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Cameroun: le génocide par les élites

Par Arnaud Laforme Djemo Tamko Dans les vociférations des amis, le thème principal est la mobilisation gigantesque suscitée par le…

Par Arnaud Laforme Djemo Tamko

Dans les vociférations des amis, le thème principal est la mobilisation gigantesque suscitée par le dieu, décrétée par lui, organisée par lui contre son ennemi à lui, l’ennemi de ce dieu. Des hordes innombrables convergent sur le misérable. D’où viennent-elles ? Pourquoi des armées puissantes se rassemblent-elles dans le seul but de détruire un adversaire isolé, incapable de se défendre ? Pourquoi un tel gaspillage de puissance militaire ? René Girard, La Route antique des hommes pervers, Grasset, 1985, p.32

Qui sont les « commanditaires tapis dans l’ombre » qui auraient poussés, comme semble en être convaincu Jean Francis Bélibi, une « horde de manifestants » à descendre dans la rue tant à Bamenda, à Buea qu’à Kumba ? Il n’est pas impossible que ce soit vrai. Mais l’Etat dispose des moyens autant en amont des manifestations qu’en aval, pour les identifier et les traduire en justice. Si l’on peut se demander dès lors, pourquoi dans ce cas, ce sont ces jeunes « manipulés » qui sont sauvagement bastonnés, violés et incarcérés alors que les « manipulateurs » se la coulent douce ? La véritable question qu’il faut se poser est celle de savoir si les camerounais ne sont pas assez matures pour avoir le sens de la responsabilité y compris celle qui implique le droit de manifester pacifiquement.

L’infantilisation permanente
C’est presque symptomatique du pouvoir en place et de ses affidés, à chaque fois que le peuple camerounais, les jeunes essaient de manifester leur indignation face à un système qui leur dénie tous les droits, que l’on évoque la « manipulation ». Comme si l’on avait affaire, en parlant des jeunes, à des terrains vierges sur lesquels il est possible de faire germer toute sorte de plante, y compris les plus rebelles. Comme s’il s’agissait des « Samba Diallo » de L’Aventure ambigüe de Cheik Hamidou Kane, que le Maître peut endoctriner autant par la menace de l’enfer que par la violence du fouet.

Déjà en 2008, pour ne prendre que cette période de février restée historique dans les revendications sociales au Cameroun, le président de la République a fait une sortie médiatique tristement remarquable, au cours de laquelle au lieu de répondre au problème posé par la manifestation, il a qualifié les « responsables » cachés de ces émeutes d’ « apprentis-sorciers ». Il faisait allusion à ceux qui auraient, selon lui, « manipuler » les jeunes en les envoyant massivement dans les rues du pays entier.

Aucun de ses « apprentis-sorciers » n’a pourtant au cours de ce discours, été publiquement identifié ni juridiquement inquiété par la suite. Or, de nombreux jeunes croupissent encore en prison pour une affaire dans laquelle, si l’on s’en tient à la logique du chef de l’Etat, il n’était en réalité que des victimes. Relayé par les médias (gouvernementaux en l’occurrence), et vulgarisé par les cadres du parti au pouvoir autant que par sa base, le terme d’ « apprentis-sorciers » désigne officiellement, ces personnes qui se servent de la jeunesse, pour comme le dit Francis Bélibi « déstabiliser les institutions de la République ». Mais, officieusement, il renvoie à ceux qui en veulent à la place du chef. Ce qui est curieux, c’est ce rôle de marionnettes, d’épouvantails que l’on se plaît à attribuer à la jeunesse de tout un pays dans cette volonté d’écarter par la force des armes plutôt que celles de la démocratie, un adversaire politique.

Une véritable insulte à tous
Les implications réelles d’une telle considération sont fondamentalement péjoratives. L’on suppose que la jeunesse camerounaise est assez idiote, assez inculte, suffisamment immature pour que le premier venu puisse la convaincre (à quel moment et par quel moyen ?) de se jeter en pâture à des hommes en tenue, généralement en mal d’action, et qui ne guettent que la première occasion pour faire une démonstration de forces à tous, mais surtout au chef suprême de l’armée, afin de lui témoigner de sa disponibilité et de sa fidélité à servir et d’en tirer les dividendes.

L’insulte qui en découle ne s’adresse pas seulement aux jeunes. Elle s’adresse particulièrement aux différents ministères en charge de l’éducation, et s’ils avaient été intelligents, et pas assez aveuglés par le chef de l’Etat et friands des postes, il y a longtemps qu’ils auraient démissionnés. Car dire que les jeunes sont « manipulés », c’est dire que l’esprit de discernement que l’école est supposée inculquer à chacun est complètement absent de ces cerveaux vides ; que l’on a affaire à des esprits dénués de tout sens de la critique, du raisonnement ; des esprits incapables de savoir ce qui est bon ou mauvais, juste ou injuste.

C’est dire que l’éducation de base à rater sa mission, celle d’enseigner aux enfants à travers les cours d’éducation à la citoyenneté, ce qu’est un drapeau national. C’est dire que l’enseignement secondaire n’a pas prolongé cet enseignement primaire en éclairant les adolescents sur les différentes institutions de la République et leurs fonctions, sur les missions régaliennes de l’Etat ; que nombreux ont démissionné avant d’avoir atteint la classe de terminale où la philosophie vient ouvrir l’esprit à la critique. C’est dire que l’enseignement supérieur a été inutile, puisque son rôle premier est d’apprendre à l’étudiant à penser et non lui apprendre des pensées.

L’Etat responsable
Sauf à vouloir dire que le principal « manipulateur » c’est l’Etat. Qu’il n’a créé des écoles que dans le but d’empêcher toute forme de pensée, dans le but de fainéantiser tout le monde. Ce qui serait plus probable étant donné le peu de confiance qu’il accorde à ses diplômés. Si l’on s’en tient aussi à cette omerta qui pèse sur une partie de l’histoire de notre peuple, qui loin de nous diviser devrait construire une conscience collective, mais qui est politiquement occulté à dessein. Dans ce cas, avant de chercher ailleurs les responsables de ce virus de la contestation qui insidieusement s’infiltre dans le cerveau des jeunes (sans être une nouveauté au Cameroun, si l’on regarde l’âge qu’avaient Um Nyobé et les autres), l’Etat devrait se demander donc pourquoi ces jeunes acceptent, même s’ils sont manipulés, de jouer ce rôle au péril de leur vie.

Cette question posée, permet à l’Etat de prendre sa part de responsabilité. Car, pour qu’un enfant accepte une complicité passive ou active dans le « meurtre du père », il faudrait qu’il ait une dent contre ce père. Ceux qui « manipulent » partout dans le monde, se servent de cette boîte à colère humaine. Ils sillonnent, sélectionnent des individus maltraités, rejetés, marginalisés. Ils se servent des personnes qui pensent être victimes d’une injustice et qui espèrent de Dieu qu’il les délivre de cet ennemi puissant et dangereux. Ils sont d’autant plus disposés à prendre eux-mêmes leur revanche, à se rendre justice, à se venger, dès lors qu’un allié leur propose de les aider. Le meilleur moyen de les en dissuader, lorsque celui vers qui se tourne cette « juste colère », cette « sainte vengeance » s’en rend compte, c’est soit de les éliminer définitivement, et avec eux leurs soutiens soit de leur donner ce qu’ils réclament et de doubler la mise afin de les retourner contre les commanditaires. Mais au Cameroun, le concept de « manipulation » permet à l’Etat de se dédouaner de ses responsabilités, de se faire passer pour la victime, d’accuser les autres et de procéder par la suite à une justice expiatoire au cours de laquelle, se sont encore les innocents qui sont condamnés.


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