C’est que l’artiste est une personne pudique qui ne souhaite pas étaler son talent. Ravi de sa trouvaille, son ami, qui a fait une école de graphisme, la lui recommande et l’incite à envoyer un mail au professeur principal de l’école. Bingo ! Celui-ci tombe sous le charme de son book et, fait inédit, lui dit : «Je vais faire une chose que je n’ai jamais faite. Je t’accepte dans mon cours sans passer par l’examen d’entrée.»

Une école, un diplôme et c’est parti
«C’est ainsi que j’ai obtenu, en 2004, mon HND – High National Diploma – en graphisme design de la Cherwell College Of Oxford et, là, je commence à m’amuser, à dessiner sur mon ordinateur. Mon meilleur ami, Capitaine Alexandre – slameur et poète, prix 2015 Paul Verlaine de l’Académie française -, qui connaissait ma passion, me demande de faire des visuels pour son recueil Afrique Diaspora et Négritude.» Sans prendre connaissance des textes à illustrer, Fred Ébami peaufine dans son coin et la magie opère puisque les visuels et les textes s’associent parfaitement. Plusieurs personnes séduites par ses illustrations demandent à l’auteur le nom de l’artiste et, tout naturellement, Capitaine Alexandre lui suggère d’exposer ses uvres. «Réticent à cette idée, je lui explique que je n’avais jamais pensé à cela et je n’avais pas assez confiance en moi pour montrer mon travail à tous.»

Une expo-surprise
Convaincu du talent de l’artiste, le slameur-poète l’appelle et le met devant le fait accompli. «Il m’avait inscrit pour que je puisse exposer un mois plus tard. C’était une grosse pression», se rappelle le pop artiste. Nous sommes en 2010, à Lille, à la Maison Folie Moulin. Alors qu’il est persuadé que son uvre ne va pas intéresser, il a la surprise de voir le contraire se réaliser.

La vie après la reconnaissance
Depuis, l’artiste poursuit son bonhomme de chemin. «La même année, j’ai été invité en Afrique du Sud par le Centre culturel français pour faire une expo. En 2012, j’ai participé à la Biennale de Dak’Art en off et, la même année, l’artiste DTone m’a invité en guest sur son expo dans la galerie qui me représente en ce moment à Saint-Germain-des-Près, la galerie Jacques De Vos – Espace Seven». C’est dans ce lieu que Fred rencontre son galeriste, Alexandre De Vos, qui n’avait jamais entendu parler de lui. Sur recommandation de DTone – de son vrai nom Jean-Marie Compper -, il laisse Fred Ébami présenter son travail.

Après l’exposition, une rencontre s’impose entre le galeriste et Fred Ébami. Il avoue avoir été en panique quant à l’objet de cette entrevue. «Faut savoir que pendant toute l’expo, il ne m’a pas dit un mot. » «Il m’a tendu une enveloppe et m’a dit : V oilà ! Premièrement, tu as vendu quatre visuels et, deuxièmement, je te propose d’exposer en solo l’année prochaine.» C’était en 2013. Pour autant, son Angleterre – il vit entre Paris et Londres -, le mordu de pop-art ne l’oublie pas. Il se rappelle qu’en 2010, il a pu exposer une première fois au centre culturel français à Kensington. Le voilà qui réitère en 2013 avant l’exposition en 2015 pour l’African and Afro-Carribbean design diaspora.

Le regard de l’artiste
De quoi affiner son regard. «J’ai deux visions. La vision négative, c’est-à-dire la vision dans laquelle on dit en Afrique que l’art ne sert à rien, que cela ne nourrit pas une famille. Je trouve cela très désolant. Et la vision positive où il y a des artistes qui font de superbes choses autant traditionnelles que plus récentes.

C’est un vivier d’ uvres exceptionnelles en sculpture, en peinture, en danse, en mode. Cette mouvance-là, j’ai envie d’en faire partie», dit-il. À ce titre, l’artiste n’hésite pas à prodiguer ses conseils à des artistes camerounais. «Je m’efforce de donner des conseils à trois artistes que je suis au Cameroun – Jean-David Nkot, Maurice Mboa et Rodolph Djoumou – et je suis ravi de leur parcours. C’est ce que l’on appelle aux États-Unis le «give back», rendre ce qu’on a reçu. J’espère qu’ils en feront de même avec des artistes plus jeunes qu’eux pour que l’on puisse avoir une synergie d’artistes africains», poursuit-il.

Un retour aux États-Unis ?
À l’avenir, Fred Ébami n’exclut pas les États-Unis, bien au contraire. Il n’oublie pas que son parcours et surtout sa formation, il les doit aux Anglo-Saxons. «La consécration aux États-Unis serait la cerise sur le gâteau. J’aimerais que les gens aiment ce que je fais pour ce que je fais et non parce qu’ils auraient entendu parler de moi par un buzz venu des États-Unis. C’est un peu bizarre ce que je dis, mais c’est juste que je ne veux pas être un buzz ou un phénomène de mode», explique-t-il. Avant cela, Fred Ébami aimerait que son art ait un écho sur le continent et en Asie. «De vrais challenges», pense-t-il.

Le déssinateur franco-camerounais, Fred Ébami
Droits réservés)/n

Suivez l'information en direct sur notre chaîne