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Barrage de Memve’ele: une «mise en eau» pour noyer les scandales

Englué dans des affaires de surfacturation et de détournement de deniers publics, le maître d'ouvrage de cette infrastructure a procédé…

Englué dans des affaires de surfacturation et de détournement de deniers publics, le maître d’ouvrage de cette infrastructure a procédé aux premiers tests la semaine dernière

Après Lom Pangar le 26 septembre 2015, les responsables du barrage de Memve’ele disent aussi avoir procédé le 16 août dernier à «une mise en eau technique». «Je trouve que la terminologie est un peu galvaudée», observe un expert. Pour lui, «parler du concept de mise en eau dans un barrage de production (comme Memve’ele NDLR) n’a pas de sens». Et de justifier: «A quoi va servir l’eau dans un barrage de production si ce n’est de permettre qu’il ait de la production?»

Pourtant, comme l’avoue le directeur de la cellule d’appui au maître d’ouvrage du projet dans Le Quotidien de l’économie, édition du 19 août 2016, le premier kilowattheure d’électricité ne sortira pas de Memve’ele cette année. «Surtout que la première turbine sera fonctionnelle après septembre», justifie Dieudonné Bisso. L’opération du 16 août, présentée comme «d’une importance cruciale», viserait selon le ministre de l’Eau et de l’Energie (Minee), Basile Atangana Kouna, à «s’assurer du bon comportement des ouvrages de retenue à savoir la digue principale, les évacuateurs de crue et la prise d’eau du canal». «Bref, nous voulons tester tout ce qui a été fait», résume Dieudonné Bisso.

Ecran de fumée
A Lom Pangar, où l’opération fait l’objet de railleries chez les ingénieurs, on estime qu’il était trop tôt pour effectuer des tests. «On ne va pas tester un barrage de production par rapport au volume d’eau qu’il a stocké. On va évaluer un barrage de production par rapport au kilowattheure d’électricité qu’il a produit, c’est-à-dire qu’il a injecté dans le réseau», précise-t-on. Et pour cela, il faut que la construction du barrage, de la centrale hydroélectrique et de la ligne de transport soient achevés.

Les ingénieurs parlent de deux types tests généralement effectués: les tests à vide pour jauger les équipements hydroélectriques et les tests en charge pour évaluer les équipements hydromécaniques et partant l’ensemble du système y compris les ouvrages de retenue. A la fin de ce dernier test, «on doit être en mesure de dire si tout fonctionne correctement ou pas», indique un ingénieur.

Pour le cas de Memve’ele, il a, en plus, régné comme une sorte de confusion. Au début, on a d’abord parlé de «mise en eau partielle». A la fin, il était désormais question de «mise en eau technique». Pour certaines sources internes au projet, «ce problème sémantique est la preuve même d’une certaine précipitation». Les partisans de cette thèse soutiennent que «l’opération n’a été pensée que pour détourner l’attention des scandales qui s’accumulent autour du projet». Info ou intox? Difficile à dire. Une chose est cependant certaine, des semaines avant, le projet a fait l’objet d’accusations de détournement et de surfacturation respectivement de la part de la Commission nationale anti-corruption (Conac) et d’un membre du Parlement.

Surfacturation
Tout commence le 23 juin 2016. Ce jour-là, le web journal français Mediapart révèle que la firme chinoise spécialisée notamment dans la construction des barrages hydroélectriques aurait versé des retro-commissions pour se voir attribuer le marché de construction du barrage de Memve’ele. Les bénéficiaires seraient de hauts responsables de l’administration camerounaise, mais également Franck Ping, dont le père Jean est candidat à la présidentielle gabonaise du 27 août. Franck Ping serait rémunéré pour avoir facilité l’opération.

Alors que l’affaire fait le tour de la toile, une autre accusation passée inaperçue et tendant à corroborer la première est portée par le député de l’Océan, Martin Oyono. Dans une tribune libre où il demande l’application de l’article 66 sur la déclaration des biens, parue dans Le Quotidien de l’économie, édition du 21 juillet 2016, l’élu écrit: «Des surfacturations si on veut en parler, le plus gros scandale viendrait du barrage hydroélectrique de Memve’ele où il est établi que l’ouvrage initial proposé au président de la République ne sera pas celui qui sera livré à la fin des travaux avec paradoxalement des coûts de travaux initiaux maintenus alors que des économies de près de 80 milliards auraient dû être réalisées.»

De la présentation faite par le Minee lors de la pose de la première pierre de l’ouvrage le 15 juin 2012, le projet comprenait un barrage, une centrale hydroélectrique de 201 mégawatts, des bâtiments dédiés à l’hébergement des personnels durant les phases de construction et d’exploitation, une voie d’accès longue de 95 kilomètres, la ligne d’évacuation de l’énergie, le poste de transformation et d’interconnexion d’Ebolowa et un poste sortie usine pour l’électrification des localités environnantes. Le tout pour un
montant d’environ 365 milliards de francs CFA, dont 286 milliards pour le barrage et la centrale.

Aujourd’hui, on parle d’une centrale d’une puissance nominale de 211 mégawatts et d’un coût du projet d’environ 420 milliards, ligne de transport d’électricité non comprise.

Approché, le directeur de la cellule d’appui au maître d’ouvrage du projet ballait tout d’un revers de la main. Dieudonné Bisso, parle d’accusations faites par des «profanes». «Le coût de ce projet est relativement élevé» soutient pourtant un responsable d’une société publique ayant en charge la construction d’un barrage hydroélectrique. Ce dernier nuance cependant: «Chaque barrage est unique au monde. Donc, il faut un audit très approfondi pour parler de surfacturation.» Pour cet ancien cadre de AES Sonel (l’ancêtre de Eneo, le fournisseur actuel de l’énergie électrique), «le problème de Memve’ele est d’avoir été passé de gré à gré».

Martin Oyono, de son côté, maintient ses accusations. Joint au téléphone, le député de l’Océan affirme avoir tiré ses informations d’un rapport d’audit du ministère des Marchés publics.


projetmemveele.org)/n

Détournements
Comme si cela ne suffisait pas, le projet Memve’ele est aussi au centre d’une affaire de détournements de fonds publics en rapport avec les indemnisations liées à sa réalisation. Dans son rapport 2014, présenté le 27 juin 2016, la Conac affirme que «l’Etat a subi un préjudice financier de l’ordre de 1 792 399 619 francs représentant 64% du montant total des indemnisations», ceci en raison de «la surévaluation des
constructions et des cultures des populations riveraines».

Outre les populations riveraines et les administrations intervenantes dans le processus d’expropriation, l’institution de lutte contre la corruption met également en cause la cellule d’appui à la maîtrise d’ouvrage, coupable d’avoir facilité le processus en payant les bénéficiaires en liquide.

Là encore, Dieudonné Bisso décline sa responsabilité: «je n’ai pas réagi au rapport de la Conac parce que je souhaite effectivement qu’une enquête soit ouverte. Il y a en effet des choses qui ne se sont pas bien passées. Mais cela n’est pas à mettre sur le compte de la cellule d’appui», commente le directeur du projet.

Une mission d’inspection des projets hydroélectriques en cours de réalisation au Cameroun, diligentée par le Premier ministre, a sillonné le pays jusqu’au mois de juillet dernier. Elle apportera certainement d’autres éléments d’information à Paul Biya, dont on dit qu’il est le commanditaire de ces enquêtes.


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