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Ateba Romaric: « la guerre du leadership pourrait conduire Boko Haram vers sa fin »

Selon l'enseignant de sociologie politique à l'Université de Ngaoundéré au Cameroun, la coordination centrale qui «n'existe plus» dans le groupe…

Selon l’enseignant de sociologie politique à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun, la coordination centrale qui «n’existe plus» dans le groupe pourrait conduire à sa perte

Est-ce le début de la fin pour Boko Haram ? Les signes avant-coureurs d’une déchéance vertigineuse sont bien là, s’accordent à dire certains observateurs, alors que pour d’autres, ces évolutions traduisent un changement de tactique opéré par Daech, à qui le groupe nigérian a prêté allégeance en mars 2015, et motivé par les revers militaires essuyés par celui-ci.

Le constat des analystes se base sur les dernières évolutions sur le terrain de la guerre opposant la coalition régionale de la Force multinationale mixte (FMM) au groupe terroriste et sur les dernières informations véhiculant des divisions au sein du groupe.

Sur le terrain, plus précisément dans la région du Lac Tchad et au niveau de ses bases arrières dans le nord-est nigérian, le groupe se montre affaibli par les frappes des troupes coalisées du Nigéria, du Niger, du Tchad et du Cameroun. La force régionale appuyée par des forces étrangères, notamment américaines et françaises, qui assurent un appui logistique de taille, a réussi à asséner plusieurs coups durs au groupe.

Mais Boko Haram n’est pas uniquement affaibli par les frappes qui lui ont été infligées par la FMM ; il se trouve également miné par des divisions et des animosités alimentées par des ambitions de leadership.

D’ailleurs, réagissant à la récente décision de Daech, annoncée dans son journal al-Nabaa, de nommer Abu Mosaab al-Barnaoui, nouveau chef de Boko Haram, le dirigeant officiel du groupe, Abubacar Sheakau, a posté, mercredi dernier, un enregistrement sonore sur Internet dans lequel il affirme avoir été « trahi » par certains combattants de son groupe et par Daech lui-même. Il taxe ses détracteurs, dont al-Barnaoui, d’infidélité et de conspiration contre lui pour le destituer de son poste.

Shekau qui avait prêté allégeance à Daech l’année dernière, a par la même occasion promis de ne point courber l’échine ni devant ses détracteurs, ni devant les «mécréants», en allusions à ceux qui croient en la démocratie. Il s’est ainsi montré déterminé à continuer le combat et à défendre son trône, « jusqu’au bout. »

La posture de Shekau témoigne de querelles internes au sein du groupe extrémiste nigérian, commente l’analyste Haman Dimitri. « Ce changement de leadership est une preuve que le groupe se porte mal. Avant son message sonore, nous avions des doutes sur l’existence de Shekau qui s’est brusquement éclipsé des caméras, alors qu’il était généralement adepte des shows télévisés, à l’issue de chaque attaque terroriste réussie. Il se trouve qu’il était obligé de rester terré dans les montagnes, en raison des blessures qu’il aurait subies lors des assauts des troupes tchadiennes, il y a quelques mois », dit Dimitri, enseignant à l’Université de Ngaoundéré (Centre-Nord) et chercheur sur Boko Haram.

La réapparition de Shekau qui met en lumière cette dissension pourrait accélérer le chaos dans les rangs du groupe, prédit l’analyste. Malgré leurs principes communs dont une doctrine takfiriste et un pouvoir d’autorité territoriale, Entre Shekau qui se réfère au fondateur de Boko Haram, en 2002, le Nigérian Mohamed Yusufu, puis, al-Barnaoui qui se veut plus proche d’Abu-Bakr al-Baghdadi, chef de Daech, les animosités s’accentueront. Et les jours à venir éclaireront davantage sur l’issue finale de ces scissions, annonce l’analyste.

« Depuis décembre 2015, Boko Haram connaît d’autres scissions non formalisées. Différentes factions se sont installées de façon indépendante sur des territoires d’où elles mènent séparément ses opérations. Il n’y a plus de coordination centrale », explique l’universitaire Ateba Romaric, enseignant de sociologie politique à l’Université de Ngaoundéré. « Cette façon de faire a affaibli le groupe et la guerre du leadership observée ces dernières heures pourrait conduire la secte vers sa fin », conclut Ateba.

A cette approche « optimiste » quant à l’éradication d’un groupe responsable, jusque-là, de la mort de plusieurs milliers de personnes, s’oppose, une autre lecture. « Il faut quand même rester prudent et ne pas tirer de conséquences hâtives sur une éventuelle agonie du groupe », a glissé un capitaine de l’armée camerounaise. « Rappelons déjà, qu’il y a quelques mois seulement, on annonçait le leadership d’un certain Bana Blachera, avant que Daech ne présente al-Barnaoui comme successeur. C’est également une guerre de communication, pour montrer que ça bouge, que Boko Haram n’est pas moribond puisqu’on entend à chaque fois parler de nouveaux lieutenants ».

Martin Ewi, de l’Institut des sciences sécuritaires de Pretoria (Afrique du Sud) a émis des doutes quant à l’authenticité du message sonore de Shekau, affirmant sur la chaîne Africanews: « Ce changement de leadership vise à prouver qu’il y a une nouvelle dynamique au sein de Boko Haram. Il y a eu des rumeurs, disant que des divisions sont en train de miner le groupe. Ce changement a été opéré afin de montrer que le groupe est encore puissant et qu’il maîtrise toujours le terrain. »

Revenant sur l’apport d’Abu Mosaab-al-Barnaoui, l’analyste a indiqué qu’avec lui Boko Haram pourrait avoir plus de combattants étrangers, d’autant qu’il procédera à la diversification de son mode opératoire pour agir de manière plus stratégique et déjouer la vigilance des forces de défense nigérianes et de leur alliés.

« Les attaques vont désormais incarner la philosophie de Daech. C’est-à-dire que celles perpétrées contre les populations civiles vont significativement diminuer, mais le danger sera toujours présent dans le nord-est du Nigéria, puisque l’éradication du groupe dépend beaucoup plus d’éléments externes qu’internes », a-t-il conclu.


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