On l’appelle communément Me Ayi. Ses doigts font des étincelles sur le cheveu et ses clientes ressortent satisfaites du salon.
Armand Rufin Ayi est issu d’une famille nombreuse. A 4 ans, il est envoyé auprès de sa grand-mère à Nkoumadja. Pour lui, c’est le « village » et il y est élevé selon les us et coutumes de la culture Béti. Il n’aime pas particulièrement les études, préférant travailler la culture de la terre. « J’ai appris à me servir de mes mains. Au village, on rencontre plus d’opportunités de s’exprimer qu’en ville parce qu’on est en relation directe avec la nature », explique t-il. Muni de bambous et de lianes, il confectionne des figures telles : bateaux, camions, greniers.et le résultat de son travail manuel étonne déjà son entourage. Cette créativité est pour lui une échappatoire : « Je me sentais rejeté et jusqu’ à aujourd’hui, je me sens souvent très peu compris », regrette t-il. D’un naturel curieux, lorsque chaque enfant scolarisé ouvre livres et cahiers pour étudier, il cherche à maîtriser les cours de ses frères et s urs, « pour moi, c’était le meilleur moment de la journée. En dehors de ça, il fallait que je réalise des petites cabanes, des pièges en bambous, et ce sont des choses qu’on apprend quand on vit en campagne ». Si Armand considère l’école comme un lieu d’apprentissage, il juge qu’on peut aussi s’y « distraire et se faire voir ». Puis il abandonnera les études, pour se fixer un défi personnel: Réussir dans la vie ! Voulant être indépendant financièrement, il quitte sa grand-mère et retourne en ville.
Petits boulot, grands espérances
Pour subsister, Armand Ayi effectue de petits boulots. Laveur de voiture par exemple. Puis sur recommandation maternelle, il intègre l’atelier de son oncle à Ekié et apprend la fabrication des marmites. Doué, il réalise sa première marmite au bout de deux semaines d’apprentissage. En 6 mois, « je suis passé du poste d’apprenti, de surveillant, pour devenir responsable des ventes et des achats ». Mais cette nouvelle responsabilité n’est pas perçue d’un bon il par ses collègues. Craignant pour sa vie, il quitte son emploi et retourne au village pour se ressourcer. « Rentrer au village, aller dans la forêt, c’est comme passer chez un psychologue ». C’est d’ailleurs avec beaucoup de passion qu’il parle des chants d’oiseaux en forêt, des bruits de l’eau et à ce sujet, « c’est dire que la nature a une force inouïe », conclut-il avec satisfaction.
Coiffeur autodidacte
Après la fabrication des marmites, il passe à la menuiserie. En 1996, un heureux concours de circonstance jette enfin Armand Ayi sur sa véritable voie. Un soir, il accompagne ses cousines dans un salon de coiffure à Mvogt Atangana Mballa à Yaoundé. Au lieu d’une coiffeuse, c’est un homme qui les accueille. Armand est très surpris car coiffure rime généralement avec gente féminine. L’effet de surprise passé, il est intrigué par le sérieux du coiffeur, « Je le voyais manipuler les cheveux, il y prêtait beaucoup d’attention et je me demandais pourquoi il faisait tout ça ». Quelques semaines après, le coiffeur en question, Marc N’kwamé de nationalité ghanéenne, se plaint du retard et du laxisme de ses apprentis et Armand lui lance une boutade : « Mais monsieur recrutez moi, je vais faire le travail et vous allez me payer ». Le ghanéen plutôt content de cette proposition, lui demande de commencer dès le lendemain. Mais Armand Rufin Ayi n’honore pas le rendez-vous. Une autre fois, il croise le coiffeur ghanéen de l’autre côté de la rue qui lui demande de se présenter à nouveau au salon. Dès lors, Armand Ayi se découvre une passion, mieux, il a trouvé sa vocation.
Enfin le déclic.
« J’entre dans ce salon, et la première chose, c’est d’aller acheter un uf, un avocat et un citron pour traiter les cheveux.», se souvient-t-il avec émotion, avant de mentionner avec sérieux, « c’est la première chose que j’ai apprise dans la coiffure ». Avec Marc Nkwame, il observe attentivement : « Tout ce que je faisais, c’était de laver les cheveux, mettre les bigoudis sur une veille perruque ». Pendant deux semaines, il s’atèle au nettoyage des serviettes, des appareils. Dans la foulée, son patron lui confie les clés du salon « alors qu’il ne me connaissait pas du tout ». Le déclic va se produire au moment où il s’y attend le moins. « Un matin, une dame arrive. Mon patron lui avait fait des vagues et elle venait pour un coup de peigne. Le patron étant absent, la dame me dit tu es là tous les jours, tu vois comment ça se passe, alors coiffe moi. J’ai fais quelque chose sur sa tête, que je ne peux pas vous décrire vraiment. Elle était contente, et elle m’a donné 300F CFA. Voilà le début de ma carrière », raconte Armand tout ému.
Il décide ensuite de voler de ses propres ailes. Septembre 1996, il ouvre son premier salon de coiffure à Yaoundé, avec les fonds issus de ses précédents petits métiers et commerce. « C’était un petit box de rien du tout, que j’ai essayé d’embellir, de transformer. Mon premier bac à laver était en bois, j’avais un petit casque kalor, un séchoir à main, un miroir, deux chaises en bois et un banc, et ça me suffisait ». Son activité évolue vite. Loin de se considérer comme un grand maître, il sait qu’il doit se perfectionner. « Après les tentatives infructueuses pour sortir du Cameroun, j’ai décidé de rester et à chaque fois que j’ouvrais un salon de coiffure, je recevais des dames qui me demandaient des coiffures inimaginables. Beaucoup m’apprenaient à le faire, mais ça me gênait de ne pas satisfaire leurs demandes ». Armand se rend compte qu’il n’est prêt à être un coiffeur professionnel, vend ses appareils et erre de salon en salon dans la capitale. Lentement mais sûrement, il réussit à manier les multiples facettes de l’art de coiffer. Connaissant déjà la sculpture du cheveu, Armand Ayi est curieux de connaître les composantes du cheveu. Grâce à Internet, il étanche sa soif de connaissance. En 1999, il a l’occasion d’accompagner une commerçante au Bénin. Là, le jeune camerounais est fasciné par la culture des tresses qu’il admire auprès des coiffeuses béninoises du marché. Cette brève expérience lui permet de renforcer son attachement à la délicatesse du cheveu. De retour du Bénin, il décide de quitter la capitale destination Douala.
« Autant il est fin, autant il nécessite beaucoup d’attention et d’amour, par ce que le cheveu vit. Il réagit aux émotions, au climat, à l’alimentation, aux produits pharmaceutiques autant que les autres sens de l’être humain »
Douala, une nouvelle aventure au service de l’art
Aux côtés de sa copine, il poursuit sa passion dans un salon de coiffure du quartier Bépand. Après 4 mois, il s’ennuie, « je trouvais que j’étais le meilleur dans la zone, je n’avais pas de concurrent et j’avais besoin de défis, de challenges. Avril 2006, il quitte Bépanda, et cohabite avec un collègue Rodrigue Medja. Il en profite pour se perfectionner davantage. Dans la foulée, une femme le sollicite pour installer un salon de coiffure à l’image des magnifiques chefs d’ uvre présentés dans les catalogues internationaux, qu’il garde précieusement. Pour la clientèle exclusivement féminine qui se recrute parmi les adultes et surtout les jeunes en passant par les présentatrices vedettes des chaînes de radio et télévision de la place, Me Ayi fait parfaitement corps avec l’intitulé du salon : Dimension Art. A elle seule, cette appellation symbolise le travail exclusif qu’il réalise avec le cheveu, pour un résultat à la fois simple, unique, et qui attire toujours les regards masculins.
Coiffeur des mannequins du festival Afric Collection
A sa grande surprise en 2007, le festival de mode très couru Afric Collection qui réunit chaque année à Douala les grands noms de la haute couture tels Ahphadi, Imane Ayissi ou Esterella. le sollicite. Une cliente admirative de ses uvres d’art en matière de coiffure, parle de lui auprès du comité d’organisation de l’évènement. Un soir dans son salon à Bali, quelques membres du festival arrivent et lui disent, « Monsieur, nous souhaitons que vous soyez le coiffeur des mannequins invités dans le cadre du festival Afric Collection, « je crois que le bouche à oreille a bien fonctionné, et ce n’est que le résultat des efforts fournis pour satisfaire la clientèle. Lorsque vous travaillez bien, votre réputation vous précède», déclare Armand avec philosophie. Ce contrat avec le festival se poursuit, et chaque année, il est sollicité pour accomplir des prouesses avec les mannequins invités. Entre deux séances de travail, il prend tout de même le temps de peaufiner un dossier sur lequel il y réfléchit depuis une dizaine d’années. La mise sur pied d’une association qui doit valoriser ce secteur d’activité. En 2008, l’association des maîtres coiffeurs (AMC) sort du fond du tiroir, et voit officiellement le jour à Douala. Actuellement, l’association regroupe seulement une dizaine de membres, « malheureusement, les coiffeurs ne comprennent pas que se regrouper en association, reste le meilleur moyen de pouvoir s’exprimer et de faire face à la mondialisation qui ne vient pas toujours, pour nous aider », regrette-t-il. Loin de se laisser abattre par ce manque d’engouement, le président de l’AMC se fixe les défis « regrouper le maximum de membres au sein de l’association, donner à la coiffure camerounaise ses lettres de noblesse. Il est aussi question de mettre sur pied, une formation adéquate pour permettre à la nouvelle et future génération, d’avoir des formations non plus qualifiantes comme c’est le cas, mais diplômantes », précise-t-il.
Il a une mine consterné lorsqu’il remarque que la coiffure au Cameroun, est reléguée au second plan, c’est un secteur vierge et plein d’avenir. Seulement, il faut faire la part des choses « tous ceux qui investissent dans la coiffure, sont des vautours à 80%. Ils considèrent les salons de coiffure comme des échoppes. Or, c’est un secteur au sein duquel on doit rencontrer des personnes bien éduquées, qui respectent l’art et ne s’intéressent pas seulement à l’aspect financier du métier », selon Me Ayi. A 29 ans, il note qu’il est par ailleurs primordial de préparer la relève, malgré le conteste embryonnaire de cet art. Autodidacte, il refuse que tous les jeunes qui aspirent à une carrière de coiffeur ou de coiffeuse, puissent uniquement se former sur le tas. D’où son rêve d’installer un salon professionnel au cours de cette année. Juste après, Me Ayi ne cache pas son intention de s’ouvrir à un partenariat pour créer un centre de formation digne de ce nom, avec l’implication des grands coiffeurs camerounais, voire des partenaires étrangers.
En attendant que ses rêves deviennent réalité, doublé de la rencontre avec l’âme s ur, ce jeune garçon qui allie respect, courtoisie, désinvolture et sérieux, et qui sait coiffer dans la bonne humeur, peut se contenter de l’amour de sa fille de 2 ans.