Gifted Mom revendique déjà plus de 10 000 utilisatrices au Cameroun

Créée en 2013, cette application vise l'amélioration de la prise en charge des femmes enceintes sur l'étendue du territoire national…

Créée en 2013, cette application vise l’amélioration de la prise en charge des femmes enceintes sur l’étendue du territoire national

C’est la journée de sensibilisation à l’hôpital Saint-Martin-de-Porrès, situé à quelques kilomètres du centre-ville de Yaoundé. Sur le chemin de terre qui grimpe au centre de santé, le goudron a disparu depuis belle lurette. Toutes les deux minutes devant l’hôpital, un moto-taxi déboule pour déposer un proche venu rendre visite à un parent, un ami, une voisine.

Les malades sont pour la plupart amenés dans l’un de ces vieux taxis jaunes que l’on croise partout dans la capitale du Cameroun. A l’étage, dans une grande salle d’attente bien ventilée, une quarantaine de jeunes mamans attendent leur tour, leur nouveau-né dans les bras. C’est le rendez-vous des premiers vaccins. Certaines, qui laissent voir un visage fatigué, semblent à peine sortir de l’adolescence.

Au mur, un écran muet diffuse des clips musicaux. Scotchés çà et là, quelques flyers tous neufs appellent les mamans à envoyer des SMS au 8566. C’est le numéro à composer pour bénéficier gratuitement des conseils médicaux de Gifted Mom. Cette start-up sociale camerounaise répond par SMS aux questions posées par les femmes enceintes. Gifted Mom les accompagne aussi en leur donnant leur date de rendez-vous pour les visites prénatales dans les hôpitaux.

Après la naissance de l’enfant, le suivi se poursuit : Gifted Mom rappelle plusieurs fois par semaine les dates de vaccination du nouveau-né, calculé de manière automatique à partir de la date et de l’heure exacte de la naissance. De l’information, et des rappels en continu, au minimum trois SMS par semaine.

10 000 utilisatrices au Cameroun
Cette application, créée en 2013, compte déjà près de 10 000 utilisatrices au Cameroun. Elle est considérée comme un allié technologique précieux par l’hôpital Saint-Martin-de-Porrès, l’un des premiers centres de Yaoundé à avoir noué un partenariat médical renforcé avec Gifted Mom. Et pour cause : si chaque jour, dans le monde, un peu plus de 800 femmes meurent pendant leur grossesse ou en accouchant, l’Afrique subsaharienne reste de loin la zone la plus touchée.

Mais tout ne se passe pas par SMS. Deux fois par semaine, Mekness Ijang, l’une des agents de terrain de Gifted Mom, vient rencontrer femmes enceintes et nouvelles mamans, distribue des flyers et recueille un maximum d’informations à commencer par le précieux numéro de téléphone.

00 h 30, le chef de service prend enfin place dans la grande salle d’attente. A ses côtés, sage et discrète, Mekness se tient droite comme un i. Le docteur démarre la séance de sensibilisation. Il énumère les vaccins que les nouveau-nés doivent recevoir dans l’année qui vient : « Vaccin contre l’hépatite B à la naissance, contre la poliomyélite à un mois et demi, etc. »

Absence des pères
Ici, le cynisme dont certains membres du corps médical avaient été accusés dans l’affaire tragique de Monique Koumaté n’est pas de mise. Le 13 mars, le Cameroun tout entier fut traumatisé par l’histoire de cette jeune maman morte au neuvième mois de sa grossesse puis éventrée par sa propre s ur qui croyait pouvoir sauver les deux bébés qu’elle portait. Une scène d’horreur aux portes de l’hôpital Laquintinie, à Douala.

Soudain le docteur décide de mettre un peu d’ambiance. Il lance un débat sur l’absence aveuglante de papas dans la salle, tout en félicitant bruyamment l’unique homme présent, venu accompagner sa petite amie enceinte de quelques mois : « Pourquoi êtes-vous venu seules ? Le père est aussi responsable de la santé de votre bébé ! ». Plusieurs femmes sourient tandis que d’autres, l’air dépité, maugréent bruyamment en reprochant à leur conjoint absent de les avoir abandonné.

Puis le docteur s’écarte et donne la parole à Mekness, venue présenter Gifted Mom. Les premières minutes sont laborieuses mais le bruit de la salle s’évapore lorsque Mekness revient sur l’histoire de Monique Koumaté.

Les infrastructures de santé manquent de tout
« Vous savez pourquoi elle est morte ? Elle a trop attendu avant d’aller à l’hôpital parce qu’elle n’avait pas d’informations. Alors pensez à votre bébé. Lorsque pendant la grossesse vous avez de la fièvre ou commencez à saigner, n’attendez pas et envoyez un SMS à Gifted Mom et nous vous diront rapidement ce qu’il faut faire ! »

A la fin de la séance, une quarantaine de femmes enceintes et de jeunes mamans laisseront à Mekness leurs numéros pour rejoindre la plate-forme. Une fois enregistrées, elles recevront leurs premiers SMS dans la soirée. Un mini filet de sécurité sanitaire dans un pays où les infrastructures de santé manquent de tout.

Les bureaux de Gifted Mom sont abrités au sein de l’incubateur d’entreprises de Polytech Yaoundé, à deux pas du CHU. Alain Nteff, le jeune entrepreneur à l’origine de la start-up sociale, dépose un nouveau prix sur l’étagère à trophées, en haut d’une armoire : « Nous rentrons de Douala où nous avons gagné le premier prix du jeune start-upper de Total » dit-il, humble et déterminé. Alain Nteff prend les concoursde start-up très au sérieux : « Un précédent prix, Anzisha, nous a rapporté 25 000 dollars, ce qui nous a permis de recruter nos développeurs. » L’année suivante, en 2015, Gifted Mom remporte 50 000 euros au New York Africa Forum de Libreville et multiplie les recrutements, près de dix personnes dont deux développeurs et un médecin à plein temps.

Un service gratuit
Pour le moment, les récompenses gagnées dans les compétitions africaines représentent la source principale de financement de Gifted Mom, « à hauteur de 60 % ». La start-up est en mode « bootstrapping » comme on dit dans le jargon , c’est-à-dire miser sur ses propres forces pour innover plutôt que de perdre des mois à tenter de convaincre des banques qui refuseront sans doute de risquer le moindre franc CFA.

Comment l’entreprise peut-elle tourner si le service reste gratuit pour les utilisatrices ? « Nous voulons d’abord attirer un maximum d’utilisatrices. Une fois que nous aurons atteint une masse critique, nous pourrons faire sponsoriser les SMS par des ONG et des grandes entreprises au titre de leurs politiques sociales et environnementales. Et nous rémunérer en retour, tout en maintenant le service gratuit. »

Alain anticipe déjà les prochaines grandes étapes : « 2016 doit être l’année du passage à l’échelle nationale, avec 60 000 utilisatrices enregistrées d’ici la fin de l’année. 100 000 en 2017, dont 20 000 basée dans le nord du Cameroun, où la situation est encore plus grave. On y trouve moins de centres de santé et la situation avec Boko Haram n’arrange rien. » Et après le Cameroun, le reste de l’Afrique en 2018, à commencer par le Nigeria. Avec un objectif à terme de 5 millions de femmes enceintes africaines accompagnées grâce à la technologie Gifted Mom.

L’intérêt du numérique pour améliorer la situation
Gifted Mom vient de signer un partenariat stratégique avec les autorités de la région du sud-ouest du Cameroun (1,2 million d’habitants), afin de travailler étroitement avec les centres de santé locaux. Plusieurs semaines après le drame de Monique, les autorités camerounaises donnent l’impression de comprendre l’intérêt du numérique pour améliorer la situation. Des partenariats similaires seront bientôt signés avec les autorités de la région du littoral, dont Douala est le chef-lieu.
Une discussion passionnée s’engage avec Alain Nteff et son équipe : est-ce le rôle des entrepreneurs de prendre le relais de gouvernements qui ignorent la santé de leurs populations en laissant dépérir les infrastructures ? N’est-ce pas une façon de les exonérer de leurs responsabilités ?

« Les mamans meurent en silence dans ce pays. Oui, les Etats africains doivent agir et les dirigeants doivent rendre des comptes. Mais, en même temps, il est aussi très important que nous, les entrepreneurs, fassions notre maximum pour contribuer à changer les choses. » Un combat qu’Alain Nteff et son équipe mènent au quotidien : « Je ne sais pas si les entrepreneurs doivent tout faire, mais ce que je sais, c’est que nous devons faire partie de la solution. »


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