Malgré les horreurs qu’ils subissent au front, certains participants au combat pour la première fois, les soldats camerounais ne bénéficient pas d’assistance psychologique. Et pourtant.
Samedi 25 juillet 2015, un bruit assourdissant vient de déchirer le silence de la ville de Maroua, chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Une explosion sème la panique au sein de la population. Sur le carreau, plusieurs corps en lambeaux. L’on dénombra une quinzaine de morts au total.
Trois jours plutôt, une autre explosion avait déjà fait 13 morts. La ville de Maroua vivait pour la première fois les horreurs que subissent désormais, au quotidien, les populations de Fotokol, Amchidé, Kerawa, Kolofata..
Des islamistes lourdement armés prennent régulièrement d’assaut les places publiques où ils tuent, kidnappent et pillent à tout venant. Face à cette situation particulière, l’armée camerounaise riposte et remporte de nombreuses victoires. Mais au-delà de ce symbole, de nombreux soldats ont un autre ennemi parfois silencieux, qui pourtant gagne du terrain : des séquelles psychologiques ! Sans assistance, des hommes de l’armée sont tourmentés au quotidien par ce qu’ils voient et font sur le champ de bataille.
Serge: « Nous n’étions pas préparés pour une guerre aussi longue »
Serge est un sous-officier de l’armée camerounaise. Il est engagé au front depuis plusieurs mois. En cette fin de soirée de décembre, il revient d’une intervention sur le terrain. Il a accepté de décrire sous anonymat ce que vivent certains de ses camarades d’armes. « Nous n’étions pas préparés pour une guerre aussi longue, et certains parmi nous n’avaient jamais tiré sur une personne avant d’être déployés sur le terrain. Parfois, à leur retour à la base, ils délirent, crient dans la nuit ou posent d’actes incompréhensibles.», raconte-t-il. Il refusera toutefois de confirmer des cas de suicide de soldats relayés par la presse nationale. Mais, ce sous-officier affirme qu’il n’existe aucun dispositif pour leur apporter assistance. [i « Certains se consolent dans l’alcool, et d’autres auprès des camarades. Dans tous les cas, nous ne tenons pas rigueur aux actes qu’ils posent car nous savons qu’ils n’étaient pas comme cela avant. » Conclut-il.
Francis Nt. : « C’est difficile à vivre »
Francis Nt., un autre sous-officier de l’armée camerounaise, stationné à Mora dans le département du Mayo Sava toujours à l’Extrême-Nord, justifie à sa manière la réaction de ses camarades. « Les corps déchiquetés de nombreux villageois, des enfants kidnappés, torturés défigurés ou éventrés, les dépouilles décapités des camarades.. C’est difficile à vivre », reconnait-il.
A l’écoute de ces soldats, nous tentons de savoir s’il y a un mécanisme mis sur pied par l’armée pour assister les soldats au front. Contacté à cet effet, le Colonel Didier Badjeck, en charge de la communication au ministère de la Défense (Mindef) du Cameroun, évoquant son incompétence à ce sujet, va nous renvoyer vers le directeur de l’hôpital militaire de Yaoundé.
C’est dans cet hôpital que sont soignés tous les soldats blessés au front. Dans les couloirs, de jeunes soldats, mutilés au combat, nous suivent du regard. A son tour, le Colonel Dr Mbozo’o évoquera le secret défense : « Etant donné que les opérations se poursuivent toujours le terrain, certaines questions sont encore classées dans le cadre du secret défense.. », nous expliquera-t-il.
Selon le psycho-pathologiste Dr Baliaba, « la guerre est une situation conflictuelle qui nécessite d’énorme matériels stratégiques.. La guerre implique le travail de deuil qui a comme manifestation : insomnie, enlèvements et psychose généralisée. En situation d’urgence, près de 20 % de la population souffre de troubles de comportements. Le stress post-traumatique s’observe plusieurs mois après l’évènement. Dans ces conditions, quelque chose mérite d’être faite en urgence. ».
Le Dr Baliaba dira d’ailleurs pour conclure qu’un soldat violent est un danger pour lui-même et pour ses camarades au front.